Sans hésitation aucune, on peut dire que Dexter fut une série qui aura fait parler d’elle, aussi bien à ses débuts qu’en fin de parcours ou les multiples critiques, dirais-je même presque, insultes envers les scénaristes de la série ont été on ne peut plus violentes. Un final jugé raté, des situations sans aucun sens, un héros et des personnages secondaires de plus en plus effacés. Certaines critiques sont logiques, légitimes, mais les spectateurs ont-ils pris suffisamment de recul face à cette scène finale ? Face à ce constat tragique qu’est le personnage de Dexter ? Au final en y regardant bien, on se demande si tout cela n’est pas un peu trop, et surtout si les scénaristes non pas au contraire remplis leurs rôles, en prenant à contrepied la totalité ou presque de leur auditoire.
Quand à l’origine du projet, Showtime à décidé d’élaborer cette série mettant en scène un anti-héros total, il était évident qu’il y avait une volonté d’aller à contre-courant, de choquer voire même de modifier la vision du spectateur, de le perturber. Se basant sur un héros charismatique, tueur en série et pourtant analyste dans le département homicide de Miami, la chaîne américaine à pris un risque qui à pourtant porté ses fruits, changeant complètement la vision que les spectateurs pouvaient se faire d’un héros télévisuel. Il n’était pas le premier personnage de ce genre, à obtenir un rôle si important et à être porté au nu, pourtant le succès fut présent et n’a jamais vraiment cessé, même en fin de vie. La raison est simple : d’une manière ou d’une autre, Dexter est un personnage fascinant, une figure presque héroïque qu’on fantasme tous de temps à autre. Après tout, qui n’a jamais rêvé qu’un pédophile ou un violeur récidiviste se voit infligé la sentence irrévocable ? Qui n’a jamais souhaité faire justice par lui-même ? Le génie de la série repose en partie sur le fait qu’elle ne se place jamais en tant que juge. Jamais elle ne viendra décider pour vous, de ce qui est bien ou mal. Elle vous laisse seul, face à notre propre esprit critique tout en cherchant malgré tout à nous orienter vers une fascination du sang. Il ne tient qu’à nous ensuite de nous en défaire, de sortir de ce cercle.
De plus, elle flatte constamment notre égo, nous mettant constamment face à des situations rocambolesques, jusqu’à arriver au moment fatidique du meurtre, rituel contrôlé et inviolable qui satisfait enfin notre désir de violence. Outre un effet cathartique évident, la série nous mets en face d’un héros hors du monde. Dexter est un faux, un personnage qui au réveil mets sur son visage ce masque qu’il ne quittera que bien plus tard. Il offre des donuts le matin, souris quand cela est nécessaire et essaie au mieux de garder ses pensées noires pour lui. Jamais ou presque il ne se dévoile, à part évidemment lors de ses rituels ou il peut enfin dialoguer comme il l’entend, avec ses futures victimes. Un personnage qui nous fait rêver, qui fait face à une société bien pensante, n’hésitant pas à la critiquer car il n’a au final aucun lien avec celle-ci. Une chose que tout le monde ne peut pas faire cela va de soit, il est donc revigorant de voir Dexter critiquer le rêve américain, d’user de ses failles pour effectuer la basse besogne que personne n’aimerait avoir à faire, sans hypocrisie.
La flatterie ne s’arrête pourtant pas à cela, elle s’insinue dans les détails, dans la vie de tous les jours et les actes communs qui nous régissent et nous définissent. Beaucoup connaissent ce fameux générique, narrant l’éveil du héros et sa manière d’agir. A travers de simples plans, réglés au millimètre, Dexter nous montre que contrairement à tous nos semblables, et surtout ceux qui l’entourent, il à le contrôle de sa vie. Pas de mouvements brusques, pas de gestes inconsidérés et pas de grandes envolées colériques, il parait infiniment plus « humain » que nous. De là s’établit un fantasme assez logique, qui nous pousse à nous imaginer dans la peau du héros, du justicier. On rêverait presque d’avoir sa capacité de déduction, sa manière d’être et d’agir face aux autres, son don pour la manipulation. En cela on pourrait presque le mettre face à des personnages tels que Rorschach dans Watchmen ou le Transporteur, interprété par Jason Statham au cinéma, qui agissait lui aussi selon des règles bien précises, lui permettant d’avoir un contrôle qu’il ne pourrait obtenir autrement. De plus, il était doué d’un don du combat qui à servi en cela à créer un respect de l’auditoire.
