Après avoir écrit mon commentaire sur le "Danton" (1983) de Wajda, place aujourd'hui au téléfilm de Stellio Lorenzi "La terreur et la vertu" qui était sorti en 1964 à l'ORTF dans le cadre de l'émission "la caméra explore le temps".

Le film est en deux parties "Danton" puis "Robespierre".

La première partie est celle qui est directement comparable au film de Wajda. D'un point de vue scénaristique, la période historique du téléfilm de Lorenzi s'étend toutefois au complot "hébertiste" qui a précédé le retour de Danton de sa retraite en province. Il ne s'agit que de quelques jours mais cela permet de dévoiler une certaine stratégie du duo Robespierre / Saint-Just qui a voulu agir en deux temps pour (peut-être) préparer l'opinion publique ou la Convention. Le film de Wajda commence après l'exécution d'Hébert (24/03/94) tandis que l'exécution de Danton aura lieu le 5 avril…

J'ai l'air de pinailler mais on voit ainsi mieux dans le téléfilm que Robespierre naviguait entre des tendances plus extrémistes à gauche (Hébert) et luttait contre une volonté plus conciliante, moins pure (Danton). L'élimination de l'un puis de l'autre semblait donc lui ouvrir une route moins encombrée.

Alors que le film de Wajda montre Robespierre convaincu de son absence de choix avec l'exécution de Danton et donc du sentiment d'aller dans le mur, le téléfilm dégage l'espace politique autour de Robespierre. Mais c'est la deuxième partie qui montrera que ses exigences de purification et d'assainissement de la société, nécessitant le maintien de la Terreur pour enfin atteindre la Vertu, vont se heurter à une lassitude et à une coalition sourde et discrète venue justement du centre (le "marais" et la "plaine" pour reprendre les expressions du film face aux jacobins) et même de membres du comité de salut public (Carnot, Collot d'Herbois ..).

Entre les deux films, on est dans la convergence d'opinion. Quelques détails liés à l'aspect spectaculaire chez Wajda tandis qu'on est dans la sobriété chez Lorenzi. Mais le fond de l'Histoire est le même. Les personnages sont équivalents.

Depardieu chez Wajda et Jacques Ferrière chez Lorenzi. Deux tribuns qui défendent leur bifteck avec la même rage, la même habileté. Je n'ai pas envie de les départager car leurs différences même plaident pour chacun d'eux. Jacques Ferrière, qui est plutôt un homme de théâtre et de télévision, et Depardieu sont excellents. L'image qu'ils donnent aide à mettre en relief le personnage de Danton. La fameuse réunion – décisive – sans témoin – intime - entre Robespierre et Danton est traitée très différemment dans les deux films. Et j'ai envie de croire aux deux mises en scène. Car, dans la réalité, il s'agissait bien d'une vraie mise en scène de séduction, remarquablement menée et par Wajda et par Lorenzi.

Le personnage clé de Camille Desmoulins, ami intime de Robespierre et de Danton, est joué par Patrice Chéreau chez Wajda et Roger Crouzet chez Lorenzi ; marrant de voir le look et le jeu sont quasiment les mêmes pour montrer une face humaniste de la révolution avec sa femme et son enfant …

Le personnage de Robespierre est joué par Jean Negroni chez Lorenzi et Pszoniak chez Wajda. À mon avis, il y a un avantage net pour Negroni qui est surtout lié au fait que le personnage est bien mieux développé chez Lorenzi. On voit plus clairement le fond de la pensée de Robespierre et son caractère inhumain car profondément solitaire et nourri à la pensée de Rousseau. Il n'a que le mot "peuple" à la bouche mais il en est si loin. On y perçoit toute la froideur du mot "vertu".

Le personnage de Saint-Just est mieux mis en valeur chez Lorenzi : il faut dire aussi que j'aime bien l'acteur qui tient le rôle, à savoir Denis Manuel. Dans les deux films, il a un look sympa mais se révèle froidement calculateur. Quand il faut couper le bras, on coupe le bras.

À noter un Français Maistre étonnant et très bon dans le rôle d'Hébert chez Lorenzi.

Pour conclure, le film de Lorenzi est passionnant car prend le temps de développer les personnages ; on cerne bien les enjeux et la mentalité des gens qui gouvernent alors le pays. Très intelligemment et sans excès, le scénario fait parler quelques témoins qui donnent une idée de la perception extérieure, qui, là encore, donne de la perspective.

Le film de Stellio Lorenzi n'a pas une vocation de documentaire mais donne une image très intéressante de ces moments clé de la révolution en mettant en scène les derniers jours ou mois de deux personnages emblématiques, Danton et Robespierre.

Le film de Wajda s'inscrit dans une même perspective et donne le même sens à l'Histoire. Il est juste plus spectaculaire.

JeanG55
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le 30 juil. 2023

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