En thérapie
7.4
En thérapie

Série Arte (2021)

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Diffusée sur Arte, la série En thérapie, écrite notamment par David Elkaïm et Vincent Poymiro, est une mosaïque de riches portraits accidentés et une lecture audacieuse de nos existences minées par le chaos.


En thérapie d’Olivier Nakache et Eric Toledano est une série qui possède une qualité identique à l’œuvre de Scott Franck, Le Jeu de la dame. Celle de nous faire découvrir un domaine (celui de la thérapie), domaine qui comprend ses codes, son champ lexical ou son processus, et de le rendre accessible à tous. Même s’il est difficile pour le spectateur d’assimiler toutes les nuances du propos, d’emboiter toutes les pièces du puzzle et de saisir toute la technicité du langage psychanalytique, les dialogues et leurs logiques humaines arrivent parfaitement à nous faire appréhender les ramifications entre l’histoire de chacun des personnages et le reflet du problème qui se présente à nous. Ce qui rend la série addictive et capte immédiatement l’attention du spectateur, tout en se détachant de l’idée du « cliffhanger« , c’est cette capacité à utiliser à bon escient, et pour chaque protagoniste, le même schéma tout en le renouvelant séance après séance : la matérialisation d’un fait, son explication, son lien avec un souvenir ou d’autres sentiments, pour y trouver une source ou une racine.


Avec son cadre simple, celui du lieu de travail (et de vie) d’un psychiatre, et sa manière de l’adjoindre à son unité de temps rigide (un épisode = une séance avec un patient), En thérapie nous immisce dans, voire nous confronte au processus psychanalytique. Le secret professionnel n’est plus un secret pour le spectateur qui voit tout, entend tout et, au fil des épisodes et donc des séances, dispose surtout de cette double casquette : à la fois celle de se mettre à la place du psychiatre pour déceler les motifs des agissements des patients et comprendre leurs blessures, et celle de se positionner du côté des patients, de sentir le poids du regard de l’autre et de trouver une parade à la question ou à la manipulation qui va survenir. De la confrontation à l’osmose, il n’y a qu’un pas.


Cette adaptation de la série israélienne BeTipul se déroule à un moment bien précis et, surtout, bien réel. Les attentats du Bataclan, pour encore mieux rendre l’environnement palpable et tangible à nos yeux, n’est pas un sujet en tant que tel mais davantage un contexte chaotique selon lequel beaucoup de choses peuvent s’expliquer ou même s’écouter. Car il est question de cela dans En thérapie : l’écoute, l’acceptation de soi, l’analyse et la prise de parole. Souvent, le personnage du psychiatre l’énoncera : ce n’est pas à lui de donner un avis ou un jugement, il est là pour éveiller cette parole enfouie profondément et ouvrir un inconscient qui porte bien son nom. L’oeuvre parle de l’individu à la fois en tant qu’individualité et en tant que composante d’une société aux contours bien flous, à l’image du personnage d’Adel reprochant aux gens leur passivité ou leur hypocrisie « bien-pensante ».


Mais cette écoute, celle du spectateur ou celle de chacun des protagonistes envers les autres, accentue le poids des mots et la qualité du récit écrit par David Elkaïm, Vincent Poymiro et toute leur équipe. Récit d’une densité aussi vertigineuse que didactique, aussi fluide que loquace, mais aussi et surtout incarné de manière incroyable : on est happés par la retenue et le ton de voix de Frédéric Pierrot, la délicate fragilité de Mélanie Thierry, le volcan apaisé qu’est Reda Kateb, la liberté enchaînée que dévoile Clémence Poésy, la présence virile et ambiguë de Pio Marmaï ou l’excentricité juvénile de Céleste Brunnquell. La rigidité du cadre, les douces mélodies de Yuksek et l’humilité de la mise en scène permettent à la série de se concentrer sur le poids des mots et l’incarnation de ces derniers par un casting de haut vol qui ne tombe jamais dans le pastiche. Avec son unité de temps et de lieu, et son amour pour le verbiage, En thérapie est une série très théâtrale, dans le sens le plus noble : celui de donner la parole à ses immenses acteurs.


Durant ces 35 épisodes, qui durent entre 20 et 30 minutes, on suit les séances avec concentration et empathie, séances qui ont cette faculté de parler de bien des choses : de la France, de notre responsabilité individuelle et collective, de notre zone de confort, de nos contradictions, nos frustrations ou nos désirs personnels ou familiaux. La série est idéalement ancrée dans le réel. De cette écoute attentive naissent de nombreuses émotions allant de la tristesse à la joie, de la compassion à l’expectative, voire même l’identification. Une chirurgienne qui a tendance à se détester, un flic de la BRI qui prend en plein visage la violence du monde, une jeune fille instable et un couple en discordance, tout un panel qui, socialement et humainement, retranscrit de manière précise mais non exhaustive les maux de notre société. On pourra reprocher à la série, miroir un peu scolaire de notre société, un récit qu’on voit venir un peu rapidement dans ses intentions, mais l’œuvre parvient tout de même à nous cueillir quand on s’y attend le moins, à nous questionner de manière certaine, comme l’atteste par exemple le magnifique épisode 27 qui balance entre l’effroi de la situation et l’apaisement du personnage. Une très belle réussite.


Article original sur LeMagducine

Velvetman
8
Écrit par

Créée

le 8 févr. 2021

Critique lue 3.8K fois

55 j'aime

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Velvetman

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