Je suis très sensible à la musique.

Je fais partie des dizaines de millions de personnes qui ne peuvent pas vivre une journée entière sans avoir ressenti une immense vague émotionnelle (joie, peine, rire, rage) dans les oreilles.

Et cette même vague a tendance à me prendre par les sentiments à l'écran également.

Je suis tombé sur cette série par le plus grand des hasards, en regardant le line up du "Série Mania" 2021. Un coup de cœur du public: tiens tiens...

Alors je me suis renseigné. Et je me suis décidé à regarder et surtout écouter.

Car OUI: We Are Lady Parts vaut le coup d’œil, et surtout d'oreille.

Située en Angleterre à Londres de nos jours, WALP raconte l'histoire d'Amina, jeune femme musulmane étudiante en biologie à la fac, qui enseigne aussi la guitare aux enfants défavorisés de son quartier. Son objectif premier, en accord avec sa religion et ses principes, est de se trouver un mari le plus rapidement possible: elle se doit de devenir quelqu'un, au sein de sa communauté. En a-t'elle envie ? On se pose la question devant ses sourires gênés et ses yeux incertains lors des rencontres organisées par ses parents. Pression familiale ? Même pas. ses parents lui font confiance autant qu'ils la soutiennent ( ces derniers représentent d'une certaine manière un comic relief du vieux couple marié très jeune par arrangement mais qui tend à rire avec désinvolture de cette convention un peu dépassée).

Mais Amina a en vérité déjà son cœur pris: Ahsan, étudiant également, qui tombe sur elle par hasard dans la rue en lui remettant un tract qui annonce une audition de guitariste pour un groupe de punk local (Ahsan est le frère de la batteuse). Amina y voit une opportunité de le revoir et se rend à l'audition pour cette simple raison.

À peu près en même temps, nous faisons la connaissance du groupe de punk en question: Lady Parts. Composé de quatre femmes, musulmanes également:

-Saira (lead guitar/ lead sing)

-Bisma (bass)

-Ayesha (drums)

-Momtaz (manager)

Mais il leur manque une guitare, le truc en plus, la perle.

Plusieurs personnes vont et viennent pour candidater dans ce lieu improbable, sauvage et littéralement cru (l’audition se fait dans la boucherie du père de Saira) mais personne n'a cette flamme, cette spontanéité que recherchent les jeunes femmes.

ET pourtant vous savez quoi ? Amina non plus ne l'a pas; Pas encore, du moins.

Mais lorsque cette dernière arrive sur place en retard, espérant juste retrouver Ahsan, Saira la reconnaît. Elle se souvient d'elle: Amina avait déjà joué devant un public il y a longtemps, mais lors d'une crise de panique, elle fut prise de vomissements, se couvrant elle-même de honte et devenant la risée de son école. Amina aime jouer, aime enseigner, elle a toute la technique qu'il faut. Mais une performance live ? Plus jamais ça.

Amina apprendra à surmonter sa peur de la scène tout en jonglant entre :

sa vie d'étudiante rangée en compagnie de ses camarades de classe qui ne pensent qu'à se marier.

Les répétitions (en secret de sa famille et ses amies) avec le groupe, ayant peur du jugement hautain et scandalisé de ses pairs musulman(e)s pour qui cette musique est haram.

Ce qui m'a frappé, dans cette œuvre, ce sont les couleurs.

L'environnement des Lady Parts est coloré, vif, extatique. Parce qu'aux yeux des protagonistes, ce n'est pas parce que tu es victime de préjugés et que ta vie est grise par moments que tu dois t'empêcher d'y ajouter des couleurs.

Chaque membre du groupe est une explosion de vie et de sentiments et d'histoire.

WALP, c'est les couleurs de nos vies : notre communauté, nos émotions, nos sentiments.

WALP, c'est tes couleurs à TOI ; ce que tu veux transmettre par tes actes, ce que tu veux montrer et dire, c'est les couleurs qui vont changer selon les conséquences de tes actes ; couleurs que tu dois assumer et embrasser tant que tu le peux.

Les scènes de répétitions débordent de fougue et de vitalité : c'est LE moment ou chacune montre qui elle est, par ses couleurs :

-Saira hurle ses paroles : elle est la couleur de la rage, la passion et les mots crus. Elle porte souvent une chemise en flanelle rouge, side-cut et bottes.

-Bisma a confiance en elle, elle joue, séduit par sa spontanéité ; Elle fait les chœurs de la plupart des morceaux. Habillée avec une dominante de orange, elle n'est ni dans le rouge du conflit passionnel ni dans le jaune de la fausseté : elle incarne l'acceptation de soi et l'équilibre entre la fureur et la sagesse.

-Ayesha se bat, dans la vie. Avec un boulot chez Uber qu'elle déteste (sauf quand elle décide en plein milieu d'une course d'aller chercher ses Ladys pour une répèt'). Avec souvent une dominante de noir, elle fait partie des plus incertaines du groupe, aussi en ce qui concerne ses relations amoureuses.

-Momtaz, manageuse du groupe, incarne la fidélité amicale et la confiance. Très souvent habillée en noir avec une burqa, elle reste une surprise d'apparence. Son esprit n'est pas sombre du tout, ni fermé (elle travaille dans une boutique de lingerie). Elle est littéralement la « femme de l'ombre », en retrait pendant les concerts. Même pendant une scène où elle est habillée « casual » la caméra ne la montre jamais vraiment : on l'aperçoit de dos, sur sa chaise, cheveux attachés. On voit des parties de son visage (yeux, bouche, piercing au septum) mais jamais ce dernier en entier, même pendant une conversation avec sa grand-mère.

