Capital
6.8
Capital

Série BBC One (2015)

Le décor, c'est Pepys Road, petite rue pavillonnaire de Londres.
C'est là que vivent tous les personnages de cette mini-série de trois épisodes, produite par la BBC et diffusée sur Arte.
Nous avons Petunia, charmante petite veuve qui a passé toute sa vie dans sa maison depuis plus de 60 ans maintenant. Tous ses souvenirs y sont (et bien plus encore, mais on ne le sait pas lorsque débute la série). Elle est un peu la mémoire du quartier : à l'ouverture du premier épisode, elle témoigne des changements survenus dans la rue et, par extension, dans l'ensemble de la métropole londonienne. L'arrivée des étrangers, la hausse des prix de l'immobilier qui a fait fuir les ouvriers, etc.
Il y a Roger, l'exemple du Londonien actif, du cadre dynamique comme on aime à les montrer. Trader, il gagne suffisamment bien sa vie pour permettre à madame (Arabella) de rester à la maison, employer une nounou pour les enfants et payer une résidence secondaire à la campagne, en mode gentleman farmer. Et comme la fin d'année approche, il espère un bonus conséquent, entre 1 et 2 millions de livres. De quoi faire oublier qu'il ne s'occupe pas de ses enfants et qu'il va au travail avant tout pour fuir sa famille.
Un peu plus loin, il y a la famille Shahid, des immigrés pakistanais, trois frères dont l'aîné, Ahmed, tient la seule épicerie de la rue.
Il y a aussi Quentina, réfugiée zimbabwéenne, que l'administration britannique veut renvoyer au pays malgré les risques qu'elle va y encourir et qui, en attendant, gagne péniblement sa vie comme pervenche, en toute illégalité puisque son statut lui interdit de travailler.
Il y a Piotr et Bogdan, travailleurs polonais vivant sur les chantiers où ils travaillent essentiellement au noir.
Tout ce beau monde, et quelques autres encore, vivent les uns à côté des autres sans se connaître. On se côtoie, on se croise, mais on ne se voit pas, on ne se parle pas. On s'excuse même lorsque l'on doit s'adresser la parole. "Pourquoi tout le monde s'excuse ici ?", demande Mashenko, le petit ami de Quentina.Tout le monde semble avoir peur de l'autre, peur de le froisser, peur de communiquer même. Les visages sont fermés.
Se dresse alors tout un portrait de la ville moderne, et Londres est une cité idéale pour décrire cette modernité froide, où on peut croiser des personnes venant du monde entier mais où on ne regarde personne, on ne parle à personne, on ne s'intéresse à personne. Même au sein d'un couple, comme celui de Roger et Arabella, chacun vit dans son coin, avec ses rêves et ses envies. Chaque personne est isolée. "Avant, quand j'ai commencé à travailler, c'était les relations qui primaient. Maintenant ce sont les mathématiques." Portrait d'une société froide et inhumaine qui illustre tout le paradoxe urbain : vivre au milieu d'un foule de gens, et être quand même seul.


Cependant, un fait va unir tous les habitants de cette rue et va les inciter à s'ouvrir petit à petit aux autres. Tous vont recevoir des cartes avec, comme unique légende : "We want what you have". Et les cartes se font de plus en plus menaçantes.
Le titre original, Capital, peut se lire comme un jeu de mots : d'un côté la capitale, Londres, et toute la réflexion liée aux villes modernes. Et, d'un autre côté, le capital.
Pour faire le lien d'une séquence à l'autre, on voit, comme la cagnotte d'un jeu télé, une somme qui grossit de mois en mois. Et ces cartes, que l'on prenait, au début, pour la pub d'un agent immobilier, font de plus en plus penser à des menaces liées aux coûts des maisons, dont le prix devient exorbitant dans la capitale britannique. Une intrigue policière se met en place, certes secondaire, mais qui permet de révéler encore certains aspects de la société britannique, en particulier le communautarisme. Communautarisme des Pakistanais, qui se croient persécutés par les autorités parce qu'ils sont étrangers. Communautarisme social aussi des plus riches, qui croient que leur argent les autorise à avoir une protection policière particulière parce qu'ils seraient une cible privilégiée. Communautarisme entretenu d'ailleurs par l'Etat, que cet isolement des individus et des communautés arrange. La société, perçue comme l'union de personnes vivant ensemble, est complètement éclatée.


Les trois seuls épisodes qui constituent cette mini-série prouvent que la BBC a conservé toute la vigueur de sa création artistique. C'est écrit avec finesse, les personnages sont bien construits et profondément sympathiques, malgré leurs défauts (ou grâce à eux : après tout ce sont les défauts qui constituent le réalisme des personnages, bien souvent). le résultat est vraiment émouvant, parfois drôle, et même inquiétants. En tout cas, on regrette que cela ne dure que trois heures, et on repartirait bien pour quelques heures de plus.

SanFelice
8
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le 13 mai 2017

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