Les meilleures BD de 2014 selon Marius Jouanny

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La trilogie "Toxic" de Charles Burns est une déclinaison passionnante de l'univers organique torturé qui faisait le charme de "Blake Hole". Seulement ici, il le restreint à un seul personnage qui est décliné en trois avatars à l'existence propre. Ces trois temporalités constituent un cas d'écoles de la boucle narrative réussie : les motifs visuels et narratifs se répondent de manière assez subtile pour construire un univers onirique évocateur et déroutant. On pénètre dans une bande dessinée de Charles Burns comme on plonge dans une étendue d'eau, l'immersion nous prend tout entier et nous laisse fasciné. Au point d'être frustré de lire ces trois albums si vite : on aimerait que ça dure aussi longtemps que Black Hole, tant les idées narratives seraient propices à être déclinées. Mais c'est peut-être aussi la force de cette trilogie, dont la narration est dense, ménage les surprises et sait s'arrêter quand il le faut.

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J'adore Derf Backderf. Son style de dessin rebute au premier abord, inévitablement. Mais en creusant j'ai découvert avec "Mon ami Dahmer" une formidable comédie grinçante teintée de psychologie sur un serial killer que l'auteur a connu au collège et au lycée. Avec "Punk Rock et mobile homes", son premier album, il utilise la fiction mais sans perdre du caractère profondément personnel de sa démarche : toujours avec le même humour et le même univers cradingue qui érode les clichés du lycée à l'américaine, il propose ne véritable éloge de son adolescence par le prisme de la passion musicale, celle du Punk Rock. L'auteur propose même une playlist en intro trouvable sur youtube à écouter en lisant la BD, et je dois dire que c'est foutrement jouissif ! Découvrir un style de musique que je connais trop peu, tout en m'attachant aux personnages hauts en couleurs de la BD, et à un hommage touchant à l'époque et le lieu (Détroit dans les années 80, alors que tout tombait déjà en décrépitude). C'est généreux, intelligent, bref la fine fleur de la BD américaine.

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Nina Bunjevac raconte en apparence de manière assez classique l'histoire de ses parents, à la croisée des chemins entre la Yougoslavie et le Canada, entre Tito et les terroristes nationalistes serbes, dans une narration qui est comparable avec le "Maus" de Spiegelman. Si on observe plus en profondeur, elle propose quelque chose de moins conventionnel : en bouleversant la chronologie des événements et en leur donnant plusieurs points de vue, elle parvient à exprimer avec pertinence et émotion toute l'ambivalence que peut susciter le récit d'une histoire familiale. Dans la première partie, l'absence d'explications sur les événements permet de se mettre à la hauteur de l'auteure tel qu'elle a vécue son enfance. Prendre ensuite le récit à rebours dans une deuxième partie permet ensuite de mettre les choses à plat, éclairer les zones d'ombre pour mieux révéler les zones de gris de la figure du père, finalement très touchante. Quand au dessin, il procède de la même manière : ce noir et blanc photoréaliste révèle au fil des pages une grande justesse des expressions.

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La logique du récit s'emballe, donnant plus de sel à une dramaturgie qui en manquait un peu. Ce sont les moindres recoins de la vie privée du personnage principal, côté en bourse, qui sont scrutés par ses actionnaires. Si les personnages étaient plus consistants et empathiques, ainsi que les dessins plus expressifs (le style du tome 3 s'améliore d'ailleurs un peu), je n'aurais eu aucune concession à faire à l'appréciation de ce triptyque.

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Voilà un biopic, celui du premier cas recensé de fugueur pathologique, bien classique au premier abord. Mais finalement, le scénariste Dabitch parvient à déjouer les poncifs du genre par un souci du détail qui rend la relation entre le patient et son psychiatre réellement empathique. En effet, plutôt que de tomber dans la vulgarisation scientifique ou de créer un suspens artificiel, il travaille les paradoxes traversés par les personnages en leur créant une intimité commune, réelle ou imaginaire, celle entre un voyageur obsessionnel, qui peut partir à l'autre bout du monde du jour au lendemain contre sa propre volonté, et un étudiant et travailleur forcené extirpé de sa misère qui aurait rêvé d'une vie plus légère, une vie de voyage que son patient endure malgré lui. Le résultat décloisonne certes moins le genre biopic que "Mécaniques du fouet" du même scénariste sortie cette année, mais il contient en embryon cette ambition de prendre les chemins de traverse, avec une distance réflexive très appréciable.

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Hussenot remplace les dialogues de bande dessinée par des couleurs, qui expriment des émotions, des impressions, par des mini-récits de quelques pages chacune. Et parvient mine de rien à produire des réflexions profondes sur la manière dont se propagent les idées et les sentiments entre les humains. Certains récits sont moins intéressants que les autres, mais il parvient à pousser le concept dans ses derniers retranchements avec une grande inventivité.

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La narration et la mise en scène dépouillées de Le Boucher pour cette BD sur le harcèlement scolaire qui ne prend lieu que dans les vestiaires du cours de sport aborde son sujet avec le bon angle, scrutant les pratiques avec précision sans tomber dans la surenchère. C'est vrai que ses dessins ne sont pas fabuleux mais comme avec sa BD suivante (et bouleversante) "Ces jours qui disparaissent" c'est parfaitement pardonnable. La fin poussive est un peu plus gênante, mais la proposition reste originale et plutôt marquante.

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Véritable ode aux récits de Jules Verne, ce démarrage d'une série qui s'annonce ambitieuse et depuis couronnée par une exposition exceptionnelle au dernier festival d'Angoulême pose des enjeux forts et des personnages que je retrouverai avec plaisir pour une longue saga. Il faut dire aussi que la forme est chiadée : Alex Alice, avec une mise en couleur directe somptueuse et lumineuse, soigne un univers d'époque encré dans le réalisme mais avec quelques relents de steampunk très inventifs. C'est drôle, bien mis en scène, et n'oublie pas de souligner les limites de toutes avancées technologiques, bref une série jeunesse comme on en fait trop peu, malgré quelques raccourcis narratifs et une volonté de rester léger dans ses registres, au point d'évoquer aussi les Miyazaki les plus accessibles, comme "Le Château de Cagliostro".