-Amina se cherche. Dans sa religion, sa famille, son amitié, ses ambitions. Elle porte de multiples couleurs sans éclats, au début de la série : elle a du potentiel, mais elle ne sait pas d'où le tirer vraiment. C'est Lady Parts qui lui donnera ses vraies couleurs : une sorte de patchwork de tout ce qui fait la force du groupe. Elle en devient presque l'égérie improbable, à chacun de ses solos qui sont à l'image du groupe : on ne le voit que trop peu dans le paysage, mais quitte à passer une seule fois, autant marquer les esprits pour de bon.

En ce qui concerne la réalisation et le montage, la série sait prendre son temps tout en ayant un rythme assez rapide, alternant entre la vie étudiante/pro un peu morne, et la rage et le plaisir défouloir des répétitions dans la boucherie.

On remarque autant des effets visuels dignes de cartoon (par exemple quand Amina croise Ahsan dans la rue et se fait toucher par des flèches d'amour cupidonesques qui la terrassent) que des effets plus simples mais puissants de caméras ; la plupart du temps des ralentis esthétisés sur leurs corps déchaînés qui jouent ou dansent pour lâcher prise.

La série célèbre certes la musique et la voix, mais elle rend aussi un hommage électrique au corps féminin, gracieux et vrai, séduisant et fort, attirant et impressionnant sans pour autant le sexualiser.

Nida Manzoor (la productrice, scénariste,réalisatrice) explique que "La musique du groupe est un élément indissociable de la série. À travers elle, nous constatons que les protagonistes sont dans leur élément et chantent leur vérité, on les observe dans leur joie immense et leur folie. Tous les morceaux sont à écouter le son à fond dans sa chambre, en secouant la tête de toutes ses forces ."

Parce que oui, la musique de Lady Parts prend la tête, dans le sens euphorique du terme. Chaque membre récite ardemment les paroles des chansons comme une prière vindicative, un psaume exalté, une incantation provocante.

La bande originale de la série composée par le groupe (qui jouait pour de vrai la majeure partie du temps) nous livre des titres énervés :

Ain’t No One Gonna Honour Kill My Sister But Me

Bashir With the Good Beard.

Voldemort Under My Headscarf

Fish and Chips

9 T o5

We Are the Champions

(une reprise qui, replacée dans le contexte de la série et ses enjeux, devient un hymne poignant pour les jeunes femmes, qui elles aussi finalement, sont des Queen)


Tous ces titres renferment des paroles de jeunes femmes en colère, mais pas haineuses pour autant. Si nous entendons des cris, il faut plutôt écouter les revendications. Il faut voir et appréhender ces chants comme des poèmes durs, mais vrais et sincères.

Si toute cette énergie et cette passion viennent de Londres, ça n'est bien sûr pas anodin, tant la ville est source de fantaisie et de rêverie légendaire pour l'Histoire du Rock et du Punk.

Londres et ses environs, c'est le rêve pour elles, c'est le summum de la scène. Londres et le rock, c'est l'histoire que tout le monde connaît mais à laquelle on ne pense plus, parfois. *WALP *est là pour nous replonger dans ce fantasme du groupe de punk qui performe « à la dure, au milieu du peuple et de la bière »

Si la série dépeint une nouvelle naissance pour des personnages, elle fut aussi un exutoire pour sa créatrice principale.

En effet, Nida Manzoor (qui a aussi co-écrit les musiques avec sa famille) a beaucoup mis de sa personne dans la série, en lui insufflant des éléments presque autobiographique parfois.

Elle se confie sur INews: « Au fond de moi j'ai toujours su pourquoi je voulais écrire We Are Lady Parts. J'étais frustrée par les histoires clichées dans les médias au sujet de femmes musulmanes qui seraient forcément des victimes, sans dignité et incapables de réagir, Je voulais écrire quelque chose qui me parlerait à moi, à mes amis ainsi qu'à mon entourage. [...]
> *Je rêvais que la série puisse être une lettre d'amour énervée à la féminité et à la tolérance. Je voulais que la série décrive, à sa manière, Le large panel de possibilités qu'il existe d'être une femme musulmane. Il n'y a pas qu'un seul modèle. Bien au contraire, il y a un véritable océan de femmes drôles, sombres, brillantes, et adorables dans notre société, et à travers mes personnages vous avez la possibilité de faire connaissance avec quelques unes. *
> C'est ainsi que We Are Lady Parts est né. »

(cf https://inews.co.uk/culture/television/we-are-lady-parts-nida-manzoor-channel-4-991333 )

''Lady Parts''...On en viendrait presque à penser que chacune de ces jeunes femmes représente une partie de la féminité, une partie de l'humain.

Saira est la colère, et parfois l'acceptation puis la sérénité.

Bisma est la sérénité et le zen, qui n'est jamais vraiment exempt de doutes, parfois.

Ayesha incarne le doute et la tourmente, puis la prise de conscience.

Amina serait la timidité qui laisse aussi place à l'extase.

Momtaz est l'ambition parfois suivie de désillusion.

En seulement 6 épisodes d'une vingtaine de minutes, We Are Lady Parts est à l'image d'un morceau punk : c'est court, rapide, c'est nerveux et ça vient des tripes.

We Are Lady Parts, c'est Elles, c'est Toi, c'est Moi.

C'est les choses que tu dis et que tu montres, c'est ton histoire et celle des autres.

C'est la part de toi que tu oses montrer, ce qui te fait vibrer, ce qui te fait te déchaîner.

C'est la vie que tu dois oser mener pour te sentir exister, vu et entendu.

Lazy-Upset
6
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le 25 août 2022

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