Début février, 12 pays ont signé l'Accord de partenariat transpacifique (sur ses implications géopolitiques, notamment pour le Japon, voir ici). Si tout n'est pas encore joué (le texte doit être ratifié sous deux ans par les parlements nationaux) il fait peu de doute qu'un tel événement mécontenterait Satô et ses collègues, étant donné la manière dont est analysé le traité de libre-échange, tant dans le tome 1 que dans ce tome 2 de Colère Nucléaire.


Même si la marque de la série c'est qu'il n'y a pas de fil directeur à proprement parler - le héros et ses amis suivent l'actualité "au jour le jour" (heure par heure parfois) - le volume fait ressortir plusieurs interrogations, différentes de celles qui apparaissaient dans le tome précédent.


Comment ne pas se noyer parmi les informations ? C'est un flot en continu qui arrive : alors que les interrogations sur le nucléaire ou sur le libre-échange ne sont pas refermées, paf, un nouveau terrain s'ouvre avec telle information, et puis c'est une autre qui conduit à se poser des questions... En somme un nouveau sujet de préoccupation apparaît régulièrement, reléguant les autres un peu en arrière. Comment affronter tout cela ? Comment se repérer parmi les informations vraies, fausses ? Cette dernière question fait d'ailleurs l'objet d'un échange (p. 154-156), Satô renvoyant vers le journal Gendai pour s'informer : "c'est toujours mieux que les grands journaux".


Que faire pour que sa voix porte ? C'est l'histoire du pot de fer contre le pot de terre. Face aux grands intérêts, au "grand capital" que peuvent faire les manifestants ? La mobilisation existe mais en trop petit nombre. On voit toutes les embûches, les promesses trop belles pour être vraies, les revirements, les limites des réseaux sociaux... qui condamnent les manifestants à être déçus éternellement (?). Faut-il alors aller plus loin ? En filigrane une interrogation fondamentale apparaît : que peut faire la minorité lorsque sa voix ne porte pas assez pour qu'elle devienne majoritaire et soit entendue ?


Pourquoi le désintérêt semble l'emporter ? Face à des projets engageant l'avenir du Japon la majeure partie de la population semble avoir la tête ailleurs. On le voit d'ailleurs quand une (jeune ?) femme fait remarquer à Satô : "Tu es un militant ? Tu parles que de choses sérieuses." Pourquoi en effet se casser la tête sur des sujets dont on a l'impression qu'ils nous dépassent ? Gouverner c'est décider alors le gouvernement peut et doit parfois passer outre l'avis de certains membres de sa population. Se désintéresser de l'arène publique pour se replier sur sa sphère privée semble la solution la plus "économique" pour avoir une vie tranquille... mais pas la meilleure.


Finalement, est-ce que tout cela en vaut la peine ? La réponse est oui. La scène qui montre le mieux cela, à mes yeux, se trouve pages 115-119 avec le jeune qui vient de terminer le lycée et la membre du groupe des femmes de Fukushima, les deux prenant la parole pour s'adresser au premier ministre Noda. Le premier évoque son changement d'avis sur le nucléaire, une réalité bien différente de ce qu'il a appris à l'école (il faudrait alors changer la façon de penser de la jeune génération) quand la seconde pointe les aberrations du discours du premier ministre : remettre en route les centrales n'est pas la promesse d'une vie meilleure.


Ce tourbillon de questions a fait surgir un parallèle imprévu : ce qui est dit dans ce tome résonne avec ce qui se passe en France. Des tracas du secteur nucléaire (Areva...), aux divers scandales, "couacs" du côté des "puissants", en passant par la faible écoute dont bénéficient celles et ceux qui aspirent à une autre politique... les développements des derniers mois permettent de dresser quelques ponts même si on ne peut pas décalquer simplement une situation sur l'autre.


En somme, en refermant ce tome, on peut dire que la situation ne s'est guère améliorée au Japon, comme l'illustre, du reste, la "dégradation" de la couverture du tome. L'entretien en fin de tome contribue aussi à un sentiment fort que développe la série : l'inquiétude par rapport à ce qui se passe, aux rapports de force en présence. "J'entends ceux qui manifestent mais j'entends aussi ce qui manifestent pas" a dit un ancien premier ministre français : ce constant semble s'appliquer aux manifestants de Colère nucléaire, pas assez nombreux, puissants pour être écoutés. On ne peut alors que comprendre pourquoi, face à ce mépris, Takashi Imashiro a voulu réaliser cette série et Akata la publier. Un appel à la réflexion qu'on ne peut que saluer.

Anvil
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le 22 févr. 2016

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