NostalGeek
7.4
NostalGeek

Émission Web YouTube (2019)

On était le mois dernier (janvier 2024) et une vidéo s’est mise à poper de manière redondante dans mes recommandations. « Ces influenceurs JV vous mentent ! » clamait avec virulence le titre, tout en affichant en gros la tronche de Julien Chièze et de quelques autres hommes et femmes de ménage.

Au premier abord, ça faisait très putaclic. Ça ne donnait pas trop envie. Mais à force que YouTube me propose cette vidéo – et constatant surtout l’envolée du nombre de vues – j’ai fini par faire comme tout le monde : j’ai cédé et j’ai cliqué.

Cette vidéo, ce n’était pas une vidéo de NostalGeek, mais plutôt celle d’une chaîne dont j’ignorais jusqu’alors l’existence – Play Culture – et dont le contenu s’est très vite révélé – ô surprise – bien creux et superficiel.

L’histoire aurait alors pu s’arrêter là, mais seulement voilà, l’auteur de cette chaîne était tellement horripilant à jouer son Durendal du JV, que j’ai fini par me faire une nouvelle fois hameçonné comme un con. J’ai enchainé les vidéos, animé que j’étais par une sorte de fascination morbide. Ce type me consternait tant il enchainait les positions aussi basiques que sommaires, mais tout en claironnant que, s’il suscitait autant de tensions de la part de grands Youtubeurs installés, c’était juste parce qu’il se risquait à dire tout haut ce que les pisse-froids n’osaient même pas concevoir tout bas. (Putain, mais comme quoi ce type c’est vraiment la version JV de Durendal, c’est juste fou.)

…Et là, je pense que vous commencez enfin à voir où je veux en venir. Parce qu’en effet, qui étaient les fameux Youtubeurs installés ?

En fait il n’y en avait qu’un. Et c’était NostalGeek.


NostalGeek

Cette chaîne, l’air de rien, je la connais déjà depuis un bon bout de temps. J’ai souvent croisé son chemin, tout comme il m’est déjà arrivé plus d’une fois qu’on m’envoie de ses vidéos pour alimenter certaines conversations tenues ici, sur ce site…

Dans mon esprit – comme dans celui de beaucoup d’autres, je suppose – c’est un nom que j’ai toujours eu tendance à associer à pas mal de tauliers de l’analyse JV sur YouTube, comme Game Next Door, PseudoLess, TheGreatReview ou bien encore Esquive la boule de feu. Pourtant c’est vrai que, même si ce que j’en avais déjà vu me semblait à première vue plutôt qualitatif, je me surprenais à ne jamais y retourner. Je me disais à chaque fois que c’était sûrement lié au fait qu’on ne semblait pas être intéressés par le même type de jeux. Lui donnait l’air d’être très tourné vers tout ce qui était RPG, action-RPG, immersive sims et tout ce qui attrait aux jeux d’aventure à la Naughty Dog quand, moi, de mon côté, j’ai rarement eu tendance à trouver mon compte dans ce secteur-là du média. Bref, rien qui ne soit de nature à invalider la pertinence de ses analyses et la mesure de ses prises de position, m’étais-je toujours dit…

…Jusqu’à ce que je lise ce qu’il avait envoyé à Play Culture.


« Cette vidéo est une catastrophe. » « Je te débloque 30 secondes juste pour te dire d’aller te faire cuire le cul. »

La vache, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?

A l’origine du contentieux : une vidéo de Play Culture sur Atomic Heart intitulée « Drama et Sexualisation ». En réalité, plus que la vidéo en elle-même, c’est surtout la réaction du geek nostalgique qui m’a soudainement mis la puce à l’oreille. Car ce qui m’a choqué dans cette histoire, c’est de constater à quel point la réplique du supposé taulier du YouTube game s’était réduite pour l’essentiel qu’en un surprenant enchainement d’affirmations aussi gratuites que discutables :

« L’art n’a pas pour fonction de choquer, il a pour fonction de faire réfléchir, éventuellement par le choc. » (Ah bon ? Une œuvre qui ne fait pas réfléchir ne peut donc être une œuvre d’art ?)

« Atomic Heart peut seulement rêver d’être écrit avec la profondeur et la même sensibilité qu’un Catherine ? » (Parce qu’il y avait vraiment de la profondeur et de la sensibilité d’écriture dans Catherine ? Sérieusement ?)

« Aucune œuvre d’art existe ex nihilo. La création est systématiquement un reflet de choses toutes à fait réelles. » (Ah oui ? Et c’est valable aussi pour Tetris, ça ? Pour Rez ou pour Kurukuru Kururin ?)

Alors certes, de tels propos ne sombraient pas non plus dans les mêmes abysses que ceux de son contradicteur, mais tout de même. Tout ça, au final, était quand même bien fragile pour un discours de supposé-taulier.


J’ai donc voulu vérifier ça.

J’ai voulu vérifier, en dehors de tout climat conflictuel, jusqu’à quel niveau NostalGeek était capable de porter son niveau d’analyse… Et en fait il ne m’a suffi que d’une seule vidéo pour que, me concernant, tout s’éclaire. Et cette vidéo c’était la dernière postée en date intitulée : « où est le gameplay dans Baldur’s Gate III ? »

A bien y regarder, cette vidéo, rien qu’à son titre, elle s’imposait comme l’étalon idéal pour mes nombreuses questions : une problématique était posée, un élément central de construction d’un JV était questionné et – en plus de ça – tout s’orchestrait autour d’un jeu qui faisait l’actualité et dont je connaissais par conséquent les principaux enjeux.

