La mort n’est pas un processus rectiligne. Elle emprunte des chemins tortueux et déclenche des mécanismes complexes chez les vivants, partagés entre plaisir morbide, volonté de comprendre ou fuite en avant pour cacher ce que l’on sait. Elle secoue le cocotier, même si vous trouverez peu de cocotiers dans le Midsomer, comté anglais fictif où officie l’inspecteur Barnaby. Un comté de petits villages tous plus charmant les uns que les autres, que tout bon citadin qui se respecte doit savoir éviter à tout prix. Car n’oublions pas une règle d’or dans la fiction et même dans la mentalité anglaise : si tout se passe bien, c’est que quelque chose cloche. Inspecteur Barnaby est une série policière anglaise créée en 1997 d’après les romans de Caroline Graham.


Meurtre dans un village anglais


Cela tient à peu de choses certes mais il est difficile d’évoquer Inspecteur Barnaby sans parler de son côté très anglais. Difficile à définir, cette « anglicité » se lit déjà dans la situation géographique du Midsomer. Pas une ville à l’horizon, rien que de petits villages tranquilles avec leur châtelain, leur pub, leur ferme, leur église et leur fête de village qui semble l’unique horizon annuel de la moitié de la population. Un monde propret terriblement anxiogène où même l’arrivée d’une nouvelle voiture sur la place du village provoque des ragots pour les semaines à venir. Attention, pas vraiment de racisme non plus. Contrairement aux français qui ont appris très tôt à se souder contre le voisin toujours trop entreprenant (même si parfois le voisin en question était à 10 kilomètres), l’anglais qui vient d’une île n’a pas d’autre ennemi que le voisin proche, dans un revival lutte des classes entre populo et propriétaires terriens, prêtre et athée congénital, sans oublier que souvent les deux ennemis sont frères ou cousins.


Bref, une ambiance charmante qui ne manque pas de voler en éclat quand se produit l’impensable : le meurtre. Les langues se délient et la machine démarre, amenant des intrigues souvent sordides, entre frères cachés et haines ancestrales voire consanguines.


Gérer l’inertie du mouvement du monde


Pour démêler les intrigues, il y a l’inspecteur Barnaby, un citadin récemment converti à la vie rurale, très heureux de troquer les banals meurtres londoniens pour les règlements de compte entre notables. En dehors de son univers glauque mais fantasque (on n’y retrouve pas la crudité de séries plaçant leur univers dans des banlieues difficiles, par exemple), ce qui rend fascinant Inspecteur Barnaby est le travail autour du timing et des avancées de l’intrigue. Dans le Midsomer, il n’y a pas d’interrogatoire, de perquisitions, juste une équipe très resserrée (Barnaby, son adjoint, une scientifique/légiste) qui va remuer le microcosme local jusqu’à ce que le meurtrier fasse un faux pas. Dans cette série, l’intrigue se lit comme un puzzle long à déchiffrer, un cheminement lent et patient. Ces deux adjectifs s’appliquent aussi au format de la série, les épisodes durant 100 minutes.


Cela amène une dilatation globale de la narration qui n’est pas pour rien dans la sensation globale d’étrangeté de la série. Dans certains épisodes, le premier meurtre a lieu au bout d’un quart d’heure. Et le terme de « premier » est important, vu qu’il y en a souvent deux ou trois par épisode. Le fait de savoir que la mort peut toucher un des suspects à tout instant nous empêche d’être dans la position confortable du spectateur enquêteur, car certains signes qui transforment un personnage en potentiel coupable ne sont plus vraiment valables quand celui-ci est retrouvé mort tué par balle/poison/noyade/écrasement par une arme expérimentale/attaque d’un cavalier sans tête/…


Même si chaque épisode a une structure de base avec notamment l’explication finale de Barnaby, enjeu dramatique majeur car il regroupe tous les protagonistes de l’affaire, cette impression de flottement rend l’expérience de spectateur fascinante : malgré le cadre formaté de l’enquête policière, Inspecteur Barnaby propose une expérience de dilatation du temps et de la perception. Qui peut être rapprochée de Doctor Who, dans ce que l’Angleterre a de plus décalé. C’est ce terme de décalé qui définit finalement le mieux cette série : quand des changements dans le monde provoque un flottement, où les pulsions sont exacerbées, où toute notre perception est brouillée, il ne faut pas être acteur mais plutôt spectateur avisé. Un travail de flic, en somme.

Julien_Mazars
9
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le 9 avr. 2017

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Julien Mazars

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