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La première saison, je lui mettais 7. La deuxième saison, je montais à 8. La troisième, ça passait à 9. Et puis, lorsque j'ai attribué la note finale, j'ai mis 10. Parce que oui, il y a un certain nombre d'imperfections voire d'incohérences (notamment dues, je pense, au fait que la série est très resserrée, elle aurait mérité un ou deux épisodes de plus à chaque saison), mais lorsque l'on prend du recul et que l'on regarde la série dans son ensemble, on se rend mieux compte de toutes ses qualités d'écriture. C'est la raison pour laquelle je recommande vivement de regarder les trois saisons sans s'arrêter à la première, assez rebutante il est vrai, parce que les trois saisons forment un ensemble bien plus cohérent et relié que les cliffhangers moisis à la fin de chaque saison.


Bon, de quoi ça parle. C'est inspiré de la trilogie de Déborah Harkness All Souls : le livre perdu des sortilèges (qui n'est d'ailleurs plus une trilogie mais peu importe). J'en avais fait une critique par ici : https://www.senscritique.com/livre/le_noeud_de_la_sorciere/critique/103134478

Côté intrigue, c'est à peu près la même chose, je c/c le résumé : un vampire et une sorcière tombent amoureux l'un de l'autre et décident de se marier alors que c'est interdit. Ils se mettent donc en quête d'un vieux manuscrit qui pourra les aider à faire tomber les interdits et casser les préjugés envers les espèces.

Rien de très original donc. Sauf que la série a réussi le tour de force de sublimer la trilogie.


Lorsque j'ai vu Twilight pour la première fois car je ne voulais pas mourir inculte (grave erreur de ma part), je me suis demandé pendant les 3/4 du film quelle pourrait être la bonne représentation du vampire façon Edward Cullen, à savoir beau gosse ténébreux végétarien. J'avais relevé trois points principaux :


- Il voit l'échelle humaine sur un temps complètement différent. Il voit les humains naitre, vivre et mourir. En d'autres termes, sauf à vouloir devenir fou, il va forcément se dissocier, se blinder des émotions humaines et des attachements humains. Accessoirement, cela reste un animal qui se nourrit de sang, il doit garder ce côté instinctif, primaire, de chasseur.

- Il s'adapte nécessairement à l'époque pour survivre, mais il doit avoir un foyer, un endroit où il retrouve ses objets familiers, ses origines, ses racines. Parce que dans des époques qui bougent tout le temps, les racines, c'est la seule chose qui ne bouge pas.

- Il s'adapte certes aux mentalités de l'époque pour survivre, mais les mentalités qui auront le plus perduré seront celles dont il sera le plus imprégné.


Bref, le vampire bien représenté, à mon sens, c'est ce mélange d'adaptation à la vie moderne car nécessaire, mais de retour permanent aux racines anciennes. Devinez ce qu'on trouve dans cette série ?


D'ailleurs, j'aurais pu m'en douter puisque dès le début il y avait un indice gros comme une maison, que j'ai vu, mais que je n'ai pas su comment interpréter sur le moment : l'âge de l'acteur qui joue Matthew de Clermont, qui à lui seul, permettait de faire comprendre que ce n'était pas une histoire romanesque pour adolescents.


Car cette série, ce n'est pas seulement une nième histoire d'amour interdite, c'est avant tout un récit mature, adulte, qui se raconte en filigrane, et qui se centre sur les vampires. On saura très peu des sorciers, et encore moins des démons, les trois types de créatures existantes. On n'aura même pas le droit à de gros fights entre eux, et ce n'est pas par manque de budget, c'est intentionnel. C'est une série presque intimiste, qui se dessine par petites touches. L'intrigue assez insignifiante sur la recherche du livre perdu est un prétexte pour servir l'enjeu principal sous-jacent, c'est à dire l'évolution des vampires à travers une lignée emblématique, celle des de Clermont.