Il ne pouvait pas y avoir meilleur révélateur… Et j’avoue d’ailleurs que le verdict fut sans appel.


Pourtant tout commence franchement fort bien.

Un petit beat d’amorce pose immédiatement l’ambiance, fondu et cut habiles dynamisent une image d’intro judicieusement choisie et c’est parti, la narration se lance.

« Dans Baldur’s Gate III, il y a un moment en début de jeu où on pénètre dans cette chambre délaissée par le temps… »

Pas de formule d’introduction consacrée. Pas de fioriture hors de propos. Non. On pénètre tout de suite dans le vif du sujet par l’intermédiaire d’un exemple concret. L’exercice est indéniablement maitrisé d’un point de vue formel. En termes de captation d’attention, l’ensemble fait mouche.

La démonstration s’étale sur un gros quart d’heure, soit le format idéal pour à la fois développer quelque chose mais sans risquer de perdre trop de gens (ou de se perdre soi-même) en route.

Le découpage du propos est d’ailleurs remarquable d’équilibre : trois minutes d’exposition qui permettent à la fois de présenter le jeu mais aussi d’amener la problématique annoncée ; puis une minute de générique permettant d’infuser l’atmosphère et le ton de la vidéo ; avant d’enchainer sur un nouveau tronçon de (presque) trois minutes qui entend exposer les représentations communes qu’on se fait du gameplay, lequel étant immédiatement suivi d’un quatrième segment de même longueur qui entend lui répondre en apportant des réponses davantage conséquentes, fruits de chercheurs et de développeurs, pour enfin conclure avec un dernier segment faisant la synthèse de toutes ces approches – là encore en trois minutes montre en main – ce qui laisse une dernière minute à NostalGeek pour formuler un petit mot de bilan plus personnel. Générique, belle musique, remerciement aux soutiens financiers de la chaîne. C’est fini, c’est plié.

Tout ça est rondement mené, apportant une dynamique certaine à la vidéo.

Indiscutablement, c’est formellement réfléchi et travaillé.

Ça a de quoi séduire le spectateur.

C’est propre.


…Mais que garde-t-on de tout ça ?

En fait, tout dépend de comment on regarde la vidéo.

Lancer une vidéo de NostalGeek avec pour seule attente celle d’être porté par son indéniable maitrise, c’est effectivement trouver très facilement satisfaction. C’est la garantie d’un bon moment, bien conduit, charmant, et dont on retirera deux ou trois bribes de réflexion sur le média. C’est vrai…

…Par contre, sitôt vient-on vers NostalGeek – comme ce fut mon cas – en étant nourri d’une attente de fond sur le sujet abordé que, soudainement, tout change.

Parce qu’après tout, c’est vrai qu’elle est intéressante cette question : « où est le gameplay dans Baldur’s Gate III ? »

Comment NostalGeek répond-il à cette question, dans le fond ?


Dès l’intro, un problème surgit déjà.

Rappelez-vous : « dans Baldur’s Gate III, il y a un moment en début de jeu où on pénètre dans cette chambre délaissée par le temps, » nous disait NostalGeek. Mais que se passait-il au juste dans cette chambre pour que l’auteur juge pertinent d’amorcer son questionnement par ce moment précis-là ?

« Dans cette chambre délaissée par le temps, nous dit-il, nous sommes tout au fond d’une sorte de mini-donjon, avons bravé de nombreux dangers pour y accéder : la logique de tout jeu de rôle voudrait qu’y soit donc caché un trésor. Il y a autour de nous quelques squelettes de cultistes, et les fouiller ne nous apporte pas grand-chose, chacun d’entre eux portant simplement une arme basique. A force d’explorer, on découvre finalement un mystérieux bouton ouvrant une porte cachée au fond de la salle. Le voilà enfin, notre loot trébuchant… Mais, à ce moment, un espiègle maître du jeu s’étant joué de nous, les cultistes sont subitement ranimés par une magie mystérieuse. S’engage alors un combat pour lequel vous n’êtes pas préparé, au début duquel votre groupe est retranché dans un petit recoin sans échappatoire possible.

La première fois que je me suis fait avoir par ce piège, je me suis naturellement fait transformer en pâtée pour ours-hibou. Mais la seconde fois, avec un personnage différent, j’ai tenté de retourner le sale coup du maître du jeu contre lui-même. Une fois dans la salle, j’ai sciemment looté absolument tout ce qui se trouvait sur les cultistes avant qu’ils ne se relèvent, en gardant toutefois à l’esprit qu’il y avait une chance non nulle pour que – game design oblige – ces armes réapparaissent par magie sur eux lors de leur ressuscitation. Et curieusement, mon instinct était le bon. […] C’est presque comme si le jeu m’avait incité à tricher. »


Dans la foulée de cet exemple – histoire de montrer qu’il ne s’agissait pas là d’une extrapolation – l’auteur évoque un autre moment animé par la même logique. Une fête de gobelins doit être traversée et le jeu offre clairement une multitude d’approches possibles : tenter de parlementer, s’enduire de déjections, foncer dans le tas et buter tout le monde, contourner en sautant d’un versant voisin, casser un mur pour prendre tout le monde à revers ou pour s’infiltrer discrètement afin d’empoisonner les boissons de la fête, voire carrément balancer tout le monde dans des galeries pleines d’araignées ou convaincre les araignées de devenir alliées, etc. etc.

De là, à NostalGeek d’en tirer ce constat : « Baldur’s Gate III a […] eu le succès qu’il a eu grâce à ce déluge de possibilités offertes aux joueurs et joueurs pour s’exprimer. Alors, je me pose une question : pourquoi se traine-t-il autant la réputation d’avoir un mauvais gameplay ? »

Et c’est là que, pour ma part, j’ai tiqué pour la première fois.


