Real Humans
7.4
Real Humans

Série SVT1 (2012)

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Hubots, encore un effort si vous ne voulez pas finir humanistes...

La série Real Humans (rediffusée sur Arte) met en scène des robots au service des humains, les hubots. Parfaitement intégrés à notre quotidien, ils font le ménage, servent de coach sportif, de partenaire sexuel, travaillent à la chaîne…

Plusieurs intrigues enchevêtrées racontent la relation humain-hubot, et le scénario suit une dialectique assez classique où l’opposition se joue dans une série de perspectives plus ou moins conflictuelles en vue d’une synthèse finale. Les hubots veulent être reconnus en tant qu’individus et vivre comme des
humains.

Du côté humain, il y a les amoureux des hubots ; ceux qui luttent pour les faire disparaître en distribuant des autocollants 100 % humains ; ceux qui ne les aiment pas et vont se mettre à les aimer… À noter, dans ce monde où la consommation et la technologie ont poli les existences, il y a quelques humains à têtes de Playmobils qu’on distingue difficilement des hubots.

Du côté hubot, alors que chaque hubot se doit d’être la propriété d’un humain, un groupe de mutants « autonomisés » circule clandestinement. Ces derniers disposent d’un programme leur conférant une « volonté propre » qu’ils veulent répandre chez tous leurs « congénères ». Une femme flic de la brigade des hubots se révèle être leur complice, étant elle-même une hubot infiltrée. Et, à force de côtoyer les humains, elle va se prendre d’affection pour eux et finira par éliminer la hubot du groupe qui les assassine en secret : oui, toutes les combinaisons sont possibles, les hubots se tuent aussi entre eux.

Les frontières se brouillent encore avec ce personnage qui, après sa noyade, a été hubotisé par son père, le créateur des supers hubots. Mi-humain, mi-hubot, le fils développe un amour passionnel pour Anita, une des hubots à supplément d’âme, et se donne entièrement à leur cause.

La série captive rapidement, multipliant les seuils autour de la différence homme-machine, hantée par la question de savoir ce qui distingue un humain d’un automate. Sentiment d’effroi lorsqu’on rencontre leurs yeux lisses. Plus ils sont proches de nous, plus leur étrangeté nous plonge dans un abîme.

Sans compter leur capacité à intégrer les codes humains, et à en jouer sans qu’on sache s’ils sont malicieux ou s’ils ne font qu’assimiler des données nouvelles. « Ça déchire ! » lance l’hubot Anita invitée à la table familiale, reprenant l’expression de l’adolescent et faisant rire toute la famille.
En parallèle au brouillage des frontières, les petits décalages entre humains et hubots se multiplient. Lorsqu’ils sont trop mécaniques pour paraître humains. Ou lorsqu’ils se prennent d’un sentiment qu’ils surjouent comme des adolescents emportés. Arrogance d’une hubot qui refuse farouchement de s’excuser, illumination mystique d’un autre qui chante trop fort à la messe, ce qui les rend encore plus inhumains à force de s’en approcher, le débat se situant sur les seuils du calculable et de l’incalculable, entre nature et technologie.

Par exemple :

Adolescente en pleine crise :- Tu n’es qu’une machine à calculer ! Tu comprends ce que je dis ?

Hubot familial : - Nous sommes faits d’une multitude d’équations qui calculent, et à un certain niveau de complexité le résultat n’est pas donné d’avance. Et… j’ai le souvenir de cet enfant avec lequel je jouais il y a longtemps, répond la hubot reprogrammée qui se découvre un ancien Moi caché au
fond de son « inconscient ».

Autre séquence :

Hubot super-amant : - Pourquoi nous n’aurions pas les mêmes droits que vous ?

Femme amoureuse de son hubot : - Je suis le fruit du corps d’une femme, et vous avez été fabriqués !

Hubot super-amant : - Nous sommes les fruits de votre imagination.

