Cette année 2017 est très riche en adaptations du King. Hélas, les séries inspirées de ses romans peinent toujours à convaincre : après la catastrophique Under the dome, The Mist ne parvient pas vraiment à relever le niveau.
Très vite, ce Mr. Mercedes se démarque. L'attaque criminelle qui ouvre la série mise sur une réalisation sobre, qui ne cherche pas à multiplier les effets choc. Et c'est cette sobriété même qui permet à la scène d'atteindre son objectif : montrer la tragédie de ces victimes.
La saison va constamment jouer sur ce même principe. Il faut dire que David E. Kelley, le créateur de la série, est déjà un vieux routiers des productions télé : La Loi de Los Angeles, Un drôle de shériff, Chicago Hope, The Practice, Ally McBeal... Il n'a plus à prouver son talent, et on le voit à l'oeuvre ici.
Après la scène d'introduction, la série se concentre sur les deux antagonistes : d'un côté Bill Hodges, officier de police à la retraite, et de l'autre Brady Hartsfield, le tueur. C'est là que l'amateur des romans de King se dit qu'il a enfin une adaptation sérieuse. En effet, chez l'écrivain, l'horreur n'est jamais une fin en soi, elle ne surgit pas de nulle part elle découle directement de la psychologie des personnages. C'est parce qu'elles oublient cela que la majorité des adaptations restent superficielles. Et c'est justement cela qui va servir de base à Mr. Mercedes : une plongée dans la psychée de ses personnages.
D'où le rythme lent de la série. Certains s'en plaindront : Mr. Mercedes ne cherche pas à faire une surenchère de scènes gore. La série suit son petit rythme qui non seulement n'empêche pas la tension de s'installer progressivement, mais qui aboutit, en fin de saison, à des épisodes où l'ambiance devient de plus en plus insoutenable. Au lieu de nous dire d'un coup que Brady est un instable mental, les scénaristes préfèrent nous faire ressentir cette instabilité. Le résultat est nettement plus probant : une ambiance installée lentement mais méticuleusement vaut mieux que des hectolitres d'hémoglobine ! Et lorsque l'on arrive aux derniers épisodes de cette première saison, le suspense est dense et l'atmosphère franchement angoissante.


Donc, Mr. Mercedes va s'intéresser à ses personnages.
D'un côté, Bill Hodges. Policier à la retraite, il est devenu une sorte de loque humaine imbibée d'alcool.Se sentant inutile, il est rongé par le remords de toutes les enquêtes qu'il n'a pas su mener à leur terme, en particulier celle du tueur à la Mercedes. Autour de lui va se former toute une communauté. Il y aura Jerome Robinson, jeune étudiant à l'avenir prometteur ; Holly Gibney, jeune femme mentalement fragile mais très douée en informatique ; Allie, la propre fille de Bill, qui cherche tous les moyens pour attirer l'attention de ses parents ; Lou Linklatter, vendeuse spécialisée en informatique, ou encore Deborah Hartsfield, la mère du tueur, ancienne gloire du lycée devenue, elle aussi, une alcoolique et développant avec son fils une relation fortement teintée d'inceste.
Autant de personnages qui ont tous un point commun : ils sont les perdants du Rêve Américain. Ce sont ceux que l'Amérique laisse sur le bord de la route, des marginaux qui soit sont trop vieux, soit n'ont pas la bonne couleur de peau ou les bonnes préférences sexuelles (Lou est lesbienne, et cela lui sera reproché à longueur de série par les clients du magasin où elle travaille). Du coup, chacun de ces personnages a, à un moment ou à un autre, quelque chose à prouver. Bill veut prouver qu'il est encore capable d'arrêter un tueur. Holly veut prouver qu'elle n'est pas la folle qui parle toute seule. Jerome veut prouver que l'on peut être noir, venir d'un quartier pauvre, et réussir ses études. Même Deborah a un sursaut d'orgueil qui la pousse à vouloir changer de vie.


Au-delà même du suspense de son enquête ou de la profondeur psychologique de ses personnages, Mr. Mercedes se démarque aussi, comme le roman dont il est l'adaptation, par une description critique de l'Amérique moderne. Un pays qui laisse de côté une partie de plus en plus importante de sa population. Que la série commence lors d'une foire à l'embauche, où les chômeurs se pressent par milliers, montre bien l'état désastreux du pays, aussi bien économiquement qu'humainement.
Les Etats-Unis de Mr. Mercedes, c'est aussi le pays de la violence et de la parano. A ce titre, Brady ressemble plus à un symptôme, le symptôme d'un pays malade qui pense que seul le recours à la violence peut changer les choses. Pire : lorsque le tueur, pourtant décrit dès le début de la série comme un psychopathe monstrueux, s'en prend à un fasciste, le spectateur est presque content, comme si cette auto-justice constituait la seule réponse possible à la violence de la société.


En bref, Mr. Mercedes réunit tout ce qu'il faut pour réussir une bonne adaptation de King : de bons personnages, un rythme qui permet d'installer lentement mais sûrement une ambiance de plus en plus angoissante, du suspense, et même une critique à peine voilée du modèle social américain. L'ensemble fournit ce qui est sans doute la meilleure adaptation d'un roman de Stephen King que l'on ait vue depuis très longtemps et qui, fort heureusement, est renouvelée pour une saison deux (qui devrait donc, en toute logique, être l'adaptation du roman Carnets Noirs).

SanFelice
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le 9 janv. 2018

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