Doit-on encore présenter Avatar : le dernier maître de l’air ? La série d’animation de Michael Dante DiMartino et Bryan Konietzko (qui figure à titre personnel parmi mes oeuvres télévisuelles favorites : https://www.senscritique.com/serie/avatar_le_dernier_maitre_de_l_air/critique/15110939) repose sur un équilibre fragile entre oeuvre familiale, récit épique à l’univers foisonnant et quête philosophique au propos universel mais jamais aseptisé. Cet équilibre assura son succès initial et sa place prolongée au panthéon des plus grandes œuvres de l’animation. Bien évidemment, un récit si fédérateur semblait se prêter à merveille à une adaptation en live action pouvant potentiellement séduire un public plus mature (ou aurais-je envie de dire, moins ouvert aux richesses du médium de l’animation). 


Mais les fans d’Avatar ne se rappellent qu’avec trop de douleur la piètre tentative de M. Night Shyamalan en 2010. Le film n’était pas seulement un échec à cause de son relatif irrespect du support d’origine mais surtout parce qu’il échouait à en retranscrire l’essence, complètement à côté de la plaque dans son écriture comme dans sa mise en scène et sa direction d’acteurs. Dans ses efforts de se différencier de son inspiration comme dans ceux entrepris pour s’y conformer, l’adaptation de Shyamalan faisait tous les mauvais choix. 


Face à un tel fiasco, les projets de suite furent avortés et il fallut attendre Netflix pour que la perspective de voir les aventures d’Aang incarnées en prises de vue réelle redevienne une réalité. Le N rouge semble avoir fait une habitude de se réapproprier des oeuvres phares de l’animation (Death Note, Cowboy Bebop ou récemment One Piece) histoire de renforcer sa popularité en draguant des publics de fans déjà acquis. Restait à savoir dans quelle mesure cette nouvelle mouture trouverait sa pertinence face à une série originale proche de la perfection. 


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Dès l’introduction de la série, mes craintes se sont confirmées. On y voit, après une scène d’action assez anecdotique, le grand méchant expliquer son plan en détail à un prisonnier. Avant même d’avoir pris le temps d’introduire son univers, la série se permet de balancer une exposition vide de sens aux yeux du spectateur qui ne dispose pas encore des informations pour en mesurer le plein impact. 


On enchaîne ensuite sur une scène établissant le background d’Aang, présentée en flashback en milieu de saison dans la version animée et servant ici d’introduction au personnage. Là encore, l’écriture fait tout à l’envers en nous mettant face au dilemme moral d’un gamin qu’on ne connaît pas et dont on doit nous présenter la personnalité au travers de dialogues parce qu’on n’a pas encore eu l’occasion de le voir simplement vivre, intéragir. C’est le fait d’avoir observé Aang agir comme un enfant traitant ses responsabilités avec légèreté pendant 10 épisodes qui rendait ce flashback révélation si marquant. En deux scènes, la série live action se montre certes factuellement fidèle à son matériau d’origine mais pourtant incapable d’en comprendre l’essence. 


Car le principal souci, hélas prévisible, de cette version Netflix est son manque total de point de vue. Il apparaît évident que personne au cours du processus créatif ne s’est demandé ce qu’une nouvelle adaptation en prises de vue réelle de la série Nickelodeon apporterait au monde et comment celle-ci allait pouvoir s’affirmer comme œuvre à part entière. La comparaison la plus évidente est celle des adaptations live des classiques d’animation Disney qui s’évertuent pour la plupart à coller au plus près à l'œuvre imitée en effectuant des changements superficiels pour rester dans l’air du temps.


Le problème créatif majeur de ces nouvelles versions apparaît comme évident : elles ne peuvent tout simplement justifier leur existence et souffrent à tous les niveaux de la comparaison avec un modèle original entièrement pensé pour son médium. Disons plus simplement que l’animation et la prise de vue réelle sont deux médiums différents et que le passage de l’un à l’autre nécessite forcément de penser l’adaptation en profondeur plutôt que de simplement retranscrire le script original. Avatar tombe hélas dans le même piège. 


Comme évoqué plus haut, cela passe d’abord par un problème de narration. La série adapte plutôt fidèlement la saison 1, en opérant quelques changements pratiques. Ainsi, le passage d’un format 20x20 minutes à un 8x50 minutes pour une même saison oblige à quelque fois repenser l’approche narrative de l’oeuvre. On perd le côté épisodique des aventures de Aang et les petites histoires circonscrites à un épisode de 20 minutes et on adapte les passages majeurs de la saison en gros blocs auxquels viennent se greffer des intrigues plus ou moins secondaires.


Par exemple, la visite à Omashu dure ici deux épisodes entiers et condense également les histoires de Jet, du mécanicien traître et même de la caverne des amoureux (originellement présent dans la saison 2). Je n’ai pas de problème en soi avec ce bouleversement de la suite des évènements mais force est de constater qu’il déforce la qualité globale de la narration en la laissant s’éparpiller plutôt que d’offrir des récits courts et concentrés sur leur sujet. On perd la variété des voyages du gAang version animée et cette impression de voir le temps passer. D'ailleurs, Aang ne s'entraîne pas une seule fois à la maîtrise de l’eau dans cette première saison dont ça devrait pourtant être l’objet, un choix difficilement justifiable et qui aurait facilement pu être évité par l'ajout de quelques brèves scènes. D’une manière plus globale, on a moins l’impression de voir le trio formé par Aang, Katara et Sokka vivre et exister au sein de ce monde en péril et ça diminue forcément l’attachement que l’on peut avoir pour la petite troupe. Comble de la trahison, Appa et Momo, les deux mascottes animales emblématiques de la série, sont ici réduits à de la figuration. 


