Snowpiercer
5.6
Snowpiercer

Série TNT (2020)

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Saison 1 :
Il y a, dans les prémisses mêmes de cette seconde adaptation de la BD classique de Jaques Lob et Jean-Marc Rochette, un problème fondamental, qui explique à lui seul la déroute quasi complète qu’est ce "Snowpiercer" « à l’américaine ». C’est l’incompréhension, voire l’incompatibilité de la culture états-unienne avec un thème politique « à la française des années 70 », avec une vision profondément marxiste d’une société structurée par la lutte des classes et représentée symboliquement par les « classes » des wagons d’un train lancé dans un éternel voyage… Rappelons que ce n’est pas un hasard non plus si la « machine » du "Transperceneige"- la BD publiée de 1982 à 1983 - était exactement contemporaine du triomphe du TGV, qui avait ouvert son service au public en 1981 : finalement, plus « français », mais aussi plus « daté » que "Snowpiercer", impossible !


Bien entendu, un cinéaste génial comme Bong Joon-Ho ne s’était pas, lui, laissé prendre au piège d’une adaptation aussi difficile dans le contexte d’un monde aussi globalisé et individualiste que le nôtre. Il avait choisi d’accentuer l’épure, de magnifier le concept originel… de l’universaliser tout en en gardant la symbolique élégante, sans pour autant perdre de vue les tensions entre classes sociales, entre gouvernants et peuple, si vivaces en Asie (et qui avaient déjà sous-tendu son chef d’œuvre de SF, "The Host"…). Toutes choses que les scénaristes US ont, culturellement, beaucoup de mal à faire… même si l’on sait que la première équipe qui a développé la série a été remplacée pour des désaccords avec la Production : le premier mauvais choix effectué ici est de minimiser l’aspect politique pur et dur de l’allégorie, en injectant dans la série une invraisemblable enquête policière qui occupera une bonne moitié de la saison, avant que les choses vraiment « sérieuses » commencent.


La seconde décision, dévastatrice, de la production, est de reprendre le visuel magnifique du film de Bong Joon-Ho (dont le nom apparaît d’ailleurs au générique, avec, curieusement, celui de Park Chan-Wook…) sans avoir les moyens financiers de le mettre en valeur (incroyable laideur des plans factices du train vu de l’extérieur !), et d’évacuer le côté profondément symbolique du récit au profit d’une sorte de réalisme SF « à l’américaine »… bien évidemment inepte. Nous voici donc dans un univers que l’on essaie vainement de rendre crédible alors que, topographiquement, géographiquement, tout est absurde : que ce soit la vitesse de déplacement des personnages le long d’un train d’un millier de wagons ou les rapports impossibles entre les dimensions externes et l’espace interne du train – variant d’un endroit, voire d’un moment à l’autre -, rien ne tient debout dans un univers qu’on tente en permanence de nous « vendre » comme un espace physique.


Rajoutons que les personnages sont pour la plupart inconsistants, réduits à des caricatures grotesques mises au service d’un discours terriblement conformiste : les riches sont méchants, les pauvres sont bien à plaindre, surtout ceux qui parlent espagnol ou russe, lumpen prolétariat crasseux qui n’a guère que la violence comme mode d’expression, les couples de lesbiennes, c’est bien, d’ailleurs elles sont forcément du « bon côté de l’histoire », etc. Déplorons aussi que l’interprétation soit globalement à la ramasse, avec un rôle principal improbable tenu par le très, très faible Daveed Diggs, et une Jennifer Connelly qui ne tient que par son charisme naturel, et que la mise en scène se caractérise surtout par son absence, alors que le concept de déplacements linéaires requiert une vraie intelligence pour fonctionner.


Lorsque se déploie – enfin – la rébellion tant attendue, on se dit que la série va trouver son rythme, mais le dernier épisode, littéralement catastrophique, substitue à cette - légère - politisation des enjeux l’habituel traumatisme familial mélodramatique « à l’américaine », qui se cristallise dans les dernières scènes annonçant une seconde saison qui ne fait, vraiment, mais alors vraiment pas envie.


[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/07/19/neflix-snowpiercer-les-causes-dun-desastre-ferroviaire-majeur/


Saison 2 :
Et hop ! Six mois seulement après sa première grande boucle bien peu convaincante, voici déjà le retour du Transperceneige version US… !


La première saison de la série américaine "Snowpiercer" était un ratage complet, largement imputable à l’incapacité et du scénario et de la réalisation artistique de se détacher de l’influence écrasante de la BD de Lob et Rochette et du film de Bong Joon-Ho. L’excellente nouvelle de cette seconde saison, très supérieure (et heureusement) à la première, c’est que les showrunners ont reconnu leur incompétence sur le terrain tellement peu états-unien de l’allégorie politique sur la lutte des classes : en ramenant leur train et leur série au ras des rails, et en se contentant d’essayer de nous offrir un bon vieux scénario bien basique de lutte entre les bons – ceux qui conduisent désormais le « Transperceneige », ayant pris le pouvoir lors de la rébellion – et les méchants – le mythique Mr. Wilford ressurgi du passé et du néant à bord de sa monstrueuse Big Alice, ils se sont concentrés sur ce qu’ils savaient vraiment faire, nous offrir un long film d’action « hollywoodien » qui va nous tenir éveillés, cette fois, tout au long de la saison.


