Cette critique est une discussion en fait, entre Eludril (un nom de médicament pour l'hygiène buccale) et moi-même.

Eludril : Salut à toi, aurais-tu quelques mots pour expliquer ta note ? Ton avis
m'intéresse particulièrement sur cette série, connaissant un peu ton
profil.

(Là, je commence à flipper. Mon profil est encore cette maudite permanence de gauchiste, et bim, comme c'est une série "politique", faut que ça me retombe dessus. Bon bah assume un point de vue AndyCapet, mais sois péremptoire et univoque, comme d'hab' quoi, sinon on te reconnaîtra pas, envoie-le chier dans les bois le Eludril)

Andy Capet

Bonjouuuuur Eludril ? Ça va bien ? Et toi ? Et la famille ? Bien ou bien ? Bon. Cette série.
Ecoute, c'est une série assez idéale pour découvrir certaines facettes de "la" politique. Mais ma note est simple : de quelle politique parle-t-on ? D'une politique que je vais considérer comme antidémocratique. C'est la politique que tout le monde déteste, et Borgen est l'incarnation aimable de tous les arrivismes connus.
C'est la politique de l'idéologie du capitalisme, autrement dit le sens de l'économie d'un territoire (et dont on ne parle JAMAIS comme si les décisions de la femme politique était indépendante de la création de richesses... alors que c'est quasiment le centre de préoccupation de toutes les réalités politiques).

Pour les fans de Machiavel, je présume.
Je dis "pour les fans de Machiavel" car Borgen se révèle intraitable en politique et rusée au point de prendre des lignes de fuite qui ne sont pas forcément les siennes, un peu comme un mouvement centriste... C'est somme toute la représentation de la démocratie dans les pays post-industrialisés, à savoir une dictature capitaliste entraînée par des courants schizophrènes, à la fois mielleux et autoritaires. Et je trouve que la série est très tendre avec son héroïne, elle l'a décrit comme une femme pleine de "bon sens". Sans radicalisme, elle impose des décisions fortes dont on a peu de retour - ce qui compte apparemment c'est l'acte politique, et cela abêtit à mon sens son geste.

Pour moi, la politique que je souhaite voir dans une série, l'idée que je me fais de la politique est à dix mille lieues de ces préoccupations de technocrates élus pour fouler au pied les travailleurs et les travailleuses de tous les pays. C'est même tout l'inverse. Du coup, 5, c'est une très bonne note, c'est la désignation d'une impasse mais qui reste intéressante à exploiter.
Mais bon, je m'arrête là car on va encore me dire que j'impose mes attentes, que je prends mes désirs pour des réalités alors qu'il s'agit de critiquer un contenu. Pour certaines personnes, une critique n'est pas un espace pour aller "à côté" ou "au-delà" de la critique.

Bande de connards.
Voilà. J'espère t'avoir éclairé un tantinet. (j'aime bien dire un "tantinet").

Eludril : Merci de ta réponse, j'en suis arrivé aux même conclusions (j'ai été
assez effaré de la simplicité avec laquelle elle rejette au début de
la saison 3 un projet de nationalisations de grande envergure que
propose un des membres de son nouveau parti (dont la ligne politique
n'est pas encore censée être fixée), son seul commentaire étant "it's
not gonna happen" : et le mec quitte le parti) mais à mes yeux il
s'agit tout de même d'une série très intéressante au même titre que
toute oeuvre qui aurait une anti-héroine.

Et je pense que le machiavélisme de la realpolitik est vraiment
intéressant à voir à l'oeuvre. Comme m'a dit ironiquement une amie
"On voit bien la démocratie à l'oeuvre.". Il se trouve que j'avais
commencé à lire une édition commentée du Prince juste avant de
regarder cette série et on retrouve vraiment le même comportement chez
Birgitte Nyborg que celui que Machiavel conseille au Prince :
apparaître forte en cachant ses faiblesses et doutes, n'interroger
qu'un petit groupe de proches pour récolter leur avis, et surtout
prendre les décisions soi même pour ne pas se faire "voler" le
pouvoir.

Je trouve que justement ne pas avoir fait une série sur la démocratie
telle qu'elle devrait être (et telle qu'on pourrait penser qu'elle
est) mais telle qu'elle est actuellement globalement permettra au
grand public de prendre conscience de la technocratie machiavélique
(et libérale mais c'est vrai que c'est négligé) sous laquelle nous
vivons.

Et j'aime bien dire un "tantinet" aussi.

(Je me sens comme un psychologue de Fémina qui fait face au courrier des lecteurs. J'angoisse. On y pense jamais assez à l'angoisse des psychologues de magazines féminins, je trouve)

Andy Capet

Pour ce qui est de "prendre conscience", la série part vraiment de trop bas, trop de premiers degrés pour en conclure une quelconque prise de conscience. On est pas dans "Quai d'Orsay", histoire qui est déjà très très timide bien que très satirique.

En ce moment, tous les matins (de l'été 2016, sur France Inter ), Patrick Boucheron nous explique diverses facettes de Machiavel. Et si je peux comprendre que les propos de Machiavel et son action aient eu des échos retentissant sur la manière d'administrer les idées de la cité et de forger les rapports sociaux entre gens d'intérêts, j'insiste à penser que ce n'est même pas une série politique. Cette série déteste la politique.

(Ouf. T'as réussi à vendre un point de vue, mon gros. Tu l'as échappé belle.)

Eludril

C'est une série sur la realpolitik, pas sur les idées, les philosophies ou les courants de pensée non dominants de la politique. En y repensant, je retire mon commentaire comme quoi cette série permettra au grand public de "prendre conscience", c'est vrai que le ton est conciliant, j'ai dû présupposer que tout le monde avait les même non-affinités que moi avec notre système et le verrait d'un œil critique, mais force est de constater que cette critique n'est pas présente dans la série mais (éventuellement) dans l’œil de celui qui la regarde. Moi j'ai bien aimé comme j'ai bien aimé lire machiavel ou consulter wikiberal, parce que ça me permet de mieux comprendre l'étendue de mes divergences avec ces œuvres et idées.

(Merci infiniment Eludril d'avoir permis à cette critique d'exister)

Andy-Capet
5
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le 30 juil. 2022

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Andy Capet

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