Bah oui. Parce que – je ne sais pas pour vous – mais pour moi, le gameplay, ça renvoie d’abord aux mécaniques qui nous sont laissées par le jeu pour interagir avec la partie. Dit autrement, le gameplay, ce serait pour moi une sorte de synonyme de la « jouabilité ». Donc autant vous dire que, d’entrée de vidéo, j’ai eu du mal à voir le rapport que NostalGeek établissait entre ses exemples et le concept qu’il questionnait.

Et quand j’entends que Baldur’s Gate III trainerait la réputation d’un jeu au « mauvais gameplay », moi j’aurais plutôt tendance à considérer que la critique portait avant tout la qualité des interactions mécaniques qu’offre ce jeu pour contrôler son ou ses avatars, plutôt que sur le nombre d’alternatives offertes par le jeu pour réaliser un objectif.

D’emblée, j’ai l’impression que NostalGeek répond à une question de gameplay par une réponse de level design. Ça me perturbe.

Mais bon, quatre minutes plus tard (tout de même), NostalGeek finit par se justifier en apportant (enfin) sur la table une proposition de définition à ce qu’il considère être du « gameplay ».

S’appuyant sur une définition de Jasper Juul – qu’il présente comme un « chercheur dans les game studies et conférencier ayant largement pensé les concepts élémentaires du jeu vidéo » – il dit du gameplay qu’il est « la façon dont les joueuses et les joueurs vont interagir avec les règles [du jeu] et faire l’expérience de la totalité des choix ou challenges offerts par le jeu. »

Alors certes, avec une telle définition, je peux désormais concevoir qu’on puisse intégrer à la question du gameplay les deux exemples évoqués par NostalGeek dans son intro. Soit…

…Mais qu’est-ce qu’on fait de cette autre acception du gameplay à laquelle, moi, j’adhère ?

Parce que bon, la jouabilité c’est aussi une façon d’interagir avec les règles ! Par la jouabilité aussi on expérimente la totalité des choix ou challenges offerts par le jeu !

On y répond à cette critique-là ?


Quelques minutes plus tard, NostalGeek arrive enfin sur ce qui est pour moi le cœur du sujet.

Il finit par acter qu’avec une telle définition, le gameplay devient un « mot-valise » qui mélange deux aspects bien distincts : 1) l’ergonomie, à comprendre la qualité d’interaction entre le joueur et la machine et 2) ce que transmet au joueur cette interaction en termes d’expérience de jeu. Et autant dire qu’à partir de ce moment-là, je reprends un brin espoir dans la mesure où ce questionnement recadre pour moi clairement davantage le propos du geek nostalgique sur ce qui est à mes yeux le centre d’intérêt du sujet…

…Mais qu’en dit-il ?

Eh bien il décide de faire un virage vers Ico afin d’évoquer l’intelligence qu’a pu avoir Fumito Ueda de traduire notre dépendance au personnage de Yorda en faisant en sorte que, pour que notre avatar lui tienne la main, il faille que le joueur maintienne un bouton enfoncé.

Alors OK, l’exemple est sympa et illustre très bien comment on peut questionner la pertinence de certains choix en termes de conception de commandes et de ce que ces choix impliquent en termes de jouabilité et de ressentis mais…

…Et pour Baldur’s Gate III alors ?

La vidéo entend-elle, à un moment donné, aborder cette question ?

Après plus de deux tiers de vidéo, toujours pas.


Reste alors le dernier segment : la synthèse.

La dernière chance pour la vidéo de NostalGeek.

C’est là qu’est proposée une dernière définition que l’auteur espère œcuménique : « le gameplay c’est l’interaction avec les règles proposées par le jeu. Cette interaction pouvant être satisfaisante ou pas, complexe ou pas, ergonomique ou pas, mais visant à transmettre quelque chose, que ce soit de la simple sensation ou de la narration. »

A partir de là, perso, j’ai eu du mal à voir de quelle logique découlait vraiment cette définition. D’un côté elle semble suggérer qu’elle intègre les questions d’ergonomie qu’auraient exclues la définition de Juul – ce que cette dernière n’a jamais fait – et de l’autre on insiste sur le fait que le gameplay puisse – et doive – se définir à partir de la volonté des développeurs de transmettre quelque chose au joueur, ce qui – quand on prend bien la peine d’y réfléchir – est une idée qui a vraiment surgi de nulle part, au milieu de la vidéo, loin des définitions de conférenciers, de game studies et de tout le tralala.


De toute façon – et de manière générale – plus cette vidéo avance sur sa fin et plus elle devient confuse sur son propos.

Ça parle de Tetris et de Red Dead Redemption 2 dans la même phrase ; ça annonce arbitrairement que la barrière qualifiée d’ « opaque » entre gameplay et narration est « illusoire » et puis ça affirme aussi qu’une seule mécanique de gameplay comme un bouton maintenu pour tenir la main de Yorda peut suffire à porter mécaniquement un jeu pendant des décennies (comme si le gameplay d’Ico ne tenait qu’à ça). Et au bout du bout, on nous emballe tout ça avec du Monochrome d’Yves Klein, du Lawrence d’Arabie, et quelques phrases dignes de fortune cookies ou du sketch des Inconnus sur les chasseurs : « le bon gameplay, c’est celui qui résonne avec vous en tant que joueur. Celui qui vous tient par la main pour vous compter une histoire prenante » ; « le bon gameplay, il ne se définit pas par sa quantité, par sa complexité ou s’il correspond ou non aux tendances qui sont celles du moment où le jeu sort. Un jeu au tour par tour ou un visual novel n’est pas fondamentalement un jeu moins légitime qu’un jeu d’action. […] Il est simplement le principal vecteur d’une expérience donnée que les personnes qui l’ont élaboré veulent communiquer à celles et ceux qui tiennent la manette. »

Dit autrement, le bon gameplay c’est un peu ce que tu veux et ce sera toujours facile de te justifier.