Sans surprise, le succès (relatif mais indéniable) de la saison repose avant tout sur la composition remarquable de Sean Bean en « grand méchant » qui mérite d’entrer dans la grande légende de la série TV contemporaine, et qui permet d’élever d’un cran tous les enjeux que l’on connaît déjà : le contrôle du train, les conflits entre les passagers, les problèmes techniques potentiellement mortels, et surtout,… le choix possible d’un avenir différent… puisque, et c’est là le nouveau grand sujet de "Snowpiercer", se dessine la possibilité d’un réchauffement planétaire (défense de rire… !). Et on peut parier devant certaines scènes réellement fortes (les suicides dans la baignoire, les chantages répétés de Wilford, ses jeux de manipulation vis-à-vis de ses ennemis et de son équipe elle-même) que Bean, coutumier de personnages troublés et inquiétants, ne trouvera jamais plus une aussi belle occasion de se montrer à la fois terrifiant et répugnant.


Il faut également mentionner l’épisode 5 ("Many Miles from Snowpiercer") réellement convaincant, le premier à se passer - comme son titre l’indique - en dehors du train, et qui décrit sous forme de survival story les épreuves de Melanie (Jennifer Connelly, magnétique…) luttant seule pour acquérir « la connaissance » au milieu du froid. Il est bien possible que le plaisir que génère cet épisode soit en partie dû à notre plaisir d’être enfin sortis de ce fichu train !


La dernière partie de la saison redistribue habilement les cartes entre les personnages, qui se doivent de choisir leur camp, alors que la dictature « wilfordienne » resserre son étau sur le train, et qui, pour la plupart, en deviennent bien plus intéressants – plus humains, en fait… - qu’ils ne l’ont jamais été. Les derniers épisodes font monter habilement la pression, avec une succession de victoires et de défaites pour les rebelles qui ont bien du mal à reprendre le dessus, et se dévorent avec un enthousiasme qu’on n’aurait pas cru possible avec "Snowpiercer" (du coup, on ne soucie même plus de la myriade d’invraisemblances déjà pointées quant aux dimensions du train, aux déplacements des personnages, etc. !).


Comme c’est la tradition de la série, cette seconde saison, roborative, se clôt sur la perspective d’un nouveau combat, dantesque on l’espère, entre les deux factions qui s’opposent pour le contrôle des deux trains, du monde, de la vérité. A suivre…


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/04/03/neflix-snowpiercer-le-transperceneige-reaiguille/


Saison 3 :
Après une première saison terriblement problématique, il nous avait fallu reconnaître que Graeme Manson et Josh Friedman avaient repris le contrôle de leur Transperceneige, au cours d'une seconde saison qui avait eu l'intelligence de placer en son centre un passionnant personnage de dictateur, remarquablement incarné par un Sean Bean toujours charismatique en personnage haïssable mais également ambigu, finalement aussi séduisant que détestable grâce à son humanité et à ses failles. Soit l'inverse du fade héros qu'est Andre Layton, insuffisamment incarné par un Daveed Diggs manquant de substance, et qui demeure la grande faiblesse de "Snowpiercer".


Comme si les scénaristes n'avaient pas fait le même diagnostic que nous, pourtant évident, ils font cette fois l'erreur de démarrer très fort avec l'affrontement, anticipé à la fin de la seconde saison, entre les pro et les anti-Wilford, et (attention spoiler) la victoire trop précoce des "forces du bien" va vider la majorité des épisodes de la saison d'une grande partie de leur intérêt. L'illusion d'une issue au voyage éternel, d'un « Nouvel Eden », d’une terre promise - politiquement utile, mais une pure et simple bombe à retardement -, la recherche de Melanie, l'affrontement, assez artificiellement justifié entre Layton et Pike, tout ça ressemble au mieux à des prétextes un peu vains pour gagner du temps et remplir une saison 3 qui manque de substance.


C’est particulièrement clair lors du septième épisode, "Ouroboros", qui illustre les rêves de Layton perdu dans un état comateux : cet épisode, probablement le pire de toute la série à date, s’avère à la fois ridicule et décourageant pour le téléspectateur qui se demande vraiment si ça vaut la peine de continuer à s’infliger ce genre de souffrance.


La réponse est oui, grâce à un épisode final ("The Original Sinners") qui est sans doute quant à lui le meilleur à date, tout simplement parce que, alors que l’on s’attend à un nouvel affrontement violent et barbare entre les trois factions qui se disputent, le train, les scénaristes font le choix, tellement étonnant pour une série « populaire » comme "Snowpiercer", de… l’intelligence. En montrant les vertus de la négociation, de l’écoute de l’autre, de la collaboration, et de la recherche de solutions qui soient acceptables pour tous, ils évitent un autre déchaînement de violence gratuite (soit quelque chose de vu et revu), et choisissent le déchaînement des sentiments, des émotions, de l’amour. C’est une première et une grande, même, pour "Snowpiercer", que ces larmes que les plus tendres d’entre nous verseront devant ce bel épisode. En mettant en scène un « accident » ridicule concernant également le personnage le plus haïssable de l’histoire, "Snowpiercer" choisit aussi une fin « morale », ce que d’habitude nous redoutons, mais qui vient parfaitement conclure ce triomphe de l’humanité sur la barbarie : un choix réconfortant en cette époque où, dans notre réalité, la barbarie continue de régner !


Les dernières images, incompréhensibles mais intéressantes, lancent impeccablement une quatrième saison pour 2023, que nous suivrons donc avec un intérêt renouvelé.


[Critique écrite en 2022]

EricDebarnot
5
Écrit par

Créée

le 19 juil. 2020

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43 j'aime

17 commentaires

Eric BBYoda

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