Anomisme, bête sauvage, médiocrité sans fard
« Sons of Anarchy », dans quelques jours c’est fini, et ce n’est pas tant pis.
L’anarchie comme thème politique et sujet apparemment central ne sert ici que le paravent ou l’excuse à une médiocrité confinant à son paroxysme, celui de la laideur contemporaine pleine : le satanisme, qui dans son acception séculière recouvre une façon très voisine d'expliquer les mêmes phénomènes que sa version religieuse et transcendantale, est le moteur d’individus anomiques d’une société de déréliction réduite à l’agglomérat, sans chef ni loi ni en fait plus rien du tout et où tout est bon pour justifier l'injustifiable, et une propagande de haine et de violence à la fois ininterrompues et non dissimulée, proposées sans aucune concession que tout art pour s’élever pourtant exige. C’est que la morale elle-même ne se fait pas son propre sujet et sont proposés sans question, sans médiation et surtout à tout public des spectacles autojustifiés (et dès lors complaisants) de l'assassinat hyperréaliste d'une mère par son fils ou du bûcher d’un enfant donné aux yeux de son père. Leur cartographie ne recense qu’une fuite en avant sauvage d’exaltations des orgueils et d’actes abominables, prurit de la bête sauvage de la mercatique, jamais la plus petite promesse de revendication sociale, collective et de transformation, radicale ou non et dont l’élan eût justifié seul un point de départ minimal. Il revient alors au spectateur qui n’est pas une amibe d’imaginer peut-être au moins en creux le constat rousseauiste « l'homme est né bon, la société le déprave », mais celui-ci n’entreprend nulle part sa marche et stagne lamentablement au constat défaitiste de la lutte de tous contre tous.
Cette machine à captiver du cinéma américain donné en pâture à tous et pour le pire, de produits artistiques dont il est toujours délicat de parler qui multiplient les points de vue et les intentions, de mirifique devient même parfois mirobolante pour peu qu’on se laisse happer par quelques-unes de ses qualités indéniables (mention spéciale à Walton Goggins, connu depuis « The Shield », et Kim Coates, poète hérétique) ou la publicité faite par ses hérauts idolâtres du Web, souvent pressés, à mémoire raccourcie, « sérievores » à œillères à l’appétit mini, de surcroît effroyablement incultes.
Une perception politique, sociologique ou morale de « Sons of Anarchy » ne peut manquer d’en saisir de la mélasse le substrat et l’éthos méphistophéliques, d’y voir le désemparement, les fêlures et avanies de la « raison » individualiste. L’idée souvent vague de violence gratuite prend tout son sens ici.