Une victoire de canard ?

Cette BD, je peux affirmer que je l'ai découverte intégralement grâce à SensCritique. À voir la position dans le Top 111, les notes hyper élevées (chez mes éclaireurs et en général), les critiques enflammées sur l'autre fiche (La Jeunesse de Picsou), et l'enthousiasme quant à cette réédition, je me suis dit que ça serait l'occasion d'y jeter un œil. La seule BD estampillée Disney sur laquelle j'avais déjà posé les yeux, c'était Mickey contre le Fantôme Noir, que j'avais adorée étant petit (et dont une relecture récente m'a un peu déçu, mais passons). Autant dire que c'était vraiment un terrain inconnu pour moi, surtout que même au niveau dessins animés, j'y connais (presque) rien du tout à Picsou, Donald et compagnie.

Don Rosa invente une biographie de Picsou, en s'amusant à y caler tous les détails mentionnés par Carl Barks dans ses histoires sur le canard le plus riche du monde. Et c'est un peu ça le problème en fait. Par sa démarche, certes louable mais inévitablement bancale, de vouloir inclure un maximum d'infos déjà existantes, Don Rosa s'est complètement enfermé dans un étroit carcan narratif, qui lui impose énormément de contraintes et est une source d'incohérences. De son propre aveu dans les commentaires de chaque chapitre (au demeurant très instructifs et bienvenus), Don Rosa s'est finalement retrouvé obligé d'ignorer certaines infos (d'obscures histoires de dates...). À ce compte là, n'aurait-il pas mieux valu sacrifier l'inclusion de tel ou tel détail, ce qui aurait peut-être parmi de gagner en cohérence et en puissance scénaristique ?
Par ailleurs, les chapitres sont très inégaux, certains frôlant le génie (chapitre 7, chapitre 8...) quand d'autres sont très décousus et difficiles à suivre (chapitre 11...). Là encore, c'est en grande partie dû à l'acharnement de Don Rosa à inclure un maximum d'infos barksiennes, comme il les appelles dans ses notes.
Au final, c'est comme la présence de ces fameux D.U.C.K. : la glorification du travail de Don Rosa en ce qui concerne les micro-détails et références qui ne seront captés que par les fans absolus lors de leur quinzième lecture est presque déplacée selon moi, comme si on accordait plus d'importance à la forme qu'au fond.

Bon alors tu en es là de la lecture de ma critique et tu te dis : "Mais pourquoi il a mis 7 et pas 3 du coup ?" (peut-être te dis-tu aussi "Il est fou ! J'arrête la lecture et le vire de mes éclaireurs !", mais c'est une autre histoire). C'est une question légitime.
Globalement, j'ai quand même beaucoup aimé cette BD. Don Rosa a pris le temps de construire une biographie hyper riche et travaillée d'un personnage faisant quasiment partie de l'inconscient collectif. Le travail et la recherche historiques réalisés pour chaque album sont juste hallucinants. Et ici, contrairement à l'inclusion des infos barksiennes, tout les détails historiques intégrés sont au service de l'histoire, et pas l'inverse. Les différentes références à de nombreux films sont variées, nombreuses, toujours bienvenues et jamais superflues. Je préfère toutefois la discrétion du traineau Rosebud présent dans les affaires de Picsou à la case "News on the march!" avec le K qui pour le coup n'a rien à foutre là.

L'épopée de Picsou l'emmènera à travers le monde, où il vivra les aventures les plus dingues et les plus invraisemblables. Chaque événement qui arrive, du début à la fin, sera lourd de conséquences et d'enseignements pour le jeune Picsou, dont on voit la personnalité se façonner lentement mais sûrement tout au long de l'histoire.
Au niveau de l'univers fictionnel, aussi réussi soit-il par ailleurs, il y a quand même un truc qui cloche : Don Rosa tient à une histoire extrêmement réaliste, hyper documentée et ancrée dans sa période historique, mais ça le dérange pas de faire chevaucher un lion à Picsou ? Mouais... Les changements radicaux de ton entre les différents épisodes m'ont un peu dérouté aussi. Enfin c'est pas tant les changements en eux-mêmes qui m'ont gêné, ceux-ci étant plutôt bien vus et assez logiques, mais plutôt le fait que, dû au format en épisodes, ces changements se fassent de manière radicale et sans aucune transition.

En ce qui concerne les dessins, ils sont splendides. Le trait de Don Rosa est très précis, les cadrages travaillés et originaux, et l'importante documentation est là aussi tout à fait appréciable. On se dit parfois qu'il en a même peut-être un peu trop fait, et qu'il aurait pu se contenter d'une approche plus simpliste, mais ça prouve quand même que le bonhomme a une réelle passion pour le travail bien fait, et qu'il se fait vraiment plaisir en créant cette BD... Et du coup il nous fait plaisir aussi !

Pour conclure, une grande BD certes, mais loin d'être le chef d'œuvre vendu ici selon moi... Le fait que le personnage de Picsou soit lui-même détestable ne m'a pas beaucoup aidé à adorer !
Ah si, j'allais oublier : une mention spéciale à la page 180 de la présente édition, sur laquelle je suis resté bloqué un bon moment, tant sa force scénaristique et émotionnelle est incroyablement palpable !