Les limites de l’adaptation se heurtent également à des problèmes de ton. La série originale parvenait à balancer idéalement des thématiques fortes et des enjeux parfois très dramatiques avec une légèreté cartoonesque qui donnait lieu à des moments d’humour savoureux. Le live action se prête moins à des saillies humoristiques parfois absurdes et la série vise donc une approche un peu plus sérieuse, tout en tentant de préserver son aspect comique par instants. En résulte une approche un peu bâtarde, l’humour plus rare semble souvent mal placé et le personnage d’Aang perd toute sa pétillance.


Le ton un peu plus sérieux aurait pu être l’occasion de complexifier certains aspects de la série, d’aborder plus frontalement ses thématiques difficiles ou d’accentuer le côté politique. Or c’est l’un des principaux défauts de la série, qui confond complexité avec surdose d’explication. L'œuvre originale appliquait souvent à merveille le fameux adage du “show, don’t tell” et ne surexpliquait jamais ce qui était sous-entendu ou bien illustré par l’image. On ne compte pas le nombre de plans évocateurs et lourds de sens au sein de la création de DiMartino et Konietzko, délivrant toute sa richesse thématique et émotionnelle avec une énorme simplicité. Peu confiante en sa mise en image (à raison, j’y reviendrai) ou bien tout simplement envers un public de moins en moins habitué à la subtilité, la série live tend à surdévelopper et à expliquer ce qui n'a pas besoin de l'être, se privant de la puissance évocatrice qui faisait la grandeur de son modèle. Ironiquement, c’était un reproche qu’on faisait déjà à l'œuvre de Shyamalan, comme si une adaptation en live-action était indissociable de cette faute. 


J’ai déjà évoqué la scène d’introduction mais par exemple un certain échange entre Aang et Zuko devient interminable et perd de la simplicité qui le rendait si dévastateur. A quoi bon offrir plus de temps d’écran à Azula pour illustrer sa soif de reconnaissance et de pouvoir, pourtant déjà amplement apparente ? Les exemples sont multiples, je pourrais aussi évoquer les nombreuses scènes supplémentaires entre Zuko et Iroh mais celles-ci, tout en étant coupables des mêmes défauts, m’ont malgré tout réchauffé le coeur tant la tendresse entre le neveu et son oncle reste l’un des plus beaux aspects de l’oeuvre d’origine. 


Je l’ai déjà évoqué, Avatar 2024 est une série qui manque cruellement de point de vue. Ça se ressent tant dans la narration à la fois trop fidèle à l’originale tout en en annihilant l’impact mais aussi sur tout son aspect formel. Il n’y a tout simplement aucun parti pris fort ou intéressant dans la série d’Albert Kim. L’image, plate et sans travail photographique, ressemble à tout ce que peut offrir le contenu de plateformes en ce moment : une esthétique passe-partout, pensée pour être consommée sur n’importe quel écran et repartagée sur TikTok. La réalisation ne va jamais élever le sujet et tenter autre chose que de simplement illustrer le script de la manière la plus basique possible. 


Le pire reste le traitement de l’action. Certes, on pourra reconnaître à la série une tentative de coller au plus près au travail chorégraphique de l'œuvre originale qui reposait sur un mélange d’arts martiaux et d’utilisations créatives des 4 éléments. Mais le tout apparaît plus lent, moins fluide et surtout absolument pas mis en valeur par un filmage et un montage brouillons. Je ne comprends pas cette incapacité d’un grande partie de la production américaine à aller chercher des artistes compétents capables de mettre en forme des combats complexes avec lisibilité et dynamisme. Je sauverais malgré tout l’écrin technique de la série. Le budget semble pour la plupart bien utilisé pour donner vie à certains des lieux les plus emblématiques de la série (Omashu, la tribu de l’eau du Nord) et les scènes à grand spectacle comme le climax de la saison sont plutôt plaisantes. 


Petit mot sur le casting pour finir. Les créateurs de la série ont cette fois-ci fait le choix d’opter pour des acteurs d’origine asiatique (et native américaine pour les tribus de l’eau), histoire d’éviter les accusations de white-washing qui accompagnaient le film de Shyamalan. Globalement, le casting me semble plutôt bien choisi et à quelques exceptions près (de grosses réserves sur la Team Azula) colle assez bien à l’image que l’on se fait des personnages. Malheureusement, la direction d’acteurs est souvent erratique, pas aidée certes par ces dialogues explicatifs sans saveur, et peine à retranscrire l’énergie de son modèle. Chaque personnage apparaît comme une version plus fade de son modèle et je ne blâme pas tant les acteurs et actrices qui semblent faire de leur mieux - surtout compte-tenu du jeune âge de la plupart - mais plutôt les réalisateurs et scénaristes incapables d’exploiter leur talent. 


Je me rends compte que j’ai beaucoup comparé la version live-action avec son modèle animé, mais c’est parce que la série attire elle-même cette comparaison. En refusant de sortir du sillage de l'œuvre originale et d’adopter un vrai point de vue, elle se condamne à n’être qu’une retranscription d’une création en tout point supérieur. C’est hélas une série à l’image de son époque où une grosse partie de ce qui est proposé sur écrans n’est que recyclage d’images connues, digérées et régurgitées sous une forme plus asceptisée. Cette série n’a absolument aucun intérêt à mes yeux et il n’y a pas une seule version de la réalité où je la recommanderais avant la version d’origine, supérieure sur absolument tous les aspects. Et à moins de revoir sa copie en profondeur, j’ai peu d’espoir sur le fait que Netflix soit capable de corriger le tir pour la saison 2. Je préfère attendre le futur film d’animation prévu en 2025 et qui lui devrait honorer l’héritage de l’univers d’Avatar avec un peu plus de dignité.

Yayap
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le 1 mars 2024

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