She-Ra et les princesses au pouvoir
7.4
She-Ra et les princesses au pouvoir

Dessin animé (cartoons) Netflix (2018)

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She-Ra et les Princesses au Pouvoir est le reboot audacieux d’une série mercantile d’animation des années 80 par Nate Stevenson (créateur des comics Nimona et Lumberjanes). Dès ses débuts, sa communauté a fait de son mieux pour lutter contre les préjugés rétrogrades qui ont précédé la parution du premier épisode. Pari réussi pour cette série qui va à l’encontre des présomptions dépréciatives (en particulier anti-féministes) – désormais considérée comme le nouveau maître étalon des progrès du média.

Avant sa sortie, les nouveaux designs des personnages ont étés virulemment critiqués par les misogynes nostalgiques de la série originale. Néanmoins, ces choix vont dans le sens du message progressiste de la nouvelle série. Le chara-design varié de ses personnages a été travaillé pour refléter les personnalités de chacun, contrairement à la série originale (créée initialement pour vendre des jouets intégralement basés sur le même moule de poupée). Plus encore, les designs s’adapteront à l’évolution de l’histoire ; histoire qui est autant centrée sur l’intrigue principale que sur le développement de ses personnages.

La série débute pendant une guerre entre la Rébellion (alliance des princesses magiques) et la Horde (voulant conquérir la planète pour d’obscurs desseins) lorsqu’Adora, orpheline élevée en tant que soldate de la Horde, découvre une épée magique qui la transforme en la guerrière légendaire She-Ra. Prenant conscience du mal que fait la Horde et des mensonges qu’on lui a inculqués, celle-ci déserte et rejoint la Rébellion, tout en devant affronter son amie d’enfance Catra restée du côté de la Horde. A partir de là, l’histoire se développe et l’on découvre le monde en même temps que son personnage.

De prime abord, l’opposition entre une Horde maléfique et des royaumes de princesses semble appeler une intrigue manichéenne – dont la moralité serait à la fois binaire et enfantine. Cependant, et de façon bienvenue, cela n’est absolument pas le cas ici. La Horde et la Rébellion sont composés de personnages nuancés dans leurs motivations : leurs choix et leurs actions sont complexes, ce qui permet de facto de les humaniser.

Toutefois, malgré une bonne introduction, la série met du temps à démarrer – notamment dû à des épisodes plus « moyens » de présentation des princesses secondaires. Une fois celles-ci caractérisées, l’histoire va progressivement gagner en qualité. Il faut véritablement attendre l’épisode 11 pour que celui-ci donne un aperçu du potentiel qu’atteint la série par la suite. Dès lors, le scénario s’articule autour d’une évolution des enjeux allant de pair avec le parcours du duo Catra/Adora, et ce jusqu’à la fin de la 5e saison.

Dans son ensemble cette histoire de 52 épisodes exécute avec brio une série d’idées rafraichissantes dans le paysage du dessin animé pour enfants.

Se déroulant dans un monde magique très varié, oscillant entre univers fantastique (forêts enchantées non dénuées d’une certaine ambiance « miazakienne ») et futuriste (ruines d’une civilisation stellaire, décors de science-fiction…), la direction artistique présente nettement son intention de diversité*. Si l’animation est quant à elle moyenne (du moins dans la première saison), l’art visuel apporté à certains lieux et décors ne déçoit pas (au point d’y dénoter peut-être l’influence de Moebius). De la série émane une ambiance très « eighties », teintée de pastels et de néons pouvant emplir chaleureusement le cadre. Les développeurs de la série ne perdent pas de vue cette influence puisqu’ils n’hésitent pas à s’y référencer de temps à autre (easter egg autour des designs originaux…).

L’une des volontés de l’auteur a été de développer des personnages complexes, servant une histoire cohérente centrée autour de leurs profondeurs émotionnelles. Les arc narratifs sont ainsi ramifiés autour du fil rouge de la série: l'évolution parallèle des péripéties d'Adora et de Catra (passant d’amies d’enfance à ennemies). Leurs développements constituent le cœur du storytelling de She-Ra, permettant aux enjeux de s’approfondir à chaque saison, sans que cela ne semble forcé ou artificiel.

Le lien qui les unit est façonné par la sorcière Shadow Weaver, figure maternelle abusive et manipulatrice les ayant élevées. Cette dernière fait d’Adora sa favorite et la rend tributaire des mauvais agissements d’une Catra qu’elle considère ouvertement comme une nuisance – ce qui influence de façon durable leurs rapports aux autres.

Adora, en tant que personnage principal, se doit de posséder des attributs de charisme héroïque (meneuse, combattante, tacticienne…). Stevenson trouve une parade à ce cliché narratif en la teintant d’un complexe du héros lorsqu’elle doit naviguer entre sa personnalité propre et celle de She-Ra, la guerrière prophétique qu’elle doit incarner.

