Tandis que je réfléchissais à la meilleure façon d'aborder cette critique - en fait, à la façon dont j'avais envie de l'aborder, j'ai réalisé que j'allais surtout traiter de sa première saison, pour l'encenser, puis du reste (ou pas). Car, en mon petit coeur de bisounours facile à séduire, de gentilhomme vraiment très bon public, Once Upon A Time se résume à cela : la saison 1, et le reste. Bien entendu, on peut lire autre chose sur la face B : en mon âme grisonneuse d'assassin consommateur d'informations critiquables, Once Upon A Time, c'est un massacre global succédant à la saison 1. Hélas, comme après des années de cache-cache avec l'envers de mon psychisme, je n'ai toujours pas trouvé ma face B, on va ici se contenter de mettre en parallèle qualités et massacres en prêchant, sans cynisme, sans ironie, les qualités, et en suggérant, presqu'en les taisant, les massacres.
Saison 1, donc. Le contrat de base avec le spectateur est passionnant : une opposition entre monde réel et monde des contes autour d’une facile mais convaincante histoire de malédiction, un enfant qui doit éveiller sa mère, et tout un univers amnésique, à l’existence de la magie, à mesure que ladite mère s’attache à ce fils qui vient seulement de la retrouver. C’est mignon, c’est sensible, les parallèles scénaristiques entre les deux mondes sont habiles, il y a matière à rêver et s’émouvoir. Durant toute la saison, on est le complice du petit Henry, l'un des seuls individus au courant de la malédiction, le vrai et magique gentil de l’histoire. Si Petit Henry est adorable dans cette première saison, il ne le sera jamais autant par la suite, tant son intérêt scénaristique, son rôle de gamin imaginatif et pur, s’appauvrit comme la magie perd de sa beauté mystérieuse en laquelle il veut croire, pour devenir cette réalité dangereuse, prétexte à toutes les fantaisies et guéguerres scénaristiques qui s’en suivront. J’ai vraiment été surpris, à la fin de la saison, en voyant que la malédiction était déjà levée ; voir Emma affronter un dragon, je l’ai vécu comme une trahison du contrat, c’était de trop, la réalité à mystifier par la foi, par l’amour d’un gosse, disparaissait au profit d’un anachronisme malvenu selon la temporalité du rêve et de l’esprit - la révélation m’a paru trop rapide, et beaucoup trop concrète.
Storybrooke n'aurait jamais dû connaître la magie, car Storybrooke c'était d'abord - ou pas d'abord ; quelque part, peut-être, entre d'abord et ensuite - nous. Nous, les enfants de tous les âges, qui savons bien, parfois, que Disney, ses sources folkloriques et ses univers, c'est la vraie vie et que les structures bringueballantes de la réalité nous mentent à ce sujet. Nous qui savons que la magie, ce n'est pas la magie, mais la capacité à la voir, la deviner, la pressentir, dans son absence - la magie n'est pas la magie, et qu'importe si cela ressemble à l'acrobatie d'un serpent du non-sens mordant sa propre queue, la magie est en soi l'en-chacun de la magie, tel qu'elle se développe, se réalise et se plurialise, tout à la fois dans le paradigme, la théorie, et la réalité, des relations humaines. La magie existe-t-elle ? Oui, puisque nous la savons, comme Henry la sait, comme Henry la nourrit, à travers le mythe des habitants du monde. Un homme peut être un criquet, s'il est un criquet. Une femme solitaire peut être une sauveuse, si l'histoire le prétend. Je peux être un fantôme éternel, si l'émotion, quelque part, le raconte. La magie renferme tous les contes que l'on veut, si l'histoire narrée a cette prétention-là. Mais la magie n'existe que si l'on reste depossédé de nos contes, comme on est à tout instant dépossédé de notre mort. Si Once Upon A Time pose les contes comme antécédents réels des habitants de Storybrooke, Storybrooke était magique dans l'exacte mesure où ses habitants étaient dépossédés de leurs contes.
Qu'ils retrouvent la mémoire, c'est une chose plutôt belle, mais qu'ils retrouvent la magie littérale, la fausse magie, celle qui représente le danger, le scénario du conte comme fait du monde, dépossède les héros de leurs dépossessions, de sorte que ceux-ci, en devenant ce que l'histoire raconte qu'ils sont, ne renferment plus la croyance en Blanche-Neige ou en Charmant, ni en un héros ni, par conséquent, en l'en-chacun de la magie. StoryBrooke représentait le centre humain dont les passés tiraient leurs coexistences,et la magie des contes, l'image parfaite de son absence dans cette ville où les héros les incarnaient vraiment. En outre, Storybrooke produisait la magie par laquelle une série peut donner à l'idée du destin une dimension fascinante, dont chacun de nous incarnerait la cohérence en amont, cette magie étourdissante par laquelle nous sommes, ici et maintenant, les futurs parfaits de toutes nos histoires, passées et à venir, les futurs incarnés de tous nos contes. Les habitants de Storybrooke n'existent pas à Storybrooke parce que les contes les y ont jetés ; ils existent dans les contes parce que c'est ce qu'ils renferment depuis Storybrooke. Tout ce qu'ils ont vécu, tout ce qui les mène à Storybrooke, c'est depuis Stroybrooke qu'il le vivent, et c'est ce paradoxe parfait qui insuffle aux contes leurs magies-mêmes. Henry sait cela, Henry voit les choses ainsi, c'est la perspective naturelle qui lui est offerte depuis son point de vue. Et nous savons cela, car nous croyons en Once Upon A Time, nous, habitants de Storybrooke, nous qui partageons le regard d'Henry.
C'est cela, la saison 1 de Once Upon A Time.
Hélas, Once Upon A Time, c'est aussi le reste.