Actrice majeur du manga féminin, Moto HAGIO a révolutionnée le Shôjo avec des histoires matures et diversifiées. L’auteure a marqué les esprits des Japonais en son temps, mais ces récits sont-ils toujours aussi mémorables de nos jours?


Moto HAGIO est une mangaka boudée dans nos contrées, hormis Le cœur de Thomas publié chez Kazé Manga, aucun titre n’a eu le plaisir d’être traduit. Aujourd’hui les Éditions Glénat rectifient le tir en proposant un panel d’histoires courtes montrant toute la diversité et les facettes de l’auteure.


C’est sous la forme de deux recueils thématisés regroupés dans un coffret que nous pouvons découvrir la sélection effectuée par l’éditeur. Les deux ouvrages sont indépendants et peuvent se lire dans l’ordre que l'on souhaite. Les oeuvres ont été écrites majoritairement dans les années 70 et 80 allants jusqu’en 1992.


Sous le nom De la rêverie, le premier recueil inclut des histoires de science-fiction et de fantastique. Le second nommé De l’humain est composé de récits où les relations et les sentiments humains seront le coeur des histoires.


Moto Hagio a su bouleverser son époque en proposant des histoires innovantes qui ne s’adressent pas à un public en attente d’amourette futile et éphémère. Elle s’intéresse aux humains, insistant sur leurs interactions ou leurs comportements retranscrivant au passage une palette importante d’émotions que peuvent offrir ses personnages.


Dans le recueil de SF De la rêverie, l’auteure crée de nombreux personnages imaginaires pour asseoir son propos. Ils ont souvent un genre non défini, hermaphrodite, ou encore des personnages transgenres. Elle joue sur les ambiguïtés, brouille les pistes avec des individus androgynes portant sur eux des éléments connotés qui embrouillent les repères du lecteur. Que ce soit des adultes ou des jeunes enfants, dans des histoires fantastiques ou fictives, les personnages principaux ont souvent ce point commun.


La mangaka mélange mythes et fiction au travers d'une histoire de réincarnation, associant visions oniriques et de prémonitions. Incluant des êtres liés par un destin immuable, au dénouement tragique en perpétuel recommencement. Cette vision de l’amour qui dure éternellement dépassant les genres, l’espace et le temps nous plonge dans un univers tragique où la science et les légendes se fusionnent.


Elle réussit un coup d’éclat avec son huis clos culte nommé Nous sommes onze. Le doute, les soupçons, les tensions et les accusations seront le lot de cette histoire. Difficile de décocher avant de connaitre l’issue, l’auteure d'écrit avec brio l’état psychologique de ces personnages et l’ambiance pesante et inquiétante qui règne dans le vaisseau. En plus de proposer une histoire riche, la mangaka en profite pour montrer des modes de pensées différents, voir en opposition pour faire face à la potentielle menace.


Sa suite change de registre et se transforme en Space Opera partant sur une intrigue à plus grande échelle, incluant des rebondissements et des coups d’État. L’auteure nous montre sa capacité en mettre en place un récit à plus grande échelle.


Comme vous l’aurez compris Moto HAGIO a un vaste terrain de jeu avec les univers fictifs, pourtant la qualité de ses histoires ne sont pas dû qu’à ces univers imaginaires. Dans le recueil De l’humain, vous trouverez des histoires contemporaines réalistes.


Les problèmes d’identité seront immédiatement abordés, définir sa place et ses différences face aux autres. Au travers d’une histoire de siamoises avec une soeur délétère à la beauté sans égal, l’auteure approfondira les faux-semblants et les apparences trompeuses.


Elle enchérit sur une mère qui voit sa fille comme un iguane (et dessinée comme telle). Cette dernière développera le sentiment d’être anormale, d’être l’image que sa mère lui renvoie sous sa réprobation. Elle souffrira d’un manque important de confiance en soi en se rabaissant en permanence. Superbe allégorie de la difficulté de l’unité familiale et de la relation mère-fille. Abordant ainsi les problématiques de développement de l’enfant dans un cocoon familial instable et complexe, sans oublier l’influence de l’éducation.


La moralité et l’innocence des enfants seront abordées au travers d’un épisode pilote de son autre œuvre Le cœur de Thomas. L’amour, la mort, la haine, la jalousie, autant de sentiments qui se mélangent. L’auteur met en scène des personnages à la fois complexes et torturés par leurs émotions, devants survivre ou s’adapter à leur environnement. Des histoires touchantes et émouvantes de bout en bout.


Effectivement cette sélection montre l’étendue du registre que la mangaka a pu traiter avec beaucoup d’aisance. Représentant habillement les sentiments tout en gardant un ton adulte, nous comprenons mieux pourquoi elle a su marquer le cœur des Japonais en son temps.


Difficile de dénigrer le travail de cette auteure, toutefois tout n’est pas parfait, certaines histoires ont une narration un peu brouillonne par moments ou jouent sur quelques raccourcis scénaristiques. Une grande partie reste prévisible et nous pouvons deviner aisément la fin, mais le plus gros point noir c’est ce sentiment de « déjà-vu ».


Lire des œuvres de trente voir quarante ans d’âge dans des registres qui ont été revisités et re-interprétés des dizaines de fois, font que de nos jours ce ressentiment ressort ! Le public actuel l’aura surement déjà découvert dans une série TV ou un film, c’est tout le paradoxe d’un néophyte qui risquerait de ne pas réaliser l’impact que cet auteur a eu et en sortirait déçu s’il n’est pas ouvert à la découverte. Ce n’est pas réellement un défaut en soi mais cette Anthologie nécessite de se remettre dans le contexte de l’époque pour l’apprécier pleinement.


L’empreinte Shôjo est fortement présente dans sa mise en case ou dans l’apparence de ces personnages. Le style est très marqué par des protagonistes longilignes aux cheveux blonds bouclés avec les grands yeux typiques des récits féminins. Le trait est fin et maitrisé, elle use peu d’effets fleuris ou autres trames excessives qui surchargent une page. Toutefois nous retrouvons ce découpage particulier au fond vide ou étoilé avec des personnages sur plusieurs cases.


Continuant sur sa collection Vintage, l’éditeur Glénat nous gratifie d’une édition réalisée par des passionnées. Dans un format standard (env. 12x18 cm), les deux recueils aux couvertures or et argent sont regroupés dans un coffret aux lignes sobres et élégantes. Les livres ont une jaquette fixe avec une partie rabattable. Des pages couleurs sont présentes dans un recueil.

Le papier aurait pu être plus blanc mais l’impression est de qualité. L’éditeur a mis les bouchés double avec deux textes d’introduction sur l’auteure afin de la recontextualiser et la présenter. Une biographie légère est présente et un texte à la fin de chaque histoire explique le choix de sa présence. Une édition soignée, de qualité et réalisé avec amour, cela se ressent et on en redemande.


Pour tous les lecteurs souhaitant approfondir sa culture, Moto HAGIO est une mangaka incontournable du paysage Japonais. Cette sélection d’histoire est une excellente initiative et ravira tous les amoureux de Shojo vintage et ceux voulant approfondir sa culture manga.

darkjuju
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Créée

le 4 déc. 2020

Critique lue 94 fois

darkjuju

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