The Fall n'est pas une série achevée, c'est pourquoi il est étonnant pour moi de souhaiter en écrire une critique. Je ne peux pourtant pas m'empêcher d'y voir une petite perle qui mérite qu'on s'attarde à ses 11 épisodes déjà existants.
Si la série présente un certain nombre de facilités scénaristiques, elle comporte, parmi le florilège de séries policières qui existe, des éléments qui la font se démarquer pour la subtilité de son écriture et la force de ses personnages. Rythmée par une mise en scène contemplative, The Fall ne plaira sans doute pas aux férus d'action.
Sa première force vient du temps qu'elle s'accorde pour laisser les situations s'installer, créant ainsi une intimité entre ses personnages et le spectateur trop rarement exploitée dans les séries du genre. Mon premier coup de cœur s'est ainsi tourné vers le personnage du tueur (Jamie Dornan). Si Dexter représente une plongée dans l'esprit d'un tueur en série, The Fall va plus loin, ouvrant au spectateur une expérience non plus verbale mais sensorielle. Nous découvrons le tueur au plus profond de son intimité, avant, pendant et après le meurtre. Tapi dans l'ombre, il attend sa victime, l'épie pendant de nombreuses minutes avant de surgir des ténèbres et de l'étrangler, patiemment, lentement. La caméra a choisi son point de vue, et ce n'est pas celui de la victime. L'intelligence de ce choix tient de son ambivalence. Nous accédons soudain à l'interdit, à l'inimaginable : la part la plus sombre de l'être humain exacerbée par la mise en scène. Et de l'autre côté, la peur viscérale créée par une empathie certaine pour la situation de la victime. Et s'il s'agissait de nous ? Si nous étions, en ce moment même, épié par un tueur sans le savoir, dans notre propre maison ? L'horreur de la situation est retranscrite par sa simplicité implacable. Il ne s'agit pas là de voyeurisme, à mon sens, mais d'une volonté véritable de montrer ce qu'est l'humain, à travers toutes ses facettes.
The Fall possède cette qualité de ne jamais se montrer manichéenne tout en prenant position sur ce que les auteurs souhaitent défendre. Le personnage de Stella Gibson (Gillian Anderson) en est la parfaite illustration et la seconde force de cette série. Il est extrêmement rare de voir un personnage aussi bien écrit, surtout lorsqu'il s'agit d'un personnage féminin. Gillian Anderson se révèle dans un registre qu'on croyait pourtant déjà lui connaître, par son interprétation et son charisme manifeste. Stella brille de mille feux tout en laissant la place aux autres rôles et comédiens, qui l'égalent sans jamais la surpasser, Dornan au premier plan.
La qualité de l'écriture, qu'elle se situe au niveau de la création des personnages ou des dialogues, est exceptionnelle. La facilité de certains ressorts scénaristiques est compensée par la subtilité des auteurs à saisir toute la complexité des êtres humains. Stella est une femme comme on en montre peu dans le monde de l'audiovisuel, en cela qu'elle est traitée avec une justesse toute particulière, loin des clichés ou même de l'image que beaucoup ont de la femme en général. Il s'agit d'un constat malheureusement suffisamment rare pour être relevé et utilisé comme argument en faveur de l'originalité d'une série. Stella Gibson est le type de personnage qu'on attribue généralement aux hommes.
Outre cette inclinaison pour elle, qui peut être perçue comme féministe, les auteurs apportent un soin tout particulier à leurs personnages dans leur ensemble, ainsi qu'aux dialogues et aux réflexions qui les nourrissent. Cela donne parfois naissance à de longues scènes dialoguées, particulièrement savoureuses en fin de saison 2. The Fall est loin d'être ennuyeuse, à condition que ces aspects trouvent un intérêt à vos yeux.
Sa thématique principale concerne la question de la sexualité, omniprésente sous toutes ses formes tout au long de la série. N'espérez pourtant pas une série HBO, vous en seriez fort déçu ! Pas de scènes de sexe gratuites ici, ni de nudité à outrance. The Fall montre les corps mais ne les dévoile pas. Elle parle simplement du désir et de ce qu'il peut engendrer, en l'occurrence dans ses côtés les plus sombres. Un sujet vu et revu, dont le traitement est ici rendu pertinent par son point de vue. Aucun genre, homme ou femme, n'est épargné. Une fois encore, les auteurs affichent une dualité propre à l'humain, qui montre que rien n'est tout blanc ou tout noir. Si un vent de féminisme vole effectivement sur la série, notamment au travers de Stella, les femmes ne sont pas magnifiées au détriment des hommes. Chaque personnage est traité comme un individu unique, indépendamment de son genre. Il s'agit là, selon moi, de la troisième et dernière grande force de cette série.
A cela s'ajoute la qualité de la réalisation, de la photographie et de la bande son. Une technique maîtrisée et sobre, comme souvent chez les anglais, qui vient parfaire les qualités cérébrales de cette mini série. Je vous invite donc à regarder cela de plus près, en attendant une troisième saison qui, je l'espère, verra le jour.
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