That Bloody Idiocratic Redneck Selfishness

Exploration de l'Amérique profonde dans ce nouvel opus de *DoggyBags*, où légendes urbaines, dérèglements psychologiques et obsessions des armes viennent dessiner


le filigrane malade d'un pays gorgé de violence et obsédé par un individualisme malsain.



Après quatre numéros, la série est bel et bien lancée et Run y prend un plaisir rare à réunir jeunes auteurs et complices confirmés pour une plongée gore et dérangée au cœur de courts contes contemporains crus, crades, cryptiques.
Petits bonheurs d'horreurs premier degré.


L'ouverture est sanglante avec *Trapped*, dessin gras et dynamique de **Tomeus** nourri au cinéma d'action, cadres décalés assumés et montage tout en tension : devant la Miami Bank, une horde de flics encercle deux braqueurs acculés qui finissent par s'échapper via les égouts. Quand l'un des agents fait mine de descendre à leur poursuite, la sale gueule balafrée du shérif le lui interdit et fait sceller la bouche. 


Tous les flics de l'état vont tellement nous coller au cul qu'on va
finir par sentir le donut !



Sous la surface, claustrophobie, errance, la tension grimpe entre les deux malfrats tandis que d'étranges sons leur parviennent en échos de plus en plus proches. Le scénario d'**El Puerto** est très bien mené, alterne idéalement entre l'action et la distillation mesurée des informations nécessaires à alimenter la légende urbaine. Le style graphique, tout en ombres denses, montage implacable, sert merveilleusement 


l'ambiance nauséabonde et pesante du récit,



jusqu'au déchaînement impressionnant de l'énorme alligator albinos.


Où l'appât du gain ne nourrit que les pires monstres qui sommeillent sous l'individualisme.
Le second récit, *D.O.A. Rampage*, est l'adaptation hallucinée d'une histoire vraie : au printemps 1995, Shawn Nelson, ancien conducteur de char lors de la Guerre du Vietnam, en dérobe un à la base militaire proche de chez lui et part défiler dans les rues de San Diego avant d'être arrêté par un important déploiement de forces armées. **Aurélien Ducoudray** développe là un court


scénario intense autour des addictions et des troubles psychologiques de l'homme,



exacerbe les dangers hallucinogènes de la méthadone et de la méthamphétamine, et nous offre la descente aux enfers d'un vétéran nourri d'une foi perverse et rongé de délires paranoïaques. Pas toujours subtil mais diablement efficace.



Ça existe les dragons m'man ?



**Neyef** excelle au dessin avec une belle collection de gueules bien redneck enfermée dans une topographie passe-partout de banlieue américaine, et joue parfaitement le contraste avec de très beaux vitraux colorés du Christ et de Saint-George, superbes et lumineux, 

et bientôt l'apparition irréelle d'un splendide dragon au ciel.


Impressionnant.
Régal de paranoïa hallucinatoire.


Le dernier récit, malgré les promesses annoncées dans une excellente introduction faite de la présentation scientifique d'une maladie ovine et d'un bulletin de pandémie mondiale, est une petite déception à mes yeux. *Death of a Nation* est un projet original de **Kartinka** que **Run** trouve inabouti. Appelant en renfort **Aurélien Ducoudray**, tous deux remanient le scénario, et connaissant le travail des deux, l'on s'attend alors à finesse, surprises et profondeur. Quelle déception dès lors de voir que le point de basculement du récit passe en une seule image, survolé, non approfondi, laissant un vide dans le rythme narratif. Il m'a fallu revenir vérifier que je n'avais pas sauté une page...


 Patriot Park vous met dans la peau d'un vrai américain, qui règle
ses problèmes conformément au second amendement de la constitution ! 



Une histoire de zombies, excellente idée originale, en parc d'attraction dédié au tir et à la défonce par balle. Une histoire d'envie aussi, de jalousie et de désir qui animent alors les pires décisions possibles en environnement hostile. Sur une île presque déserte, les survivants sont exposés à l'anarchique déferlement des morts-vivants tout ça parce qu'un pauvre employé minable cherche à impressionner une collègue. Si le postulat est intéressant, jouant encore de


l'individualisme idiocratique d'une société décérébrée,



le rythme manque malheureusement le propos en une seule ellipse mal gérée. Pour autant, le plaisir visuel est là : le dessin de Kartinka est vif, puissant. Ses personnages suent le réel, ses zombies purulents se déhanchent avec style et la reproduction de divers décors de l'histoire américaine compilés là est impressionnante.


Malgré ce léger et final point de déception, le volume cinq de *DoggyBags* reste encore un très bon numéro : régals de récits dégueulasses et dérangés, monstres tapis et dégénérescences illuminées, le thème de l'idiocratie absolument développé dans le laisser-aller de personnages butés et limités, monomaniaques, donne son unité à l'opus. **Run**, avec brio, continue de réunir la crème contemporaine des auteurs français autour de ce projet aux allures de comics seventies tout en s'amusant à nous instruire de petites histoires, de petites informations disséminées. Trois récit au cours desquels la bêtise prend le pas sur le quotidien pour y insuffler perdition, meurtres et perversions, 


le portrait sans retenue d'une Amérique malade de l'égoïsme forcené du rêve américain servi à des hordes de rednecks imbéciles



est aussi acerbe que réaliste : jouissif presque, autant que désolant de perspicacité.
Où chasser le dragon, dans l'esprit pauvre de débiles profonds, prend une sanglante dimension pour le plaisir de nos curiosités gores et macabres.

Créée

le 27 févr. 2018

Critique lue 245 fois

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