Et le scénario s’amuse à inverser les rôles avec une femme pasteur homosexuelle, offrant refuge au groupe de mutants. Une hubot, modèle Barbie, qu’on aurait cru par-delà bien et mal, se prend soudain de dégoût pour celle-ci et sa partenaire. Un robot au programme hétérosexuel aurait conclu au pire à un bug humain, mais cette hubot éprouve une véritable répugnance, comme si cette altérité la menaçait dans son propre corps. La chef du groupe (il semble qu’il y ait des hubots avec plus d’ascendant que d’autres) doit réprimander la hubot homophobe qui les met en danger, et s’excuse auprès de leurs protectrices, semblant s’y entendre parfaitement en questions de genre. Et voilà les hubots qui se mettent à discuter entre eux de façon démocratique avec des avis divergents comme de véritables humains à opinion.

Il ne manquerait plus que des humains souffrant du syndrome de la Tourette, que les hubots en viendraient à considérer comme des machines défaillantes, et la série aurait fait défiler l’ensemble des combinaisons.

Au fil des épisodes, on finit par se demander ce que font ces hubots lorsqu’ils restent entre eux pendant des heures quand ils ne se rechargent pas et ne font pas d’assemblée démocratique. Ils se disputent, certes, mais ne se touchent-ils pas ? Sont-ils capables de jouir et de s’aimer ? Ces hubots ne désirent-ils que des images calquées de la vie des humains ? Seraient-ils condamnés à mimer leurs comportements sans incarnation véritable ?
Il reste qu’ils sont évolutifs, leur histoire crée de nouvelles connexions. Par exemple, lorsque Leenhard, le vieux retraité, demande à son hubot disparu s’il se souvient de lui, le robot lui propose des lasagnes, ou de construire une maquette. Et le visage du hubot se déride en prononçant le nom de son ancien propriétaire avec lequel il partage tant de souvenirs.

Lorsque la Barbie hubot s’incruste à une soirée mondaine à la recherche d’un riche prétendant, ou qu’un hubot « virilisé » par un programme additionnel part draguer des humaines au supermarché, ils semblent bien capables d’affirmer leur désir à travers des choix (qui renvoient paradoxalement à des programmes, et nous interrogent sur nos propres programmations sexuelles).

Mais, en les construisant avec nos représentations, on pourrait se demander ce qu’il reste d’étonnant dans cette ressemblance. Dans ce circuit mimétique, la série semble s’enferrer dans des présupposés qui empêchent à ces hubots toute échappée subjective. À la fin de la saison, les hubots se révèlent avoir été créés pour lutter contre la mort. Ils serviront aux humains à devenir immortels en récupérant leurs souvenirs, et toute la quincaillerie métaphysique et nihiliste qu’on pressentait se confirme.

Certes, on peut approcher la série sous un autre angle, où son intérêt ne serait pas tant que ces hubots nous interrogent sur ce qu’est l’« humanité », mais qu’ils nous servent de miroir et renvoient à nos propres préjugés (qui peut prétendre au libre-arbitre ? quelle sexualité ?..) et à notre déshumanisation. Les hubots qui travaillent à la chaîne, uniquement voués à la performance et loin de nos états d’âme, illustreraient notre rabotage, lorsque nous sommes traités comme des machines, qui plus est, remplaçables par des appareils plus perfectionnés.

Et pourtant, humains, ne sommes-nous pas également composés de machines ? Ne sommes-nous pas dépendants des rythmes de nos corps, agis par les répétitions de nos inconscients ? Faudrait-il accepter sa part machinique pour ne plus être réduits au machinisme ? Résolution finale de la dialectique humain-hubot ? Ou dissipation d’une opposition qui n’a pas lieu d’être et qui continue à structurer nos sociétés ? D’un côté l’humanisme (cynique) et son libre-arbitre, de l’autre, l’instrumentalisation du vivant (humain et animal) et du non-vivant, héritage d’une métaphysique en miettes qui conserve le « sujet humain » au centre de la création.


Voir l'entretien avec Philippe Borrel, réalisateur du documentaire joint au coffret DVD de la série "Demain, un monde sans humains ?"

Voir également le numéro 75 de Chimères, Devenir~hybride, sur cette thématique.
Cet article (LVE) est issu de la revue Chimères n°80, Squizodrame et schizo-scènes
Elias_Jabre
7
Écrit par

Créée

le 7 mai 2014

Critique lue 387 fois

Elias Jabre

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