Samouraï Jack
7.4
Samouraï Jack

Dessin animé (cartoons) Adult Swim, Cartoon Network (2001)

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Rares sont les séries de dessins animés de mon enfance que je pourrais volontiers regarder aujourd’hui : Bob l’éponge, Les Zinzins de l’Espace, le fameux Batman de Bruce Timm, quelques un de chez Ça cartoon peut être… Parmi eux figure la série d'animation Samurai Jack, qui, du temps des débuts de l’émission F3X (2001), rythmait nos dimanches matins sur France 3 aux côtés de Static Choc, du Projet Zeta et autres Ligues des justiciers. Alors que j’ai redécouvert récemment l’existence de Samurai Jack, je me suis rappelé que, petit, cette série faisait alors étrangement vibrer en moi une corde sensible, je me suis particulièrement souvenu avoir déjà fait voguer mon imagination dans les tableaux qu’elle proposait. Lorsque l’on a que 21 ans, rares sont les œuvres culturelles consommées se payant le luxe de laisser une telle impression brumeuse et fascinante, de faire résonner un tel écho mystérieux. Il fallait en avoir le cœur net : j’entrepris donc sa redécouverte, et avec elle celle de mon expérience imaginaire passée.



MOBILISATEUR D’UNIVERS



Force est de reconnaitre l’incroyable mobilisateur d’univers qu’est Samurai Jack : c’est là sa plus grande force. Le premier épisode semblait ancrer Jack dans un certain réalisme dans la mesure où celui-ci est présenté comme étant le fils de l’empereur japonais, et à ce titre plongé dans ce qui semble être un Japon féodal. Mais déjà s’y anime une sorte de magie fantastique alors qu’Aku, incarnation du mal à l’apparence renvoyant à la mythologie japonaise shintoïste, fait son apparition. Ensuite, le principe d’envoyer Jack dans un vague « futur », sur lequel revient l’excellent générique d’introduction, est un astucieux tour de passe-passe narratif permettant, un peu à la Valérian, de justifier la mobilisation de tous les genres, tous les univers et toutes les mythologies au travers des lieux et des personnages représentés, outre la culture samurai : Far West, conte des milles et une nuit, piraterie, cité cyberpunk totalitaire, polar noir, Heroic Fantasy, maison hantée, mythologie nordique, grecque ou égyptienne, cultures zombie, gangsta, écossaise, de rave party ou de cape et d’épée… Voici, en vrac, à quoi ne se limite pas l‘imagination de l'auteur de la série, Genndy Tartakovsky, dont les références directes peuvent être aussi diverses que L'Odyssée, Star Wars, Frank Miller, Mon Voisin Totoro ou encore le manga Lupin III. C'est ce qu'il confirme dans un épisode de la websérie d'Arte BITS :



Samouraï Jack est l'héritier de beaucoup d'éléments de la pop culture. C'était une époque de ma vie où je me sentais près pour quelque chose de plus ambitieux, et j'aimais superposer l'ancien et le moderne, d'autant que je venais de travailler 3 ou 4 ans sur Le Laboratoire de Dexter, et 3 ans sur Les Supers Nanas. Dans ces séries, la pop culture, notamment japonaise, était déjà bien présente. Mais Samouraï Jack était plus personnel, et c'est pour ça qu'il a trouvé son public.




ENTRE CONTEMPLATION ET COMBAT



Chaque épisode, dans lequel Jack tente sans succès de rejoindre le passé, est constitué des deux principaux éléments, et pourtant à priori antagonistes, que constituent la phase contemplative et celle de combat -à priori seulement, un jeu vidéo tel que Shadow of the Colossus nous suggérant l'inverse-. La première est souvent introductive, posant sans empressement le décor, mais peut aussi accompagner ponctuellement l’épisode. Forêts luxuriantes, montagnes enneigées, cités rétrofuturistes ou abandonnées, cavernes sans fonds, marécages brumeux, collines venteuses ou déserts infinis : qu’il est agréable de se laisser emporter dans ces plans larges et lents dont la puissance suggestive flatte allègrement notre imaginaire, dont la beauté fait l’apologie d’une nature idéalisée. Ces plans étant faits de dessins découpés ou de tableaux peints dans lesquels Jack erre, le style graphique alterne le naïf, voire le minimaliste, à l’élaboré. La série peut même se permettre des fantaisies graphiques ponctuelles, alors que par exemple dans l’épisode 40 intitulé « Samurai versus Ninja », un affrontement se fait en noir et blanc dans un jeu épuré d’ombre et de lumière. L’esthétique, quant à elle, est idoine en ce qu’elle évolue sans cesse en s’adaptant au thème de chaque épisode. Enfin, le dénuement global des dialogues -certains épisodes peuvent même se passer intégralement de paroles-, et l’application inspirée placée dans les bruitages et les musiques d’ambiances, renforcent cet aspect contemplatif et immersif, donnant à la série son atmosphère mystique, poétique et onirique.


