(pardon pour le jeu de mot pourri, il est tard, je ne pouvais résister :D )


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Dernièrement, Glénat a eu la très bonne initiative de traduire enfin chez nous des oeuvres de Moto Hagio, mangaka culte au Japon depuis les années 70, mais encore largement oubliée chez nous. Et pourtant, au même titre qu'Osamu Tezuka ou Shotaro Ishinomori (qu'on continue de redécouvrir depuis peu aussi), elle est un membre essentiel de la bande dessinée japonaise, un classique. Une autrice culte d'ailleurs, puisque c'est une femme, précisons-le.


On peut d'ailleurs se poser la question du pourquoi du comment que ses oeuvres ne nous arrivent que maintenant : Est-ce justement parce que c'est le travail d'une autrice et non un auteur ? Parce qu'étant une pointure dans le domaine du Shojo, on pense que cela ne plairait pas forcément à un public encore trop masculin en majorité en France ?


Oui parce qu'officiellement (et pour parler "genres de lectures" en préambule), le shojo est considéré comme un genre féminin et à destination des jeunes filles. Officieusement heureusement, des auteurs de tous sexe y collaborent et des oeuvres contenant une certaine portée sentimentale et introvertie peut largement passionner les garçons. Sinon je ne vous en parlerais pas bien sûr (mais on me signale que mes déviances y sont probablement pour quelque chose. Ah bon ?).


En fait, comme dans le cinéma, tout réside à la fois dans le traitement et la sensibilité de chacun.


Prenons Junji Ito.
Ce que l'on ne sait probablement pas ici, c'est que l'auteur de l'excellent Spirale prépublie ses histoires horrifiques dans des magasines féminins nippons. Sauf que son lectorat va bien au delà de ça, que ce soit au Japon ou en France. Le studio Clamp ? Que des femmes regroupées dans un même atelier pour des oeuvres qui fascinent tout le monde, petit(e)s et grand(e)s. Et même dans le domaine du shonen, supposément orienté garçons, de nombreux mangas sont très appréciés des filles. Tout comme le Seinen, à destination d'un public de jeunes adultes, essentiellement masculin qui peut considérablement passionner hommes comme femmes (Prenons par exemple le cas de Berserk...).


Celà étant posé, je me penche sur ce coffret Moto Hagio qui a pour volonté de justement témoigner une fois de plus de toute la richesse de thèmes et d'idées que peut nous donner un auteur. Car Moto Hagio, si elle utilise certains des codes du shojo plus ou moins sentimental en profite également pour bâtir des histoires complexes, émouvantes, voire tragiques avec un trait simple et épuré, des décors qui parfois restent abstrait mais une description psychologique implacable de ses personnages, nous les rendant attachants ou haïssables du premier coup.


A travers deux ouvrages, "De la rêverie" et "De l'humain", ce sont donc 9 nouvelles de longueurs très différentes qui nous attendent. Le choix de deux livres thématique peut paraître arbitraire, il n'en est rien devant la beauté, la bonté et l'intelligence de ce qui nous submerge, quel qu'en soit le genre. Ainsi, De la rêverie regroupe 4 nouvelles portant sur des thèmes de science-fiction et de fantastique, là où De l'humain nous montre des nouvelles plus intimistes et contemporaines. Dans les deux cas, cela n'atténue en rien la force de ces histoires, croyez-moi.


Les deux histoires les plus longues (à moins de vous réserver un après-midi) et les plus passionnantes sont probablement le culte Nous sommes onze ainsi que Est et Ouest, un horizon lointain.


Le premier, paru en 1975 et récompensé du prix Shôgakukan est l'histoire d'un examen final pour 10 candidats à l'académie spatiale. Il faut survivre près de 53 jours dans un vaisseau volontairement à la dérive pour valider complètement l'examen. Sauf qu'arrivés dans le vaisseau, ils ne sont pas 10 candidats mais 11. Qui est l'intrus ? Est-ce un traître là pour faire échouer tout le processus de sélection ? Ou bien l'ordinateur a t-il fait une erreur ? Toujours est-il qu'une difficile collaboration mâtinée de suspicion s'installe... Moto Hagio ici joue délibérément sur le huis-clos (en dehors du vaisseau, l'espace et les secours terriens ont ordre de ne pas intervenir) tout en traitant délicieusement sur l'introversion et le Genre (Au sens du "gender". Ainsi, le personnage suspecté en premier est l'unique "fille" du vaisseau. Enfin non, ce n'est pas tout à fait une fille car ce n'est qu'à sa majorité "qu'elle" pourra choisir définitivement son sexe par choix amoureux) en gardant un suspense que l'auteur de Dix petits nègres n'aurait pas renié. On est happé du début à la fin, impossible de lâcher l'histoire ou à contrecoeur. Est et Ouest, un horizon lointain est quand à lui, la suite de Nous sommes onze ! ...Mais une suite personnelle et tragique qui reprend des éléments et personnages esquissés dans Nous sommes onze pour les emmener sur un terrain bien plus politique. N'en doutez pas, là aussi c'est assez brillant et constamment tendu.


Plus contemporaines et intimes, voire intérieures, les histoires de De l'humain n'en sont pas moins étonnantes. A nouveau on retrouve ce trait qui incite à une certaine sensibilité et une fausse légèreté pour traiter de sujets plus graves qu'ils n'en ont l'air.


La princesse Iguane par exemple traite de la difficile différence à être soi dans le monde et à s'accepter tel qu'on est. Rika, est vue depuis son enfance comme un Iguane né à la place d'un enfant-humain ou un humain à tête d'iguane. Hagio brouille les piste dès le départ car ce que l'on croit un problème purement physique s'avère en fait mental : La mère prend sa fille pour un iguane et de fait, brimée et constamment traitée comme moins que rien, Rika finit par s'accepter comme telle. Ce n'est qu'avec le temps et l'adolescence que son point de vue sur elle-même finit par changer. L'auteure dessine pourtant Rika avec des traits d'iguane avant que quelques rares cases montrant un point de vue extérieur nous montrent comment elle est réellement perçue par d'autres êtres humains.


Dans Mon côté ange, plus courte, c'est la même problématique qui revient, mais d'une manière encore plus radicale à travers l'histoire de deux soeurs siamoises qui sont le yin et le yang, l'alpha et l'oméga : l'une est moche et semble dépérir, l'autre belle mais au Q.I proche d'un bébé. Si une opération pouvait miraculeusement les séparer avec toutefois le risque médical d'en tuer une, que se passerait-il ?


Le pensionnat de novembre quand à lui, inspiré du film Les amitiés particulières de Jean Delannoy peut se voir comme un parfait complément au Coeur de Thomas de Hagio publié également chez nous en France (par Glénat aussi). C'est en fait la même histoire mais d'un autre point de vue...


Pauvre maman est un court récit cruel et ironique avec une légère touche de policier où Hagio s'amuse au cours d'une histoire publiée... pour la fête des mères ! Sans oublier Le coquetier qui renoue avec sa veine tragique auparavant déployée sur Est et Ouest mais sur fond de second guerre mondiale dans une France occupée...


Si vous voulez être surpris par une oeuvre originale et qui sait tout autant faire réfléchir que tenir en haleine avec un tracé fin et élégant, ne cherchez plus du coup, vous ne le regretterez pas. J'ajoute que le coffret est de très belle tenue, que la mise en page des deux tomes (argenté/doré) est des plus soignées et qu'on retrouve de petites notes concernant chaque histoire.


Du très bel ouvrage à chérir en somme.

Nio_Lynes
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Créée

le 22 mars 2019

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Nio_Lynes

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