Le Vieil Homme et la Glace

Une adaptation du roman du même titre de Dan Simmons, The Terror, qui aborde sous l'angle du réalisme fantastique, puis magique, l'échec et la perte réels de l'expédition du vice amiral Sir. John Franklin, au coeur du XIXème siècle, dans une tentative historique de traverser d'une traite pour Sa Majesté la Reine d'Angleterre un passage vers l'Amérique par l'Arctique. Le moins que je puisse dire, c'est que j'aurai été captivé de bout en bout, et c'est assez rare pour une série.

Tout ce qui se passe a beau être décrit littéralement, il est question pour une grande partie du propos de ce qui se déroule à l'intérieure des personnages démunis devant un environnement qui n'a que faire de leur masque social, de leur statut, et de leurs aspirations.
Lorsque la glace écorche la peau, paralyse les rêves de gloire, les fantasmes autour de l'espoir de devenir un sujet important pour l'ordre social ou bien son meilleur adversaire, et que même les rêves purs d'une beauté à découvrir au delà du monde connu sont saccagés, c'est toute cette surface qu'elle érode pour laisser apparaître les réalités de ces personnes ainsi que de leur entreprise et condition. Ce lieu veut voir l'équipage mort, dit un capitaine. C'est exactement ce qui se profile. Voir la naissance d'un empire dans un empire n'est plus à l'ordre du jour, survivre l'est.
Et naturellement, ce sont ceux qui sont les plus attachés à la surface qui périssent le plus facilement, tandis que survivent plus longtemps ceux qui auparavant ont déjà rencontré la glace, ont reconnue à sa juste valeur ce qu'elle pouvait se contenter d'offrir, ou savent communiquer avec ceux qui la connaissent.
Si le schéma reproduit assez fidèlement la trame du livre de Dan Simmons, on retrouve également un type de récit présent dans plusieurs productions ou réalisations de Ridley Scott, ici aux cotés de plusieurs producteurs exécutifs. Celui-ci met l'accent sur des personnages plaçant au sommet des valeurs la fraternité, la capacité et la force d'organisation collective pour surmonter des défis ou atteindre des rêves; aussi la confrontation à un environnement ou à un corps étranger, aux ressources, à la tyrannie ou à l'égoïsme, et la capacité à voir par delà les conventions du moment pour comprendre une autre perspective qui serait plus adaptée aux circonstances.
L'écriture de Dan Simmons apporte une touche d'ironie omniprésente qui, sans rendre ses personnages pathétiques pour autant, les place devant l'erreur où leur destin aboutit.
Mais ce qui met l'histoire d'autant plus en relief c'est le fait qu'il n'y ait pas vraiment d'espoir une fois passé un certain stade des événements, quelle que soit la stratégie adoptée. Tout consiste à trouver le moyen de survivre le plus longtemps possible et le plus justement possible. Du coup, comprendre le passé devient pour les personnages un enjeu à part entière, l'occasion d'une rédemption, d'une issue à une existence emprisonnée, mise en suspend pendant des années au profit des rêves d'impérialisme de sa Majesté la Reine. Sans ces derniers, l'identité de chacun est comme neuve et rendue à elle-même, aussi naïve qu'innocente pour les uns, aussi criminelle que folle pour les autres.
La série a une manière toute subtile de nous amener vers cet état de choses au fil des épisodes.

Sur le plan de la réalisation, de la mise en scène et du montage ensuite, cela faisait un moment déjà que je n'avais pas eu l'expérience d'une série où les épisodes passent sans ennui et sans fatigue, alors que le rythme n'est pas spécialement rapide ni la mise en scène marquée par une quelconque technique sophistiquée pour capter l'attention.
De plus, si on compare aux habituels produits du genre, The Terror les surpasse en s'abstenant d'en faire des tonnes, en évitant de nous bourrer le crâne de fioritures visuelles nauséabondes ou de situations d'effroi gratuites, et laisse son propos nous parvenir d'une façon beaucoup plus riche que si notre système nerveux était dans un état permanent et primaire de sollicitation.
En fait, avec une mise en scène proche du réalisme, une écriture (qui doit sûrement au matériel de base dont la série est l'adaptation) et un cadrage faits pour la subjectivité des personnages, le dosage est tel qu'il parvient merveilleusement à nous retranscrire tout de l'ironie, du grotesque de la situation, du désespoir, de la vanité, autant que des forces des membres de cette tristement célèbre expédition prise dans les griffes implacables et furtives de l'Arctique.

Au final, avec une ambiguité préservée quant à l'identité et la nature de l'élément perturbateur, on a une série qui empreinte peut-être même d'avantage aux codes du fantastique que de l'horreur, et réussit également avec un sujet historique là où par exemple Outlander avait échoué de par trop d'académisme.

Je mets 3 étoiles pour le matériel de base et la façon dont il est traité, 5 pour le choix des acteurs, pour la réalisation et pour la mise en scène.