D’ailleurs, comment tout ça se conclut ?

Est-ce qu’au moins la dernière minute va permettre à NostalGeek de produire une réponse au sujet des critiques formulées à l’encontre du gameplay de Baldur’s Gate III, au sens où moi j’entends le gameplay et qu’aucune définition produite depuis le début de cette vidéo n’est parvenu à invalider ?

Eh bah bien sûr que non.

Au lieu de ça, la vidéo conclut sur une dérobade. En fait, tout ce questionnement, c’était du flan – un « leurre » pour reprendre les mots de NostalGeek – afin, dit-il, d’ « adresser un souci plus large que j’observe malheureusement un peu partout, y compris dans des cercles où on cause souvent de jeu vidéo de façon un minimum éclairée. Et d’en profiter pour, en passant – et pour ouvrir cette nouvelle année – parler de Baldur’s Gate III […] un jeu qui, plus que la plupart de ses contemporains, s’approche dangereusement de la simulation d’un monde de fantasy véritablement vivant par le simple fait de son foisonnement de quêtes, d’embranchements de dialogues, de routines, de choix et de conséquences. Il est là le gameplay dans le dernier jeu de Larian, et il est fantastique. Grâce à tout ça, […] je peux vous dire que Baldur’s Gate III est un chef d’œuvre. »

Et la vidéo, comme le propos, se finissent là-dessus…

Et… Et moi je ne peux m’empêcher de trouver ça léger.

Très léger même.


Est-ce que durant toute cette vidéo d’un quart d’heure, NostalGeek sera parvenu à modifier mon approche du gameplay ? Au regard de la confusion du cheminement, et de la gratuité de la conclusion : non.

Aura-t-il au moins apporté des arguments factuels contre les critiques faites à l’encontre du gameplay de Baldur’s Gate III ? Dans la mesure où il se refuse à considérer les questions d’ergonomie et de jouabilité qui sont sûrement au cœur de ces critiques : non plus.

A défaut, et puisqu’au final on nous annonce que tout ça c’était du chiqué pour simplement parler de Baldur’s Gate III et expliquer en quoi il était un chef d’œuvre, est-ce qu’au moins il est parvenu à nous apporter des éléments qui allaient dans ce sens ? Eh bah, à dire vrai, à part ce qui est dit du jeu dans l’intro, après il n’y a plus rien. Plus d’argument. Plus d’exposition factuelle. Rien. Ça parle d’Ico, de Tetris et de Lawrence d’Arabie, mais au final plus jamais du dernier jeu de Larian, sauf pour lâcher les quelques superlatifs finaux que j’ai pu vous retranscrire.


Voilà qui est quand même bien creux. Et c’est justement le premier gros point noir que je relèverais personnellement des vidéos de NostalGeek. Je trouve qu’à bien tout prendre, elles ne disent pas grand-chose, du moins rien de bien nouveau.

Ça dit que ça a fait moult recherches, que ça a envoyé des « messages jusqu’à deux heures du mat’ à des copains dev’ », que ça s’est appuyé sur des conférenciers en game studies, mais tout ça au final pour retomber sur l’exacte même définition que celle qu'on obtient quand on tape « définition gameplay » dans un moteur de recherche. (Temps de recherche : 0,39 seconde.)

Pire que ça, il suffit d’ouvrir la page Wikipedia dédiée au gameplay pour qu’en deux minutes de lecture on soit déjà allé bien plus loin en termes de questionnement et de compréhension sur les débats qui portent sur la définition du terme. (…Et ils rappellent soient dit en passant que, dans le monde francophone, gameplay est à considérer comme un synonyme de jouabilité. Comme quoi, je n'étais pas totalement à côté de la plaque dans cette affaire.)

Bref, tout ça pour dire qu’au bout du compte – et pour le cas de cette vidéo – NostalGeek nous aura quand même bien embrouillé son propos, l’enrobant de tout un ensemble d’effets de manche bien superflus, tout ça pour qu’au final, il n’en ressorte que peu de choses vraiment exploitables analytiquement parlant.

C’est juste frustrant.

Et ce qui est terrible c’est que, ce constat, il vaut tout aussi bien pour les vidéos courtes que longues. Il vaut tout aussi bien pour les vidéos traitant de jeux que je connais que des jeux que je ne connais pas.


Par exemple, si je prends le cas de la vidéo postée juste avant celle sur le gameplay de Baldur’s Gate III, on a tout de même affaire à un mastodonte de plus d’une heure trois quarts traitant d’un jeu dont je n’ai jamais touché un seul épisode de la saga : Xenoblade Chronicles X sur WiiU. Or, qu’est-ce que j’ai appris sur Xenoblade Chronicles X en presque deux heures de vidéo ?

D’abord j’ai eu le droit à un historique d’une demi-heure sur le parcours des auteurs de la saga Xeno et les origines de cette dernière (si si, une demi-heure). Ensuite on m’a expliqué comment le jeu se structurait de manière non-linéaire en différents types de missions, puis comment ces missions se résumaient pour l’essentiel à faire une collecte particulièrement fastidieuse d’un point de vue pratique mais (nous dit-on) gratifiante pour découvrir le monde, s’adapter à sa faune, et comprendre l’arborescence qui lie tous les personnages. De là sont évoqués dans l’ordre : système de combat, interface, usage spécifique des méchas pour finir avec les musiques, le tout nous faisant avoisiner l’heure de visionnage.