Catra devient sa nemesis, jugeant qu’Adora préfère l’abandonner pour se battre aux côtés d’inconnus plutôt que rester auprès d’elle. Cachant sa vulnérabilité derrière un masque d’indifférence, tout en refusant d’assumer ses responsabilités (puisqu’Adora occupait auparavant ce rôle pour elles deux), elle n’aura de cesse de contrecarrer Adora, cherchant à prouver sa valeur et gagner sa place de favorite.

A cela, She-Ra introduit pléthore de dynamiques que l’on ne voit pas habituellement dans l’animation mainstream. Stevenson a dit refuser de tomber dans les travers du « strong female character » : personnages féminins forts mais dénuées d’émotions (pratique courante dans les médias hollywoodiens) ; ce n’est pas un hasard si cela est permis par une équipe créatrice et un casting à 95% féminin, cimentant au passage facilement le Bechdel test et osant une représentation avant-gardiste.

On parle içi d’une série d’animation américaine pour enfants, mais qui s’apprécie d’autant plus au-delà de cet âge, puisqu’elle véhicule positivement des représentations queer-friendly. She-Ra devient une relecture LGBT d’une série vieille de 35 ans sous un enrobage extérieur de « magical girl ».

En cela, la série s’inscrit dans le courant d’autres productions telles que The Legend of Korra ou Steven Universe, symbolisant l’évolution du média ces dernières années. Ces dernières sont considérées comme pionnières dans leur représentation de sujets auparavant inexistants pour les nouvelles générations. Une évolution à la fois salutaire et attendue, les créateurs d’aujourd’hui proposant ce qui a pu leur manquer dans leur propre paysage culturel (les enfants n’étant alors pas exposés à des caractéristiques considérées comme hors-normes).

En interview, Nate Stevenson a révélé avoir dû être extrêmement méticuleux et prudent pour inclure la représentation de personnages LGBT dans son histoire. Le fait que la série ait été écrite en 52 épisodes dès le départ lui a permis de justifier en amont ses objectifs pour ne pas essuyer de refus de la part des producteurs. La saison 1 constitue en soi un pilote et son succès a pérennisé sa vision sur le long terme.

Concrètement, son approche se ressent tout au long de la série ; si la première saison coche les cases d’une série d’aventure et pose une base solide pour son univers, ses personnages ainsi que ses futurs enjeux, la bride est lâchée progressivement dans les saisons suivantes (couple homoparental, mercenaire métamorphe non-binaire, couple de princesses mariées…). De plus, les efforts au niveau de la réalisation et du montage deviennent au fur-et-à-mesure des saisons de plus en plus soignés, permettant aux relations d’évoluer via un autre biais que le dialogue.

Ces ajouts permettent de solidifier la légitimité de la résolution de la relation Catra/Adora. Malgré tout, cette fin n’a pas été acquise facilement. Stevenson a expliqué avoir planifié un final gay, mais redoutait que le studio ne le fasse passer à la trappe. Il a donc choisi d’écrire un scénario dont la fin ne pourrait pas être supprimée sans que le reste de l’histoire ne perde son sens, rendant ainsi la progression de la relation entre Adora et Catra fondamentale et indéniable**.

Cet univers de fantasy/science-fiction réussit également à aborder d'autres thèmes complexes (le deuil, l’acceptation du changement…) sans jamais tomber dans l’infantilisation facile.

Pour finir, faisons mention de la musique composée par Sunna Wehrmeijer. Celle-ci parvient à mélanger l’hommage aux années 80 (usage du synthétiseur – presque une marque de fabrique de la décennie) tout en faisant le parti-pris d’intégrer de nombreuses (et superbes) compositions orchestrales plus modernes. A cela s’ajoute un intérêt porté aux leitmotivs musicaux qui s’harmonisent organiquement avec la narration.

Tous ces éléments s’accordent pour créer une de ces œuvres que l’on prend plaisir à revoir. Que l’on soit le cœur de cible ou non (sous réserve d’être réceptif à ses thèmes avant-gardistes), She-Ra et les Princesses au Pouvoir parvient à marquer durablement ses spectateurs et fait partie de ces coups de cœur qui impactent par leur justesse et capacité à surprendre.

[Critique co-écrite avec AgathP]

*L’univers de He-Man (dont est issue la série originale de She-Ra) oscillait déjà entre le fantastique et la science-fiction.

**Pour aller plus loin sur la relation Catra/Adora, voici le script (en anglais) de scènes coupées écrites par l’auteur découlant de l’épisode « Save the Cat » : https://archiveofourown.org/works/24280306

QuentinPtrwsk
10
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le 5 janv. 2021

Critique lue 2.1K fois

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