En cela Dexter serait un maître pour nous, un « être supérieur » capable d’agir quand nous, nous en serions incapables. Il nous éblouie, nous intrigue, et nous surprend dans sa capacité à agir et à toujours réussir à garder son secret en lieu sûr, en tout cas jusqu’à un certain point. L’empathie s’est crée depuis longtemps et ce que vit Dexter, nous le vivons aussi, même quand celui perd une personne chère à ses yeux. Ce que le spectateur oublie par contre, c’est que Dexter est loin d’être ce maître imperturbable qu’il croit voir. Il est soumis à une pression, à une impossibilité constante de ressentir et est donc pratiquement incapable de s’adapter à notre environnement. Il évolue donc au fil des saisons, agissant de manière plus ou moins logique face à des situations que nous, nous pourrions gérer. Et c’est sur ce point que Dexter vient gêner voire énerver la grande majorité de son auditoire. Celui-ci étant désormais habitué à la vue du sang, au plaisir du rituel et surtout, au fait qu’il voit ses pensées les plus malsaines prendre forme (il suffit de voir à quel point la quatrième saison est appréciée), il vient à être irrité quand Dexter au fil des saisons commence à s’adapter à notre environnement. Cette fascination s’estompe chez le spectateur à mesure que le rituel pour Dexter perd peu à peu de sa valeur, allant jusqu’à abandonner ces fameux échantillons sanguins. Ce maître, cet être si charismatique que l’on appréciait tant devient peu à peu vecteur de haine, celui-ci perdant ses fondamentaux au profit d’une personnalité plus policée.
Cela amène donc à un constat frappant : Dexter à bel et bien changé notre perception, notre vision du bien et du mal. En créant de l’empathie pour un personnage somme toute abject, presque inhumain, nous avons pris goût au fil du temps à tout ce sang, toute cette misère et cette violence. Au point même que certains voyaient pour Dexter un happy ending, oubliant la base fondamentale de la série : le drame. Dexter est un personnage qui est né dans le sang et les larmes. Le spectateur aurait donc préféré voir ce héros sortir victorieux de son combat plutôt que le voir comme il est réellement, un tueur en série qui n’agit que pour son plaisir propre. Malgré ses règles, il reste un héros affreux, qui attends son prochain meurtre comme un enfant attends son cadeau. C’est en cela que la décision des scénaristes pour le dernier épisode est si bien pensée. En décidant de faire payer son héros pour ses pêchés, quand celui-ci s’attendait à tout voir rentrer dans l’ordre, il l’oblige à prendre ses responsabilités et se mettre enfin en face de son état : il est un tueur sanguinaire qui n’a fait que détruire ce qu’il y avait autour de lui, usant d’un « code » et disant protéger la société dans le simple but d’assouvir son désir. Son seul espoir est désormais d’errer seul, afin de ne plus blesser autrui, et d’attendre une sentence qui ne viendra probablement jamais.
De la sorte, les scénaristes ont à la fois agis sur le personnage qu’ils ont crées et sur le spectateur lui-même, en ne lui donnant pas ce qu’il attendait. Celui-ci, déçu voire trahi, se voit donc mis face à une situation perturbante qui consistait à voir la violence et le sang gagner la bataille contre la loi et l’ordre. En ne satisfaisant pas l’égo de son auditoire, la série et son héros échange les rôles et place le spectateur face à un miroir qui ne fera que refléter son animalité. La boucle est bouclée.
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