De là, s’amorce un questionnement sur ce qui fait de ce monde de Xenoblade Chronicles X un monde alien, ce qui est l’occasion d’une part de présenter d’autres fonctionnalités du jeu, comme l’usage des sondes apportant une dimension Civilization au jeu, ou bien encore le world design, et d’autre part d’évoquer comment la narration du jeu entend évoquer la questionner du colonialisme américain à travers la question du colonialisme spatial auquel on participe dans ce jeu.

Ne reste alors plus qu’une demi-heure consacrée à une longue accumulation de comparaisons entre Xenoblade Chronicles X et ses concurrents du même genre afin de comprendre tout ce qu’il a su mieux faire qu’eux.


Alors certes, tout cela est bien long et donne l’impression d’être exhaustif, mais ce qui est surtout ressorti pour ma part, c’est cette impression de n’avoir assister pour l’essentiel du temps qu’à de la description plutôt qu’à de l’analyse.

OK, la vitesse de déplacement et le moon jump permettent de fluidifier l’exploration, je l’entends. D’accord, je veux bien considérer que l’introduction très tardive des méchas participe à donner à voir autrement ces grands espaces pendant longtemps parcourus à pied. Et enfin, soit, j’ai bien noté le rapprochement qu’on peut faire entre l’exploitation de ce monde d’un côté et la colonisation de l’Amérique de l’autre, mais qu’est-ce que ça pèse, ça, sur l’intégralité de la vidéo ? Est-ce que ça méritait vraiment 1h46 ?

Parce que bon, me concernant, au bout de cette longue vidéo, j’avoue avoir peiné à percevoir ce que Xenoblade Chronicles X comme si extraordinaire que ça. C’est même tout le contraire qui s’est produit chez moi. Les longues descriptions ont plutôt eu tendance à me le faire passer pour un jeu pour le moins classique, aux mécaniques convenues, et – au vu du nombre de défauts soulevés et formulés par NostalGeek – j’aurais même tendance à le percevoir – à tort ou à raison – comme un jeu globalement mal branlé.


Maintenant j’entendrais pleinement qu’on me réponde à tout ça : « mais en fait, Xenoblade Chronicles X, c’est vraiment génial ! C’est juste que tu n’as pas joué au jeu et que, du coup, tu ne t’en rends pas compte ! » Ce à quoi je répondrais par l’affirmative sans sourciller.

Seulement voilà, pour moi c’est justement le propre des bonnes analyses critiques que d’être capable de faire ressortir ce qu’il y a d’extraordinaire dans un jeu, y compris au sein des jeux qu’on n’a pas joués.

Par exemple, moi je pourrais citer cet épisode de TheGreatReview intitulé « Dark Souls : comment utiliser la verticalité pour construire une carte » qui dure moins de sept minutes mais qui est parvenu à lui seul à me faire comprendre et reconnaitre ce que ce jeu avait de génial, quand bien même n’y ai-je jamais joué – et même mieux que ça – quand bien même n’ai-je même pas envie d’y jouer tellement la formule « soulsborne » des jeux From Software me rebute globalement.

C’est ça la force d’une analyse de taulier. C’est ce que je retrouve dans les vidéos de Game Next Door. C’est ce que je retrouve dans les vidéos de Pseudoless. C’est ce qu’il m’arrive même parfois de retrouver dans Esquive la boule de feu… Mais non, c’est quelque chose que je ne retrouve jamais dans un épisode de NostalGeek

…Et autant dire que c’est encore pire quand je connais le jeu dont il est question.


Parce que oui, comme je l’avais annoncé plus haut, j’ai longtemps été persuadé que si le courant ne passait pas entre les vidéos de NostalGeek et moi, c’était surtout parce qu’on arpentait tous deux des contrées du jeu vidéo qui étaient bien distinctes.

Or, il se trouve que, récemment, le vidéaste a sorti un épisode sur un jeu que j’ai poncé en long, en large et en travers : The Legend of Zelda : Breath of the Wild.

La vidéo date de mai 2023, et il se trouve que revenir sur un tel jeu plus de six ans après sa sortie – à savoir dans le contexte de l’avènement de sa suite – j’avoue que c’est quelque chose que j’ai trouvé osé. Tout avait déjà été dit. Que pouvait-il être dit de plus dans une vidéo de plus de 22 minutes ? Eh bah franchement, là encore, pas grand-chose. Hélas.

En gros, ça pourrait se résumer à ça : « ce qui donne l’impression que ce jeu est vide c’est que son monde ouvert est dépouillé. Mais ce dépouillement est loin d’être un désavantage dans la mesure où il permet de faire ressortir les points d’intérêt, et en suivant les points d’intérêt on découvre alors les autres points d’intérêt… Le problème c’est peut-être même que ce Zelda comporte trop de points d’intérêts, dont certains se révèlent au final trop insignifiants, comme les Korogus. Donc non, le problème de ce Zelda n’est pas qu’il soit vide, mais qu’il souffre parfois de trop plein… »

Est-ce que, franchement, quelqu’un qui s’est déjà intéressé au jeu, même de loin, découvre quelque chose quand on lui dit ça ?

Ce n’est pas que ce qui est dit est faux ou bien que ce soit mal narré, hein… Non. C’est juste que – bah encore une fois – je ne vois rien de bien nouveau là-dedans.

Alors, quand en plus de ça, ces évidences se retrouvent livrées avec six ans de retard, ça laisse quand même songeur sur ce que nous apportent vraiment le regard du geek nostalgique.


