Enfin, surtout Aaron Guzikowski (scénariste de "Prisoners") et Ridley Scott pour cette première saison de "Raised by Wolves" qui devrait ravir tous ceux en manque de propositions SF exigeantes sur le petit écran !
En plus de l'architecture visuelle, de la beauté magnifiquement austère de son univers à travers la réalisation des deux premiers épisodes (son fils Luke prendra ensuite le relais sur quelques-uns des suivants), l'ombre de Ridley Scott se fera ensuite sentir sur la totalité de cette première saison tant le matériau scénaristique que lui fournit Aaron Guzikowski semble être le parfait réceptacle des obsessions récurrentes du metteur en scène anglais.
Alors qu'une guerre de religion entre l'Église Mithraïque, un culte à la gloire de ce fameux Sol, et le reste de la population athée a ravagé notre Terre, une navette atterrit sur l’exoplanète Kepler 22B (vraiment découverte par la NASA en 2011). À son bord, deux androïdes, Mother et Father, ont la mission de "cultiver" des embryons humains et d'élever les enfants qui en résulteront loin de la foi destructrice de leur civilisation...
Une nouvelle ère de survie sur une planète inconnue, la naissance de la vie, la genèse d'une civilisation dirigée par des êtres artificiels en quête d'humanité, la relation d'un créateur face à ses créations, l'émergence de la foi où le côté absolutiste des croyances de certains côtoie sa remise en cause par d'autres, le rapport à la maternité désirée ou non, l'ambiguïté de la perception du miracle... Vous l'aurez compris, les grandes thématiques plus ou moins entrevues dans "Prometheus" et "Covenant" sont au cœur de "Raised By Wolves" mais elles sont ici débarrassées de l'encombrante mythologie Alien dont Scott ne paraissait plus savoir quoi faire et qui prenait le pas in fine sur tout le reste. Comme libéré de ce poids (même si quelques clins d'oeil appuyés subsistent encore), Scott trouve enfin le terrain de jeu idéal pour incarner ses questionnements de cinéaste dans une histoire originale qui ne va cesser d'en élargir le champ autour de personnages les vivant de plein fouet.
C'est d'ailleurs là une très grande force de "Raised By Wolves", partir d'une espèce de simulacre symbolique de la vie familiale par deux androïdes et la remettre perpétuellement en cause par une amplitude insoupçonnée d'événements trouvant aussi bien leur source dans l'environnement mystérieux d'une planète étrange, la triste histoire passée de la Terre du futur ou la résurgence de failles terriblement humaines. Au cours des dix épisodes, les péripéties concoctées par Aaron Guzikowski ne seront jamais le fruit du hasard : elles malmèneront toujours les personnages sur ce qu'ils croyaient être leur nature intrinsèque, changeront constamment les composantes des camps en opposition et seront même construites par un vaste jeu de miroirs entre les motivations et les rôles de chacun.
Évidemment habitée de références ostensiblement bibliques (mais pas que), l'écriture de cette genèse futuriste fera également la part belle à l'émotion véhiculée par ces formidables protagonistes. Mother et Father risquent fortement de rentrer au panthéon des androïdes les plus marquants des séries SF (une réussite décidément indéboulonnable des oeuvres de Scott) leurs interprètes Amanda Collin et Abubakar Salim font en effet des merveilles de subtilité pour traduire les bouleversements internes de ces êtres pétris de nouvelles contradictions. Face à eux, Travis Fimmel (le Ragnar de "Vikings") et Niamh Algar, incarnation évidente de l'héroïne "scottienne" (énorme coup de cœur pour ce personnage) seront tout aussi impressionnants en équivalents humains basés sur des faux-semblants les dévorant de l'intérieur. Bien loin des têtes à claque insupportables de "The 100", les enfants et ce que la série dessine d'eux quand à leur devenir sur le long-terme auront aussi tous un rôle-clé à jouer par leurs personnalités antagonistes dans la direction décisive des événements.
À l'issu de son ultime épisode, "Raised By Wolves" délivrera des indices ô combien capitaux sur la manière d'appréhender le fonctionnement de son univers
-la thèse d'une immense boucle temporelle est à privilégier-
mais laissera encore bien des questions en suspens auxquelles la deuxième saison, déjà confirmée, se devra d'apporter des éclaircissements. Selon Aaron Guzikowski, la série a le potentiel pour durer au moins cinq ou six saisons, gageons que l'intelligence de cette production SF somme toute assez unique dans le paysage audiovisuel actuel permettra à son créateur d'aller jusqu'au bout de ses ambitions. "Raised By Wolves" le mérite tellement.