La série revient sur l'affaire Cantat, le meurtre de Marie Trintignant et son traitement médiatique, le suicide de Krisztina Rády quelques années plus tard, puis le retour de Bertrand Cantat à la vie publique.
Malheureusement, on retrouve un peu le montage sensationnaliste à l'américaine habituel des documentaires Netflix, mais le fond est suffisamment documenté pour contrebalancer.
Je ne m'étendrai pas sur la réalisation de la série, pour me concentrer plutôt sur l'éclairage qu'elle porte sur cette affaire.
Lorsqu'adolescente j'ai commencé à écouter Noir Désir, Bertrand Cantat était en prison pour le meurtre de Marie Trintignant. Tout ce que j'avais entendu de cette affaire à l'époque, c'était qu'une violente dispute avait conduit à un terrible accident aux conséquences tragiques. Tragique certes, mais surtout pas de bol pour cet immense artiste, accablé par le chagrin de la perte de sa bien-aimée et emprisonné pour un malheureux accident. En plus, paraissait-il, la dite bien-aimée n'était pas un parangon d'innocence non plus, elle se droguait et avait des tendances à l'hystérie disait-on. C'était la version qui semblait faire consensus à l'époque, des torts partagés au sein d'un couple de stars sulfureux, que la passion excessive avait conduit à la destruction. La version de la défense avait remporté l'opinion publique, nous amenant à nous identifier plus à lui qu'à sa victime, quitte à la trainer dans la boue pour les besoins du scénario. Il faut rappeler qu'il n'y avait pas encore vraiment de réseaux sociaux et que les sources d'information pour le grand public se limitaient peu ou prou aux grands médias (télé, radio, journaux). Et les médias, ils l'aimaient Bertrand Cantat, d'ailleurs les gens aussi l'aimaient, l'adoraient même, c'était une icône, une fierté française (tiens ça rappelle quelque chose...), et cette affaire était un choc, en particulier le risque qu'elle scelle le destin du groupe Noir Désir (quel cynisme).
En ce qui me concerne, j'ai énormément écouté Noir Désir, pendant des années, leur musique me foutait les poils et certains de leurs morceaux m'ont accompagnée dans des moments clés de ma vie. Je m'étais satisfaite de cette version de l'histoire, c'était surement plus confortable de ne pas chercher plus loin, et d'être à ce point touchée par la voix de quelqu'un ayant involontairement causé un regrettable accident, plutôt que par celle d'un meurtrier.
Les années ont passé, j'ai muri, mon regard féministe s'est affuté et mes connaissances sur les VSS aussi, mais je n'avais pas repensé à cette affaire depuis très longtemps. Lorsque pour la première fois, j'ai vu le terme féminicide appliqué à cette affaire, ça a fait tilt, avec cette sorte de dissonance cognitive qu'on perçoit quand on entrevoit sous un jour nouveau quelque chose qu'on n'avait, par facilité, jamais remis en question. Alors j'ai creusé et j'ai compris, tout était évident depuis le début, il suffisait de vouloir le voir.
Cette affaire est en fait tristement banale, c'est l'histoire d'un homme violent, possessif et manipulateur qui, cette fois-ci, a cogné trop fort pour que sa victime survive à ses coups. Un féminicide comme il y en a des centaines. La seule chose qui rend cette affaire exceptionnelle est qu'il s'agit d'un homme puissant et adulé, qui a de ce fait bénéficié d'un soutien médiatique hors norme pour préserver son image publique malgré la gravité de ses actes.
La série présente les éléments du dossier et montre notamment que la thèse de l'accident ne tient pas, le rapport d'autopsie, pourtant connu très rapidement après les faits, la contredit formellement (on ne cogne pas à une vingtaine de reprises le visages de quelqu'un par accident).
On y voit aussi comment sa défense s'est organisée pour minimiser sa responsabilité et même le faire passer lui pour une victime en dégradant l'image de Marie Trintignant, et comment les médias ont allègrement relayé ce discours.
Un épisode est également consacré à Krisztina Rády, ex-compagne de Bertrand Cantat et mère de ses enfants, chez qui il retourne vivre à sa sortie de prison. Elle se suicide 2 ans plus tard après un message de détresse laissé à ses parents. On apprend que Bertrand Cantat avait un comportement coercitif et qu'il l'avait déjà violentée, avant même le meurtre de Marie Trintignant, et que c'était de notoriété publique parmi leurs proches. Ces proches l'ont pourtant couvert au procès, y compris elle-même pour protéger le père de ses enfants, prétendant qu'il n'avait jamais été violent par le passé.
Personnellement, la série ne m'a pas appris grand chose sur l'affaire car j'avais déjà pas mal creusé le sujet, mais elle a le (grand) mérite d'exposer ce dossier au plus grand nombre. Elle est courte (3 épisodes de 40 min) mais suffisamment détaillée, elle donne la parole aux deux parties, laissant à chacun la possibilité de se forger son opinion, et elle est diffusée sur Netflix donc facilement accessible. Maintenant, plus personne n'aura d'excuse pour ignorer le fond de cette affaire.
Car bien que tous les éléments présentés dans la série soient accessibles depuis longtemps à quiconque souhaitant un tant soit peu en prendre connaissance, je suis effarée de voir le soutien dont bénéficie toujours Bertrand Cantat et le déni collectif concernant son crime.
Si certaines personnes veulent "séparer l'homme de l'artiste", qu'elles commencent déjà par regarder la réalité en face et admettre qu'il s'agit d'un homme violent et d'un meurtrier, elles pourront alors "séparer le meurtrier de l'artiste" si ça leur chante, et cette position sera certainement plus compliquée à tenir. Mais ce sont en général ces mêmes personnes qui par ailleurs minimisent les faits. Finalement leur propos se résume par : cet homme est innocent ou presque, et quand bien même il serait un tout petit peu coupable, il faut séparer l'homme de l'artiste (pile je gagne face tu perds).
Mais ce déni collectif en dit surtout long sur notre société, encore aujourd'hui. La carrière d'un homme influent vaut plus que la vie d'une femme. C'est difficile à assumer, alors on regarde ailleurs et on déforme la réalité pour qu'elle semble moins laide, plus acceptable. Et c'est finalement ça qui est le plus insuportable.
Pour conclure, rappelons quelques évidences, juste au cas où.
On ne tue pas par amour, on ne cogne pas sous l'emprise de la passion, le crime passionnel n'existe pas, c'est est un mythe patriarcal pour faire peser sur les victimes la responsabilité de leur propre meurtre. Une victime n'est pas responsable des violences commises par son bourreau. Et lorsqu'un homme tabasse ou tue sa compagne ou son ex-compagne, ce n'est pas parce qu'il l'aime trop, c'est parce qu'il ne la possède pas assez. C'est l'expression de sa volonté de la soumettre, de disposer entièrement d'elle, de son corps, de sa vie. Et l'affaire Cantat en est un exemple parmi d'autres.