Surprise à l’arrivée : deux doigts de prêtre, hymen-check oblige. Catherine est immédiatement assignée à sa fonction première : être le réceptacle du sperme de la loi divine afin de produire un héritier. Mais ce rôle n’intéresse guère cette jeune Allemande fraîchement mariée à l’empereur de Russie. Rien ne semble pouvoir freiner son idéalisme, pas même lorsqu’il devient profondément humiliant.
La série déploie, avec un humour délicieusement cruel, les limites d’une masculinité toxique qui se prétend « prête à changer ». Il se révèle impossible d’épouser un progressisme (de salon), de se suffire à son statut de père au foyer, tout en restant arrimé à un boys club de vieux machisme guerrier. Tenter de joindre les deux rives mène à une seule issue : tu crèves et tu tombes dans un trou. Le charisme toxique apparaît alors pour ce qu’il est réellement : un outil de domination.
Comme sa femme, on flirte avec l’humanisation du bourreau, mais même détenu, prisonnier et semi-dénigré, il reste lourd. Coucher avec un tyran sans l’absoudre ?
Calquer des concepts hors-sol sans considération pour la réalité locale devient un running gag politique savoureux. Les « Lumières » européennes sont traînées dans la boue russe, au sens propre comme au figuré. L’idéalisme occidental, convaincu de sa supériorité morale, se fracasse contre un système brutal et cynique.
Catherine veut changer « la Russie », mais ne voit pas plus loin que sa cour et son château. Lorsqu’elle fait enfin entrer les paysans dans l’équation, la désillusion est immédiate : les masses ne soutiennent pas ses idées. Elle incarne un progressisme « clé en main », persuadé de son universalité. La série propose ainsi une critique fine du colonialisme idéologique et rappelle, avec justesse, que l’émancipation ne se décrète pas depuis un trône.
C’est drôle, excessif, saturé de tout ce qu’un cluster nobiliaire peut produire en abondance : trop de sexe, trop de nourriture, coups d’État et vendettas. L’outrance devient un outil politique à part entière ; le grotesque sert à dénoncer la déconnexion totale des élites.
On peut toutefois regretter que le sosie caricatural de l’Empereur n’aille jamais jusqu’au bout d’une véritable révolution populaire. Le changement reste confisqué par les puissants, même lorsqu’il se prétend éclairé. The Great raconte moins la naissance d’un monde nouveau que l’échec répété de ceux qui veulent réformer sans jamais renoncer à leurs privilèges.