Les combats, ensuite, forment un deuxième « leitmotiv » de tout épisode de Samurai Jack qui se respecte, dessin animé pour enfant oblige. Il est en effet rare que le samurai n’ait pas à se défaire de sbires envoyés par Aku dans le but de nuire à sa propre personne ou à diverses peuplades rencontrées au fil de ses aventures. Une fois encore, quel régal. La série peut se vanter d’exceller dans les scènes de combats -et même plus globalement dans les scènes d’action- dont les effets de mises en scènes et de cadrages n’ont rien à envier aux meilleurs films de bushido ou de kung-fu. Tension de pré-affrontement digne de Western, fulgurance et intensité galvanisante des combats, relâchement post-affrontement, tout y est présent avec justesse et efficacité. Certains épisodes vont même jusqu’à ne rien proposer d’autre que des affrontements guerriers, soit plus de 20 minutes de combats ! Cette machine à représenter des affrontements est tellement bien huilée que se dégage un certain style propre à la série : singulière répétition rythmique des effets et des coups, simplification graphiques de ceux ci, structure et résolution épique des combats, autant d’ingrédients de réalisation systématiques que tous les combats de dessins animés ne partagent pas. A titre personnel, une certaine forme de consécration de la maitrise des scènes d’action et de combat est atteinte avec l’épisode 41 intitulé « Robo-Samurai versus Mondo Bot », pour lequel l’influence des blockbusters américains faits de robots géants et d’explosions, est palpable.



SURPRENANTE MATURITE



Avec un peu de recul, comment ne pas reconnaitre l’étonnante maturité dont bénéficie ce dessin animé pourtant destiné à la jeunesse ? D’une part, le scénario n’est pas vraiment réjouissant : alors que Jack est prisonnier du futur, il ne faut pas oublier que tous les siens encore en vie subissent dans le passé le courroux d’Aku via une situation d’esclavage et d’exploitation. De même, dans le futur -soit le présent de l’histoire- Aku domine d'une omniscience orwellienne le monde dans une société dystopique où ses robots et autres cyborgs sont légions, et dont la politique d’expansionnisme agressive et destructrice ne s’arrête de fait jamais. Ensuite, si Jack triomphe toujours de ses ennemis, le fait qu’il échoue sans cesse, tel Alan Parrish dans Jumanji, à retourner dans le passé constitue un fatalisme digne des plus cruelles tragédies. Ultime frustration et ultime cruauté, la série ne s’étant jamais terminée du fait du départ de Tarakovsky de Cartoon Network en automne 2005, Jack ne rentrera jamais chez lui, laissant passé, présent et futur sous le règne éternel d’Aku ! D’autre part, si la nature robotique des ennemis permet de représenter sans contrainte leur destruction, un robot découpé en deux reste un humanoïde découpé en deux, dont l’huile coulant à flot reste proche du sang : quelle violence graphique comme symbolique ! Plus généralement, proposer des longues phases de contemplation à des enfants, à l’heure où les dessins animés rivalisent de vitesse et de violence, est un contre-pied qui invite celui-ci à développer une autre forme de maturité intérieure : celle de l’appréciation de la beauté artistique. Enfin, dans le même ordre d’idée, il est rare qu’un héros de dessin animé pour enfant combatte toujours contre son gré, et se fasse ainsi le défenseur de valeurs telle que la non-violence, le respect de la nature, l’humilité et l’abnégation, le tout dans un humanisme très "kurosawesque".


Finalement, à titre d’illustration, il convient de revenir rapidement sur un des derniers épisodes, l’épisode 50 intitulé « Tale of X9 », qui condense tous les ingrédients exposés plus haut et faisant la réussite de la série. X9 est un des anciens modèles de robots construits pour servir Aku dans toute l’étendue de son royaume. Si ceux-ci sont devenus dépassés puis remplacés, X9 a seul survécu grâce à l’expérimental ajout de la part d’un des scientifiques d’une puce lui donnant une conscience. Sorti de la circulation, et pris d’affection pour un chien, c’est par l’enlèvement de celui-ci par Aku que X9 est tenu de remettre son tablier et d’éliminer le samurai Jack, contre son propre gré. Premièrement, cet épisode témoigne du formidable renouvellement narratif dont fait constamment preuve la série, en ce que, d’une part, le narrateur et le point de vue n’est pour une fois pas celui de Jack mais bien d’X9 faisant part de ses états d’âmes et auquel on s’identifie, d’autre part, le style inspiré de celui du polar noir semble tout droit sorti d’un épisode de Sin City. Deuxièmement, l’épisode alterne les phases de contemplation des ramifications des bas fonds d’une obscure cité futuriste, à celle du final et tragique affrontement entre X9 et Jack qui est plus fait d’oppressante traque que de réelle lutte physique… Troisièmement, la complexité et la cruauté morale de la situation dans laquelle se retrouve plongé X9, inspirée des très adultes polars noirs, témoigne de la surprenante maturité dont peuvent souvent bénéficier certains scénarios d’épisodes de la série.


Bref, une série d'animation « pour enfant » d’une maturité et d’une qualité exceptionnelle, mais très injustement méconnue en France, alors qu'elle est reconnue de l'autre côté de l'Atlantique où elle a reçu de nombreuses récompenses. Cela est tout à fait exceptionnel venant du genre de la série d'animation pour enfant, qui, contrairement au film d'animation ou à la bande dessinée jeunesse, ne semble pas encore avoir acquis ses lettres de noblesses. A postériori, et après revisionnage de l’œuvre, c’est très probablement un des dessins animés qui m’a le plus marqué étant petit, même si on est jamais totalement certain de la fiabilité de ses propres souvenirs. Nul doute que mes enfants regarderont Samurai Jack, et sans doute m’installerai-je alors à leurs côtés.


Un épisode de BITS qui revient notamment sur le sens du mouvement de Tartakovsky

DoubleRaimbault
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le 14 sept. 2014

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