Detectorists
7.9
Detectorists

Série BBC Four (2014)

Faut-il un détecteur de métaux pour trouver le bonheur ?

Pour nous Français, tellement jacobins, tellement centralisateurs, tellement… parisiens, il est difficile de comprendre la fascination des Anglais pour leur campagne, pour leur tranquille petite vie provinciale, à la… médiocrité (de notre point de vue) assumée. Mais il est facile par contre de succomber à toutes ces fictions délicieuses qu’a engendré depuis toujours ce monde (souvent faussement) paisible, à l’écart de la furie de la modernité, où traditions et banalité quotidienne se mêlent dans une sorte de philosophie du renoncement, pimentée par une bonne dose d’humour. De J.K. Jerome et ses "Trois Hommes dans un Bateau", à Detectorists et son équipe bancale et bariolée d’obsédés de la détection des métaux, en passant par le "Village Green Society" de Ray Davies et ses Kinks, cette Angleterre-là, traditionnelle à l’excès, « brexiteuse » sans aucun doute, continue d’engendrer de belles œuvres de fiction.


"Detectorists", donc… Ecrite par Mackenzie Crook, cette drôle de tronche cantonnée dans des seconds rôles de « sales gueules » depuis sa révélation en paranoïaque extrémiste et imbécile dans "The Office", "Detectorists" a souvent été assimilée en Grande-Bretagne au même courant que les mockumentaires acerbes de Ricky Gervais, alors que, clairement, on est ici devant une toute autre approche, beaucoup plus « classique » d’une certaine manière.


Les trois saisons de "Detectorists" nous racontent les existences paisibles au point de frôler la médiocrité d’Andy (Mackenzie Crook, très juste dans la représentation d’une certaine lâcheté existentielle) et de Lance (l’excellent Toby Jones, qui a enfin l’occasion de briller dans un rôle complexe, et qui s’avère touchant à l’extrême, malgré, ou à cause, de cette sorte de malaise inquiétant qui rôde toujours quelque part dans ses yeux clairs) : faisant partie du minuscule club local d'obsédés de la recherche de trésors, ils vivent leur passion surtout comme l’occasion parfaite de passer la majorité de leur existence « entre parenthèses », déambulant dans une campagne idyllique en radotant sur les jeux télévisés de la veille au soir.


Pas vraiment de quoi faire une série TV passionnante, nous direz-vous ? Certes, certes, "Detectorists" n’est pas faite pour les impatients, et la procrastination ainsi que la fuite systématique des personnages devant leurs responsabilités peut indéniablement irriter à la longue, d’autant que les enjeux de la fiction sont minimaux : d’abord l’affrontement avec « Simon & Garfunkel », concurrents fourbes toujours prêts à venir détecter sur leur territoire, pour leur voler ces incroyables trésors que nul ne découvrira sans doute jamais ; ensuite, dans la seconde saison, plus riche en péripéties, la recherche d’une avion allemand qui s’est écrasé pendant la guerre, à la demande d’un étrange touriste trop sympathique pour être honnête ; et enfin, dans la troisième et dernière saison, la nécessité d’affronter la fin d’une période de sa vie, quand la construction d’une ferme solaire prive Andy et Lance de leur terrain de jeu.


C’est évidemment la vie sentimentale et familiale de Lance et Andy qui est le cœur de la série : tous deux démissionnaires et pusillanimes quand il s’agit d’affronter la « vraie vie », c’est-à-dire de lever le nez du sol et d’enlever les écouteurs de leurs détecteurs de métaux, ils vont avoir la chance d’être aimés par des femmes qu’ils ne méritent certainement pas, et de trouver finalement une sorte de salut dans la famille – une fille retrouvée pour Lance, qui introduira un chaos bienvenu dans son existence maniaque, et la naissance d’un fils d’abord non planifié pour Andy, qui trouvera in extremis un autre sens à sa vie dans la construction d’un foyer. Car il est clair que Mackenzie Crook croit à l’amour, même le plus farfelu (comme celui, formidablement touchant, qui unit l’impayable couple Sheila – Terry), et c’est cette croyance inépuisable qui confère à "Detectorists" une luminosité rare.


Oui, dans une campagne anglaise radieuse où bourdonne encore la vie animale, perpétuellement baignée d’un improbable soleil (sauf dans l’épisode de Noël de la fin de la seconde saison, d’ailleurs le seul qui soit raté), la réconciliation est toujours possible, comme dans cette formidable scène finale qui met les larmes aux yeux. Et à ce moment-là, l’or se met littéralement à ruisseler, laissant craindre un happy end trop convenu. Mais la caméra s’élève vers le ciel, et on ne verra rien de la « danse de l’or » de nos "Detectorists" : Mackenzie Crook a cette belle pudeur-là, de nous laisser à nous le soin d’imaginer la suite.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/03/17/arte-detectorists-faut-il-un-detecteur-de-metaux-pour-trouver-le-bonheur/

EricDebarnot
7
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Créée

le 17 mars 2021

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Eric BBYoda

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