Qui sont les de Clermont ? Leur lignée, par la voix de leur patriarche, Philippe, a dominé l'histoire des créatures. Elle a créé la congrégation, une sorte de conclave avec les représentants des trois espèces qui préside à la destinée de celles-ci. Elle a été l'instigatrice de la convention, qui interdit aux créatures de se marier entre elles. Pendant des siècles, elle a été la famille vampire la plus puissante, avec pour seuls mots d'ordre la discipline et l'obéissance aveugle à Philippe, comme cela se pratiquait il y a quelques siècles. Et puis, Philippe est mort dans les années 1940, et depuis, ses deux fils, Baldwin et Matthew, sont un peu perdus, ne savent pas comment gérer les choses. Baldwin se laisse dominer à la congrégation, Matthew se concentre tout entier sur ses recherches en génétique pour comprendre l'origine des créatures. Ils vivent sur la réputation passée de leur famille.


Diana, la sorcière amoureuse de Matthew, va changer les choses. Mais, attention, subtilement. Et c'est en cela que la série est un OVNI absolument remarquable. De nos jours, la sorcière arriverait, constaterait que les de Clermont sont horriblement rétrogrades, se disputerait avec Matthew en mode "arrête de me protéger, je ne suis pas en sucre, soit tu évolues toi et ta famille soit je te quitte" et boum, voilà Matthew converti au féminisme. Bon, je caricature, mais quand même, c'est un peu l'idée.


Ici, rien de tout ça. Lorsque Diana arrive chez les de Clermont, c'est une poupée de chiffons entre leurs mains patriarcales. Ce qui nous vaut d'ailleurs en milieu de saison 1 des scènes assez dérangeantes pour nos esprits du XXIe siècle habitués au féminisme. Il faut s'accrocher. Et puis, peu à peu, à mesure que Diana commence à comprendre l'histoire de sa nouvelle famille, elle impose des changements en douceur, avec subtilité. Au début, ce n'est pas grand chose, c'est obtenir que son amoureux la laisse sortir toute seule (!). Puis elle prend des initiatives, débloque des situations que Matthew ferme par son manque de diplomatie. Puis je vous laisserai découvrir la fin, conforme à l'esprit Netflix. Bref, on n'est pas sur un féminisme révolutionnaire par la force, mais un féminisme qui s'impose peu à peu dans un couple et dans la famille par la discussion, l'écoute, et la compréhension. Accessoirement, avec le recul, c'est le seul qui puisse être susceptible faire bouger les siècles de tradition patriarcale des de Clermont de manière crédible, les confronter directement n'aurait amené qu'à l'incompréhension et au rejet. Mais on peut quand même être admiratif de la patience et de la résilience de Diana.


Alors, les de Clermont dans tout ça ? Eh bien, les de Clermont ne sont pas fermés au changement. Mieux que personne, en tant que vampires, ils savent qu'ils doivent évoluer s'ils veulent survivre. C'est parfois difficile à accepter toutefois, car les traditions sont rassurantes, c'est leur cadre, leurs valeurs, leurs racines. Il n'est jamais facile de remettre en question son passé pour avancer. Au-delà de l'histoire de Matthew et Diana, cette série est, en filigrane, le récit de l'évolution de leur famille, de son adaptation au changement.


J'ai tendance à penser que cette série ne pouvait être écrite que par des Anglais. Parce qu'au-delà des de Clermont, c'est sans doute aussi leur histoire qu'ils racontent, entre traditions ancestrales et modernité nécessaire.


Et au-delà d'un récit anglais, c'est un récit européen qui est raconté. Alors que les de Clermont vivent au XXIe siècle et cherchent à remonter à leurs origines, la série fait exactement l'inverse : elle raconte notre évolution, notre passage de 1500 ans de patriarcat et de discriminations à l'espoir au XXIe siècle d'un monde féministe et plus juste. Il ne s'agit pas d'une dénonciation. Il s'agit d'un récit. Comme les vampires, si nous voulons survivre, nous devons évoluer.


...


PS : J'aurais pu finir cette critique ici, et sans doute aurai-je dû. Mais je suis obligée de mentionner la qualité des personnages qui ont été développés, ou même esquissés. A chaque fois, confrontés à leur mortalité, leur évolution, leurs limites et leurs peurs, ça tombe juste. Certes, comme dans la trilogie, il y avait trop de personnages secondaires pour que tous aient pu être développés convenablement. Mais ceux qui l'ont été, mazette. Quelle élégance, quelle subtilité en parfois quelques dialogues seulement. Je me souviendrai de cette Elizabeth Ière et de ce Philippe de Clermont, entre autres.

Luevana
10
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le 21 avr. 2025

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