Nous connaissons tous le sot-métier qu'est « youtubeur », ces porphyrogénètes de la modernité, ces myriapodes croyant avoir l'actio d'Isocrate, sauf que la virtuosité sortez de la bouche d'Isocrate, tandis qu'eux ont de génie uniquement ce que découle leur émonctoire.
Néanmoins, un youtubeur me paraissait intéressant parmi tous ces bellâtres narcissiques, et ce youtubeur est paradoxalement le plus hué. Norman le ch'ti, à la barre s'il vous plaît.
Norman fait partie de ces séditieux blondinets lavés au safran des étoiles. Cet homme avait évidemment reçu pour vocation non pas de créer un contenu abréviatif – à l'inverse de ces collègues, mais plutôt d'être le grand public consolateur, à lui tout seul, et pour l'unique virtuose qui peut se passer d'applaudissements vulgaires. Que voici la grande différence entre Norman et les autres.
Le séditieux blondinet a un but d'absolu, d'infini et d'illimité, d'être égal à dieu. N'y sentez guère en ces mots un satanisme olfactif, mais plutôt une volonté, de la part de Norman, d'être le fameux surhomme Nietzschéen.
Le perscrutateur des Choses a fait des podcasts sur tous les objets et à la fois sur tous les sujets qui puissent exister : Les toilettes, l'amour, l'amitié, le sport, l'ethnie, la nation, les croyances. Norman est un être omnipotent, c'est le créateur ultime, l'Enfant Nietzschéen, qui s'élève du monde qui l'entoure, de ses lois, des sociétés, et le surplombe, du haut de sa montagne érémitique et contemple Tout afin de mieux le décrire.
Celui qui se sait profond s'efforce d'être clair ; celui qui voudrait
sembler profond à la foule s'efforce d'être obscur. Car la foule tient
pour profond tout ce dont elle ne peut pas voir le fond : Elle est si
craintive, elle a si peur de se noyer !
Ces mots proviennent du 173ème fragment du livre III du Gai Savoir de Nietzsche. Les railleries sophistiques à l'encontre de l'Enfant nietzschéen le sublime tout autant qu'elles confortent mon idée. Fût-ce t-il pas le destin des descripteurs du monde ? Démocrite, Socrate, Spinoza, Baudelaire, Clouscard, moururent sans pompes funèbres ni éloges. Mais que diable ! Ni Démocrite, ni Socrate, ni Spinoza, ni Baudelaire, ni Clouscard et surtout ni Norman n’eurent, n'ont et n'auront besoin d'approbations et d'applaudissements, seuls leurs propres applaudissements les importent !
Le Moyen Age avait le bon sens de cantonner ces railleurs putrides, ces helminthes malhonnêtes, dans des chenils réservés et de leur imposer une défroque spéciale permettant aux honnêtes hommes de les éviter. Aujourd'hui, avec l'ère de la marchandise, on s'indigne bêtement de voir en eux les maîtres du monde. Norman aura raison plus tard ; plus naguère que maintenant.
Norman n'est point un artiste, hélas ! C'est un chevalier qui ne traite ni ne capitule, au nom de sa quête de l'absolu. C'est l'un des plus hauts de ce siècle, et son indépendance est à sa mesure. Lorsque les podcasts apparurent il y a quelques années, Cyprien acculé à sa promesse antérieure de garder avec lui ce redoutable compagnon mais se rendit compte l'impossibilité de discipliner un pareil confrère ; le fait est, la direction artistique ultra-éloignée entre Cyprien et Norman... Le premier s'articule dans le fantasme de se prostituer auprès des producteurs d'art cinématographique ; le second est de ces êtres miraculeusement formés pour le malheur, en témoigne les années d'humiliations et de supplices qui tamisent l'usure de son visage, à force de souiller, par la friche de sa verve, chaque objet, chaque chose et chaque sujet du monde, mariant le ciel avec la terre. Les vidéos de Norman sont des épithalames que nous entendons et adviendra le jour où, lorsque consommateur abêtissant nous ne serions plus, cesserons d'entendre ses mots pour les écouter.
Je termine en vous disant, chers damoiseaux et damoiselles, qu'il m'est plus acceptable la destruction des voûtes ogivales de nos églises, ou la brûlure des toiles d'Odilon Redon que de perdre Norman fait des vidéos.