Variante policière historique et dramaturgie classique de la série

Ripper Street est une série policière, et aussi une série historique. C'est de là que ma note n'est pas sévère, car la série développe efficacement l'aspect policier, l'aspect relationnel et l'univers.Mais mettons de l'ordre dans tout cela ou plutôt, développons.
Ripper Street est avant tout une série policière: chaque épisode étant menée par une enquête dans la première saison, puis par les relations des personnages dans la seconde. Or la seconde saison est le corollaire, la suite logique de la première. Pas parce qu'elle est la saison 2 suivant la première, mais parce qu'une série policière enchainant simplement les enquêtes, même avec la grande variante des enquêtes en plusieurs épisodes, des enquêtes menées par un personnage principal, est une variation trop simple de la série policière. Les séries policières jusqu'aux années 2000 se basaient simplement sur de nouvelles enquêtes, mais celles-ci montrent bien trop de régularités. Le concept d'identification du spectateur étant la base du cinéma et du spectacle, d'ou le nom et non pas l'excès et la profusion, les personnages de séries policières développèrent des personnages en deux mouvements: multiplication de personnages secondaires qui sont développés au cours des enquêtes, ou un personnage principal charismatique. Evidemment, l'aspect moral définissant les personnages en a fait depuis les années 2000 un mélange savant, d'où la réussite de séries américaines avec DES personnages charismatiques et DES intrigues de personnages secondaires, souvent négatifs mais profondément humains, souvent géniaux (d'où le "charisme": House et The Mentalist par exemple).
Le policier se base sur l'enquête, peu importe qu'elle soit médicale, scientifique ou dans le cadre policier à vrai dire: le dernier étant désormais évité par la surcharge de séries, étant devenues stéréotypées, les produits culturels se différencient de manière minime en affirmant la structure et en changeant l'apparence. D'où le vague sentiment que beaucoup de séries se ressemblent.Car l'intrigue policière apparaît plus ou moins dans toute les séries, soit sur le long terme dans une longue enquête ou recherche, soit épisodiquement, soit toujours dans le cas de la série policière. Mais pourquoi?
Car le principe de tension dramatique , d'intérêt, se retrouve à sa quintessence dans la recherche, l'analyse, l'enquête. Il s'agit d'un principe scénaristique merveilleux: on a un mystère à résoudre, on a des indices légers.Il ne manque qu'à faire le lien, car il y a toujours un indice, même quand il n'y en a pas d'ailleurs (un scénario utilise bien des moyens pour varier une histoire). A partir de ce moment, si le mystère est intriguant, si le rythme est suffisamment efficace, si on cherche à se divertir ,si on s'ennuie (c'est 99% des cas pour les deux précédents), ca marche. on capte l'attention, et on met ensuite des indices jusqu'au coupable.
Il faut considérer que la production en série de série vient d'un besoin de matraquage autant que d'une certitude que quelqu'un regardera: du à l'ennui et au travail, donc pour le combler ou se détendre,faire une pause. Vivre dans un autre monde qui est un monde magique où tout change, avance sans autre effort que l'attente d'un épisode, avec l'aisance et la fluidité de l'onde . Industrie du rêve, bref.
Pour revenir à Ripper Street, il va s'agir justement que les enquêtes sont faites par des êtres, des personnages au caractère plus ou moins intéressant (ici c'est le coté police). Mais déja, la présence de Jackson, un américain douteux, ami et amant d'une maquerelle est une vision du monde anglais circa 1880-90. Le principal avantage de la série, son seul véritable attrait car les personnages sont somme toute ou bien niais ou bien typiquement méchants ou tourmentés, zélés et cyniques, mais tous se verront amenés vers la désillusion: l'angleterre possède dans sa capitale, à Whitechapel, lieu de l'apparition du l'éventreur Ripper, un minicapitalisme à l'époque de l'accumulation industriel pré-tayloriste.
En bref, la série se pose dans le pays qui est le plus riche et le plus puissant à l'époque de par son empire colonial et le fait qu'il soit le siège libéral du monde, occidental, impérialiste et colonial.
