Les meilleurs films de 2023 selon Eustacius Bingley

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Sublime. Un enchantement de tous les instants, qui convoque aussi bien Shakespeare que des décennies d'histoire et d'animation japonaise. Peut-être le meilleur film de Miyazaki - son plus abstrait, son plus étrange, son plus dense, et son plus visuellement impressionnant. Un poème vivant.

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Quel premier film - une des plus belles histoires d'amour cinématographiques, peut-être jamais filmées? C'est du Leo McCarey époque "Belle et Lui" revu à l'œil de la diaspora américano-asiatique - tout en émotion rentrée, en refus des clichés, une histoire sur les possibilités sourdes et magnifiques (mais jamais concrétisées) de chaque romance. Comme un reflet inverse, mais encore plus touchant, d'"Asako 1&2" d'Hamaguchi.

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Le meilleur film d'horreur de l'année n'en est même pas techniquement un, mais on a rarement fait aussi malaisant de mémoire récente que cette plongée moite dans la touffeur d'un village turc, ou un procureur est en prise avec des notables criminels, ses propres désirs, et le poids écrasant de la médiocrité humaine. Un exercice en tension et en cruauté comme on en voit très peu, qui serre la vis pendant plus de deux heures jusqu'à un plan final étourdissant, où les personnages deviennent en un contrechamp comme des spectres.

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On peut difficilement me considérer comme un inconditionnel de Spielberg, mais c'est, de loin, son meilleur film. Toutes les obsessions familiales de son cinéma sont là, bien alignées, mais au lieu de servir de combustible à une machinerie hollywoodienne qui résout tous les problèmes et délie tous les enjeux, il les présente ici dans toute leur complexité humaine, dans tous les petits renoncements et choix qui font une oeuvre ou une vie.

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Plus que la construction de l'histoire, deux des meilleurs films de cette année, "Aftersun" et "The Fablemans", s'intéressent à la construction d'une vie, d'un récit de soi, d'une identité - d'un côté un vieux maître, de l'autre une jeune réalisatrice.

Quel premier film, quand même - qui arrive à faire surgir dans l'ordinaire le plus banal une ombre, un poids, une angoisse, tout un futur déjà toujours présent et au bord de l'éclosion.

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A l'opposé de tous les édifices intellectuels des autres films de l'année, Wenders propose une espèce de solution - un émerveillement du quotidien. Sans naïveté, sans romantisation, mais avec une volonté pratique de trouver son bonheur dans la simplicité et la mort de l'ego. On est pas si loin du "you can't wake up if you don't fall asleep" de Wes Anderson, mais présenté avec beaucoup plus de simplicité et de brio.

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Un double récit - celui d'une carrière artistique d'un côté, et d'un engagement politique de l'autre, et la façon dont ils se nourrissent l'un l'autre, communicant dans la douleur. Magistral.

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Etant l'opposé d'un inconditionnel de Nolan, je suis presque agacé de reconnaître qu'il a signé son chef-d'œuvre. Un biopic peut-être, mais surtout un film-somme sur la fabrique de l'histoire: la façon dont on met en scène la guerre, les armes, la science - et surtout, dont le personnage d'Oppenheimer met en scène sa propre culpabilité, son propre repentir. Comités, réunions, examens et contre-examens ne font que tisser des couches et des couches de rationalisations et de mensonges autour d'une atrocité, qui éclate dans le film avec un pouvoir scintillant. Un grand film - et, pour mettre mon grain de sel, beaucoup plus vénéneux et convaincant que l'autre gros film de l'année sur la culpabilité américaine, "Killers of the Flower Moon".

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(+ tous les courts-métrages qu'Anderson a tourné cette année, en bundle)

La critique française continue toujours de s'acharner contre Anderson, alors que son cinéma ne cesse de devenir plus riche, plus intéressant, plus abstrait aussi. D'un récit en poupée gigognes, Anderson s'interroge sur le désir de raconter des histoires, de la façon dont les deuils et les joies résonnent au travers de ces histoires - et à travers le temps. Il s'intéresse à l'histoire fictionnelle que les Etats-Unis ont créé pour eux-mêmes, aux contes gravés dans les pages des comics et des séries B. Et il invite à chacun à s'ouvrir à cette Histoire des histoires, à cette infinité d'humanités, en abandonnant pour un moment sa raison d'adulte - "on ne peut pas se réveiller sans s'endormir".

... Le tout en divertissant son public sans trop de difficulté. Quel réalisateur, quel homme.

