Il vous suffit de jeter un œil à mes statistiques pour comprendre que la bande dessinée n'est décidément pas mon fort. Mais, mais, j'ai quand même trouvé un ouvrage qui a suscité mon enthousiasme. C'est normal, Le plus mauvais groupe du monde est un chef-d'œuvre.

Explication :

Dès les premières pages, le lecteur découvre la vie de quelques habitants d'une cité dont il ignore tout, ou presque : nul nom n'est mentionné, la situation géographique exacte reste floue et c'est une ville sans âge, volontairement "jaunie" par l'auteur, comme une vieille coupure de presse. Nous savons seulement que la cave dans laquelle répète le plus mauvais groupe du monde est fermée depuis 1958 (ça commence bien). D'ailleurs, l'architecture, les voitures, les vêtements des personnages et les slogans publicitaires, font penser à une ville américaine des années 50.

C'est au sein de ce cadre résolument noir et urbain que l'on découvre le plus mauvais groupe du monde, "résultat d'un mélange inouï d'ineptie et d'absence totale de sens musical" : Sebastian Zorn, Ignacio Kagel, Idálio Alzheimer et Anatole Kopek, tous membres d'un Jazz Band.

Portraits, saynètes, anecdotes, tranches de vie : José Carlos Fernandes excelle à dépeindre un monde qui ressemble fort au nôtre et des êtres qui sont nos semblables. Et il le fait avec un art de la narration parfaitement maîtrisé, tant sur le plan visuel que sur le plan de l'écriture. "J'ai essayé de concentrer au maximum le récit, explique-t-il : toutes les idées sont comprimées pour tenir sur deux pages. Je joue sur trois niveaux de discours – les images, le discours direct des personnages (bulles) et la narration en "off" – qui parfois se complètent et parfois se contredisent, créant ainsi un effet ironique".

A l'instar de Short Cuts, de Robert Altman, d'après les nouvelles de Raymond Carver, les histoires sont indépendantes. Mais les destins des uns et des autres se frôlent, s'entrechoquent parfois, sans jamais vraiment se croiser.

Car les personnages de José Carlos Fernandes sont foncièrement seuls et incapables de communiquer, si ce n'est par le truchement de courriers, de la rumeur, de la propagande et même du rêve. Ainsi, dans Le kiosque de l'utopie, une sorte de boîte aux lettres est censée recueillir les rêves et les aspirations des citoyens. Mais personne ne vient jamais relever les réponses. Dans La confirmation des attentes, Cornelius Gauss révèlent à ceux qui le consultent, ce qui ressemble plus à de la délation, que de véritables visions. Kaspar Grosz, est à la fois le leader...et l'unique membre du Parti Impopulaire Idiosyncrasique. Les chambres de l'hôtel Luxor sont imprégnées des rêves de leurs précédents occupants, parasitant ainsi ceux des suivants...Même les musiciens du plus mauvais groupe du monde n'arrivent pas à s'entendre : ils répètent ensemble, mais, en jouant chacun...une partition différente...

Loin d'être monotone, cette succession de courts récits est particulièrement rythmée, et parfois ponctuée de petites touches d'humour réjouissant : "ce qui conduit les adolescents à se droguer ou à s'ouvrir les veines, ce ne sont pas les disques de heavy metal passés à l'envers, c'est Michael Bolton passé à l'endroit". J'ai eu un fou rire orgasmique en lisant cet aphorisme, que j'ai noté dans mon panthéon des phrases à ne jamais oublier.

Enfin, et malgré son titre, Le plus mauvais groupe du monde est surtout un bel hommage à ce genre musical qu'est le Jazz. En effet, au début de chaque volume, l'auteur ne manque jamais de donner le détail de la "bande sonore du livre" : il indique avec une précision scrupuleuse tous les morceaux qui l'ont accompagné au cours de son travail.

Une mention spéciale à Dominique Nédellec pour la traduction, il a du en chier des ronds de chapeaux : Le plus mauvais groupe du monde est truffé de néologismes.

Et comme j'ai envie de me la péter un peu ce soir, j'ajouterai que j'ai eu l'occasion de discuter une fois avec l'auteur. J'en suis très fière, d'autant plus que c'est un chic type.
palouka
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le 22 août 2011

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