Mais bon, voilà – je vais être honnête avec vous – si le problème des vidéos de NostalGeek ne tenait vraiment qu’à ça, je pense que je n’aurais pas pris la peine d’en parler sur ce site.

OK, c’est plutôt creux et ça brasse les évidences mais, après tout, en quoi cela constituerait-il un problème sur lequel se pencher ?

Après tout, ce n’est pas comme s’il n’y avait pas pire sur YouTube. Au moins, là, ça a le mérite d’être formellement très soigné. Et – franchement – je saurais comprendre qu’on puisse apprécier cette chaine juste pour le plaisir de voir ses univers de jeux vidéo préférés être mis en valeur par la patte de l’auteur…

Seulement voilà, pour moi, le problème ne s’arrête pas là.

Rappelez-vous, un peu plus haut j’avais présenté la vacuité du propos comme étant mon premier gros problème avec cette chaîne. Car oui, il y en a un second.

Un second problème qui, couplé au premier – ainsi qu’à la démarche esthétisante des vidéos – me conduit à être finalement un brin dérangé par ce contenu.

Et ce qui me dérange c’est que je trouve ça régulièrement fallacieux.


Rappelez-vous de ce que je vous ai disais un peu plus haut au sujet de sa dernière vidéo portant sur le gameplay de Baldur’s Gate III.

Je vous disais que, parmi les qualités que j’avais trouvées à cette vidéo, il y avait celle de la gestion du temps. Tout était équilibré en séquences de trois minutes, génériques exceptés.

Tout ça démontrait que tout ce qui était dit et laissé dans cette vidéo avait été pensé, pesé et soupesé. Rien n’avait été laissé là-dedans par hasard, c’est évident…

…Mais dans ce cas-là, comment expliquer cette incongruité d’écriture ?

Souvenez-vous bien : entre le moment où la vidéo s’interroge enfin sur les raisons qui font que Baldur’s Gate III traine la réputation d’avoir un mauvais gameplay et le moment où est enfin questionnée la notion même de gameplay il se passe quatre minutes.

Quatre longues minutes.

Sur une vidéo d’un gros quart d’heure, c’est énorme. Ça conduit carrément notre cher NostalGeek, au regard de tout ce qui précède ce questionnement, à ne traiter son sujet qu’à partir de la deuxième moitié de sa vidéo.

Mais du coup il raconte quoi durant ces quatre minutes, notre cher NostalGeek ? …Ou, pour être plus exact, en occultant la minute de générique qui s’intercale dans cet espace, à quoi ont servi ces trois minutes insérées-là avant d’aborder le fond du sujet ?

C’est là, en fait, que se trouve le cœur de la supercherie.


« J’avais envie de commencer cette nouvelle année par une sorte de petit billet d’humeur – ou d’éditorial si vous voulez – pour dire la chose suivante : je pense qu’il faut collectivement se calmer sur le concept de Gameplay. »

C’est donc par ces mots que NostalGeek amorce ce fameux segment de trois minutes qui succède à son générique et précède le moment où il va enfin concrètement entrer dans le fond de l’affaire. Il faudrait donc se calmer, à le croire. Mais pourquoi ça ?

A l’écouter, il y aurait aujourd’hui « certains joueurs » qui se montreraient trop zélés sur le sujet de l’interaction dans le jeu vidéo : Mediterranea Inferno serait du non-jeu vidéo parce qu’il s’agit d’une visual novel dans laquelle le degré d’interaction ne se limite qu’à changer de tableau, faire avancer du texte ou manipuler quelques objets. Ico, The Last Guardian et Journey seraient trop contemplatifs. The Last of Us II et Alan Wake 2 contiendraient trop de scènes cinématiques et de progressions en couloir au détriment de choses à actionner. Pour eux, les vrais bons jeux seraient ceux qui, comme Armored Core VI, le dernier né de chez From Software, disposeraient d’un excellent gameplay « du fait de la customisation très fouillée des méchas ainsi que de son système de combat mécaniquement exigeant et profond. » C’est le camp de ceux qui considèrent d’un côté que la course à la puissance doit donner lieu à sans cesse plus d’interactivité – « de l’interactivité complexe et dense où le joueur ou la joueuse disposant désormais d’un contrôle absolu sur son avatar pourrait toujours réaliser toujours plus d’actions diverses : fabriquer des trucs, récolter des machins, s’infiltrer, chasser, chevaucher, jouer au gwent, […] achète mon jeu s’il te plait » et qui estiment de l’autre que « dans Edith Finch on ne fait que marcher et lire des trucs » et que dans « Papers Please on ne fait que tamponner des passeports. »


Trois minutes donc à opposer des « ludologues qui regardent le medium vis-à-vis de ses mécaniques afin de mettre en valeur ses particularités » et des « narratologues qui eux le regardent du point de vue de ce que le jeu nous raconte et nous fait ressentir » ; « deux paroisses qui se livrent une guerre sanglante » pour lesquels « interaction et narration sont souvent érigés comme deux courants incompatibles. »

Trois minutes dont on pourrait donc penser – si on n’y prête pas trop attention – qu’elles ne sont là que pour exposer la réalité des débats avant de mieux les arbitrer. Sauf qu’en fait, non.

En fait, ces trois minutes, c’est juste de la pure fumisterie intellectuelle.


Mais qu’est-ce que c’est que cette façon de présenter cet éventail de positions de joueurs à l’égard de la question du gameplay ?

Franchement, vous arrivez à vous positionner, vous, parmi les deux camps ainsi présentés ? Alors peut-être que si vous êtes un gentil « narratologue », oui. Mais moi, pas.