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Un autre film sur le cinéma - sur sa nature vampirique, parasitique, qui se nourrit des histoires vraies et des réalités humaines pour finalement remplir une espèce de rôle bassement érotique et prédateur. Mettre ces questions en parallèle d'un récit sur une mère de famille pédophile ne donne pas exactement un film agréable à regarder, mais ça crée quelque chose d'incroyablement singulier et dérangeant.

Annotation :

Abattez la personne qui a choisi ce titre pour la sortie française, s'il vous plaît.

Reste en tout cas un film fabuleux - une fausse comédie gigogne qui cache quelque chose de beaucoup plus sombre: une exploration de l'art comme révélateur de toutes les veuleries, de tous les doutes et désirs. Tant à un niveau humain qu'historique, dans la peinture et la critique d'un système histoire de production cinématographique. Un remarquable exercice d'équilibriste, qui contient certaines des scènes les plus mémorables de l'année, comme ce travelling sur la réalisation d'un travelling, ou cette dernière image qui marque l'irruption d'un surnaturel de mauvais augure. Le film le plus sous-estimé de l'année.

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Il y a un thème dans les meilleurs films de l'année (ce qui est évident si vous lisez la liste du bas vers le haut, comme de juste): l'idée de manipulation de l'histoire, d'évènements joués, rejoués, déjoués. Ici, la mise en scène est délibérée, dans le cadre d'un documentaire, et sert à exorciser le poids d'une violence qui a hanté une famille - tout le monde a souffert, aux mains d'hommes cruels, d'une mère toute-puissante, d'une société, d'une époque. Peut-être que rejouer ces scènes ne soigne aucune blessure, mais la compréhension de quelque chose qui s'est joué, dans toutes ses complexités humaines, vaut quand même quelque chose.

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Silencieux et déterminé, un vrai coup de poing - qui ne dissimule pas les contradictions et les petitesses contenus dans l'activisme comme dans toutes les activités humaines, mais montre à quel point elles peuvent être salvatrices, et qu'il est possible malgré elles de refuser de rester impassible face au dérèglement du monde.

Annotation :

Cf. la critique.

Un brûlot acerbe sur l'incapacité de parler, sur les amants qui ne se trouvent pas, les marginaux qui ne construisent jamais une solidarité durable, sur les artistes qui ne trouveront jamais les mots justes. Déprimant à souhait, mais magnifique.

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(de 2022, mais sorti à cheval sur l'année 23 en France)

Magnifique récit de deux hommes qui cherchent à échapper à la médiocrité et se détruisent dans leur course. Un conte moral aussi noir qu'exquis.

Annotation :

Le portrait d'homme au cœur de la guerre froide, qui devient obsédé par le mensonge, par l'amour de l'artifice, jusqu'à la contradiction et au non-sens.

... J'ai peut-être des affinités pour un certain type de film.

Annotation :

Passé complètement inaperçu aux US, le public français a heureusement su un peu plus donner justice à ce fabuleux thriller. Szifron aligne quelques séquences de tension anthologiques (la scène d'ouverture!), mais parvient surtout à tricoter quelque chose de véritablement subversif: un film à la "Silence des Agneaux" où ce sont finalement les monstres et les maladaptés sociaux qui sont les plus raisonnables, face à une société pourrie jusqu'à l'os. Colérique et nécessaire.

Annotation :

Le portrait d'un homme au cœur de la politique, qui veut créer sa propre réalité, et refuser toute définition facile de sa propre histoire, jusqu'à la contradiction et au non-sens.

Complexe, bien joué, et admirablement mis en scène, s'immisçant dans les angles morts, centrant les visages flous et anonymes d'une foule, d'une époque, d'une vibration socio-historique bien particulière. A l'opposé complet du récent (et non moins excellent) Saint Omer: deux films de procès qui sculptent tout un portrait des tensions françaises.

Annotation :

A l'heure où le blockbuster américain commence décidemment à changer de phase, à muer et à rejeter le monopole Disney-Marvel, il est toujours réjouissant de voir que l'on peut, à partir des cadres très restrictifs du cinéma grand public des années 2010s, tirer quelque chose qui a une vraie valeur en terme de mise en scène et d'écriture. Un film profondément ludique, enjoué, constamment créatif et surprenant dans sa réalisation (et même parfois, quoique moins souvent, dans son scénario) - et un des meilleurs blockbusters de mémoire récente.

Annotation :

Un portrait de femme qui veut créer sa propre histoire, sa propre voie, et refuser toute définition facile, jusqu'à la contradiction et au non-sens.

Un film difficile, exigeant, et passionnant. Cf. la critique.