Le véritable combat des personnages est celui de toutes les séries policières : le crime. Mais dans cette époque, et dans ce quartier, nos policiers vivent véritablement ce monde: le capitalisme ronge tout et se trouve à l'origine de nombreux crimes pour s'y adapter. De l'industrialisation aux circuits d'opium, du droit des femmes et leurs combats aux monopoles de compagnies, des développement de l'électricité et de sa démocratisation aux développements de la caméra, aux cultes crépusculaires et à la prolifération des orphelinats, de la presse à scandale à l'exploitation coloniale, le droit des travailleurs à l'anarchisme, les revendications de vétérans aux services de milices, la série brasse de nombreux sujets tirés de l'histoire, dans une synthèse dramatique et une réalisation efficace et simple, jamais tapageuse. Si la conscience des scénaristes ne met finalement jamais totalement en propos le combat direct des protagonistes contre ce système capitaliste, seulement contre ces symptômes. La est sa limite afin d'être une série qui se vend et qui n'aborde pas trop précisément des sujets qui fachent. Il va seulement s'agir d'utiliser ces faits généralement reconnus comme nocifs, les montrer dans des cas sortant un peu de l'ordinaire, d'utiliser simplement comme référence l'Histoire pour l'histoire. Détourner de ses potentialités afin de servir ce même système, en ajustant et levant le niveau devant l'incrédulité totale de la majorité des séries sur cet aspect quotidien de la société.
On approche donc, avec moins de puissance qu'une série comme The Wire, mais de manière plus dramatique et synthétique (la bas du drame comparé à la tragédie de The Wire), de la critique, et donc de la série véritablement géniale, car réaliste et réelle, divertissante et didactique, oeuvre d'art de l'époque de la recherche scientifique.Le principe, comme The Wire, du genre policier servait de plus ce projet: enquête sur le monde, analyse scientifique d'épisodes en épisodes d'un monde, concentration des aspects sociologiques synthétique puis développement d'une théorie d'action ou à tout le moins, de connaissance du monde.
Mais comme sa soeur la série Whitechapel, elle contemporaine, Ripper Street pêche par le manque de dynamique des personnages, trop plats. Les intrigues sont cependant véritablement intéressantes historiquement, même si étonnement simplistes dans le cadre d'un divertissement, et les décors bien réussis.
Par rapport à ce genre de séries viens un constat et une question importante qui taraude tout cinéphile : les séries sont dans le cadre télévisuel et les films dans le cadre du cinéma . Qu'est ce qui différencie le cinéma de la télévision (la dessus, des critiques comme Serge Daney (son article "grammaire ...") sont assez clairs) ? Mais surtout , les séries sont elles du cinéma? Les séries depuis les années 90 avec X-Files et Twin Peaks étaient de ce point de vue des prototypes puissants (mis à part les séries de cinéastes comme Bergman, Fassbinder,...) montrent le rapport étroit entre films et séries actuellement. Que Fincher, Scorcese, Trantino et tant d'autres passent du grand au petit écran pour un peu de pecune, pour s'entraîner et face à un certain nombre de contrainte dues à l'aspect régulier de la série se comprend. Mais entre un film et une série, est-ce seulement par le différentiel temporel, qui fait que la série ne peut passer au cinéma qui demande un temps de disponibilité faible, et donc que la série serait au cinéma ce que le roman est à la nouvelle? Sans parler du débat cinéma/littérature , n'y aurait-il pas autre chose?
Il faut voir que Ripper Street a subi un arrêt à deux saisons, en 14 épisodes, et est une série de la BBC, qui continue sur la même lancée stylistique et thématique avec Peaky Blinders, qui elle aussi semble prometteuse.
La classe anglaise du drame sériel passe par l'efficacité historique et l'humour plus cru et réaliste que l'efficacité américaine qui passe par la panoplie des sentiments et des sujets sur la mentalité contemporaine en plus d'une énorme diversité.
Perferic
7
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le 1 janv. 2014

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