Parce qu’en effet, moi ça m’est déjà arrivé de fustiger des titres pour leur manque ou pour la vacuité de leurs interactions. Et si je n’ai jamais joué à The Last of Us : Part II, j’ai malgré tout déjà arpenté le premier opus en me demandant effectivement où se trouvait le jeu

…Malgré tout, je n’ai jamais considéré que le problème du premier The Last of Us était son nombre de scènes cinématiques et sa structuration en couloir ! Moi, ce qui me posait souci dans ce jeu, c’était que la plupart des actions qu’on exigeait de moi étaient superflues. Si dans une phase de course poursuite je me trompais de direction, on me faisait repoper quelques secondes en avant pour que, cette fois-ci, je ne me trompe pas. Si je me laissais surprendre par un zombie en ouvrant une porte, même chose. Si je mourrais au cours de l’une de ses multitudes parties de paintball à balles réelles, c’était pareil ! Quelle marge j’avais dans ce jeu ? Quelle était ma part d’interaction ? Aucune !

Ces phases de jeux étaient pauvres, chiantes, répétitives, elles cassaient le rythme et n’influençait pas le cours des événements. Donc oui : moi je fais partie de ceux qui considèrent qu’en tant que jeu, The Last of Us, ce n’est pas satisfaisant du tout…


…Mais ce n’est pas parce que je dis ça que je considère qu’il est un non-jeu ! Et puis surtout, ça me conduit encore moins à considérer que des jeux comme Ico, Journey ou Edith Finch soient eux aussi des non-jeux vidéo ! J’adore ces jeux ! Et ce que j’aime justement chez eux, c’est qu’ils ont su dépouiller et adapter leur gameplay aux expériences narratives qu’ils proposaient, contrairement aux jeux Naughty Dog qui sont remplis de phases de jeu hors-sol qui peinent à cohabiter avec leur narration !

A l’inverse, je ne considère pas que les seuls gameplay intéressants sont ceux qui permettent de faire vingt milliards de bidouilles dans un triple A ou qui appellent à des manipulations techniques « exigeantes » comme dans les jeux From Soft ! Et pas plus d’ailleurs que je me désintéresse de ce que le jeu raconte et me fait ressentir, ce qui, aux dires de NostalGeek, serait pourtant le propre de la paroisse d’en face.


A bien les considérer donc, ces trois fameuses minutes n’ont pas eu pour fonction de présenter le débat pour ce qu’il était. Oh ça non, loin de là.

Ces trois minutes n’ont servi en définitive qu’à instaurer un cadre totalement biaisé pour orienter le propos vers une conclusion univoque, et cette conclusion vous la connaissez déjà : ceux qui nous font chier avec le gameplay ont tort. C’est un mot-valise auquel on peut faire dire ce qu’on veut. « Le bon gameplay, c’est celui qui résonne avec vous en tant que joueur. Celui qui vous tient par la main pour vous compter une histoire prenante. » Or, manifestement, Baldur’s Gate III a résonné dans le petit cœur de notre bon NostalGeek, alors forcément c’est un chef d’œuvre. Ça ne se discute pas. Fin de la discussion. Mike drop. Générique de fin.


A aucun moment cette vidéo n’a eu pour but d’approfondir un champ d’analyse, d’offrir un angle de réflexion nouveau ou bien d’alimenter – voire de dépasser – notre vision des choses, que ce soit sur le gameplay, sur Baldur’s Gate III, ou bien même tout simplement sur le jeu vidéo.

Si vraiment l’analyse avait été l’ambition première de NostalGeek, alors il aurait fait ce que tout vidéaste critique honnête aurait fait : il serait parti des arguments qu’on lui oppose.

Moi, par exemple, pour connaître la nature des critiques formulées à l’encontre du gameplay de Baldur’s Gate III – vu que je n’y ai pas joué – j’ai décidé de parcourir les quelques critiques postées sur ce site. Il ne m’a pas fallu longtemps pour repérer, parmi les avis les plus dubitatifs ou hostiles face à ce titre, quels étaient les points qu’on pouvait reprocher au gameplay de ce jeu : archaïsme d’un système de jeu centré autour du jet de dés au tour par tour, lourdeur du recours à l’inventaire dont le manque d’ergonomie et de clarté pénalise la fluidité de la partie, et enfin manque de lisibilité des combats pouvant nuire là aussi à la jouabilité. (Perso je n’ai trouvé aucun reproche formulé à l’encontre de la manière dont le cheminement dans l’aventure se faisait, ou bien contre le level design, donc comme quoi…)

Ces critiques ainsi formulées sont-elles fondées ? Sur ce point je ne saurais m’exprimer dans la mesure où – encore une fois – je n’ai pas pratiqué ce Baldur’s Gate III. Mais puisque NostalGeek commence sa vidéo en se disant étonné qu’on puisse trouver le gameplay de ce jeu mauvais, alors qu’il prenne au moins la peine d’attaquer de front les éléments qui sont le plus régulièrement soulevés !

Qu’il questionne la mécanique de jets de dés et son impact sur l’expérience et le ressenti du joueur !

Qu’il aborde la question de l’inventaire et des combats !

Qu’il interroge leur lisibilité et l’ergonomie globale de ce titre au regard de l’expérience ludique et narrative qu’il entend proposer…

Et s’il considère que, de son point de vue, tout ça n’a pas d’importance au regard des qualités narratives proposées, alors pas de souci. Qu’il le dise. Et s’il pouvait en profiter pour illustrer et analyser lesdites qualités qu’il évoque, ça serait même encore mieux ! Ça offrirait aux visionneurs de sa vidéo des éléments pour alimenter leur propre réflexion…

…Mais là n’était manifestement pas le projet.


Sur aucune des vidéos que j’ai pu voir, l’analyse n’était vraiment l’enjeu central.

Non. A chaque fois, l’enjeu central manifeste semblait toujours le même : la quête de légitimité. La quête de reconnaissance.

Ce n’est jamais anodin ce genre de quête-là.

De la légitimité auprès de qui ? De la légitimité à quel sujet ? De la légitimité dans quel but ?

Au premier abord, on pourrait aisément croire que le type de légitimité que recherche NostalGeek, c’est celle d’un jeu vidéo reconnu en tant qu’art à part entière. C’est ce qui pourrait expliquer les multiples rapprochements qu’il opère régulièrement entre œuvres vidéoludiques et œuvres littéraires, picturales, cinématographiques ou architecturales. L’idée induite par cette démarche serait celle d’un jeu vidéo à considérer tel un art comme un autre ; un « art total » comme le suggère d’ailleurs une de ses vidéos.

Il serait même tout aussi aisé de croire qu’au-delà même de ça, NostalGeek entende défendre la légitimité de tous les jeux vidéo à être reconnus comme œuvres d’art. Après tout, n’était-ce vers ce genre de discours qu’aboutissait son gloubi-boulga argumentatif au sujet du gameplay ? « Un jeu au tour par tour ou un visual novel n’est pas fondamentalement un jeu moins légitime qu’un jeu d’action, » affirmait-il…

Seulement voilà, moi je trouve qu’il s’y prend quand même d’une drôle de façon pour obtenir cette fameuse reconnaissance.


Parce que, bon, on en reparle des références faites au Monochrome d’Yves Klein et à l’allumette de Lawrence d’Arabie pour parler de gameplay ?

Franchement, ça a vraiment amené quelqu’un à se dire : « ah mais ouais, c’est vrai que c’est trop lié ! En fait le jeu vidéo c’est un art » ?

Au-delà même de ça, est-ce que ça a permis à quelqu’un de mieux comprendre, ou de percevoir autrement, le jeu dont il était question ?

Et que dire de cette loooongue introduction située en amorce de la vidéo de Xenoblade Chronicles X et qui entend relater la course démesurée à la hauteur que se sont menés les chantiers de cathédrales gothique ? Cet exposé de plusieurs minutes vous a-t-il vraiment permis d’accéder à un regard nouveau et éclairant sur l’openworld concocté par Monolith Soft ?

Quant à cette mobilisation de l’American Progress de John Gast pour parler de la manière dont ce jeu traitait de la question coloniale, elle vous a vraiment semblé indispensable ? Sans elle, vous ne seriez vraiment pas parvenus à comprendre les intentions du studio ?

Non mais sérieusement. Ne soyons pas dupes. S’il y a une légitimité et une reconnaissance que recherche NostalGeek, c’est avant tout la sienne et celles de ses jeux, plus que celle du jeu vidéo en général.


De toute façon, en vrai, qui remet aujourd’hui en cause la légitimité du jeu vidéo au sein de la société française à part quelques vieilles Ségo de-ci de-là ?

De même, qui va dire aujourd’hui qu’Edith Finch, The Last of Us ou Papers Please ne sont pas de vrais jeu vidéo, à part quelques Jean-Kevin du 18-25 ?

Et puis, enfin et surtout, qui conteste aujourd’hui le droit de NostalGeek à poster son avis sur Internet à part quelques rageux de Twitter / X ?

Est-ce que tout ça nous empêche vraiment de jouer aux jeux qu’on veut jouer et de nous exprimer sur ce à quoi on joue ? Moi je considère que non.

Pourtant, NostalGeek, lui, ne cesse de lancer des plaidoyers pour la reconnaissance du jeu vidéo en tant qu’art. Mais à qui lance-t-il vraiment ses plaidoyers ? Il y a-t-il seulement des gens qui, au sein de son public, ne sont pas déjà acquis aux causes et aux conclusions qu’il assène régulièrement assénées dans ses vidéos.

Encore une fois, l’analyse n’a jamais été le projet.


Celui qui cherche vraiment à affiner son regard et sa connaissance sur un domaine ne fuit pas la vision alternative. Il ne la cantonne pas dans un angle mort de son raisonnement pour éviter qu’elle ne perturbe son raisonnement, de même qu’il ne la déforme ni ne la caricature pas non plus afin de la repousser plus facilement. Bien au contraire.

Car de l’examen sincère d’une critique étrangère ne peut que ressortir deux choses : soit celle-ci se révèle au final infondée, et dans ce cas-là elle nous confirme qu’on va dans le bon sens ; soit elle s’avère fondée et, dans ce cas-là, elle ouvre la voie à une remise en question salvatrice de ce qu’on considérait à tort comme acquis.

Accepter ce jeu-là, c’est vraiment le meilleur moyen de progresser dans notre compréhension d’un média ; de s’émanciper de nos propres préconceptions ; de prendre un peu de hauteur par rapport à notre propre situation de joueur qui, au bout du bout, restera toujours singulière.

Par contre, refuser ce jeu-là – consciemment ou non – c’est forcément chercher à privilégier autre chose.

Préserver un confort de pensée.

Ménager un système logique pas suffisamment armé.

Choyer un ego en quête de légitimité


___

Vous pensiez qu'en arrivant au bout de cette page vous arriveriez à la fin de ma critique ? Quelle idée ! Certainement pas ! Comme souvent SensCritique est un peu avare en termes d'espace de publication, alors il faudra se rendre au sommet de l'espace commentaires pour lire la suite et la fin. Bonne lecture. ;-)

Créée

le 26 févr. 2024

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