N'y a-t-il que la moquerie, le jugement implacable et cruel du caricaturiste qui se place au dessus de l'homme qu'il est en train de croquer et d'humilier, qui vaille en matière d'humour politique ? A cette question, la bande dessinée ne répondait à ce jour que par « oui ». Or avec Quai d'Orsay, Christophe Blain et Lanzac offrent –enfin- un démenti cinglant. Non seulement les deux auteurs font table rase des vieux codes historiques de l'humour politique, mais de surcroît ils les rejettent au profit d'une écriture comique de bande dessinée jeunesse classique. Comment ne pas retrouver, derrière les emportements à la Falstaff de ce ministre des affaires étrangères, ceux, tout aussi drôles et émouvants, du Capitaine Haddock ou de Joe Dalton ?

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Quai d'Orsay préfère le baroud à caractère humain, même cocasse même hilarant. Le principal protagoniste, Arthur Vlaminck, diplomate fraichement sorti de l'école et dévoué à l'écriture des discours du ministre des affaires étrangères, est un double du scénariste, caché sous pseudonyme, dont on dit qu'il aurait travaillé avec Dominique de Villepin avant de s'envoler pour d'autres missions diplomatiques. Lanzac excelle dès qu'il s'agit de souligner, à l'intérieur de ces situations plus grandes que nature auxquelles la politique est souvent réduite, les détails révélateurs des comportement humains pour mieux en rire : Tension sexuelle qui s'exprime par la vacherie, versatilité intellectuelle qui confine à la folie chez des diplomates soumis à des dizaines de prérogatives et d'influences contradictoires, archaïsme culturel d'élites coupées depuis trop longtemps de la société civile, aliénation d'un quotidien qui défile à cent à l'heure....

Blain, quant à lui, convoque les codes de la bande dessinée franco-belge de son enfance pour mieux incarner cette troupe de tempéraments incroyables. Nez, gestuelle, et même mise en scène participe à faire des diplomates comme du ministre de l'intérieur des héros classiques de la bande dessinée d'aventure. Il faut dire que l'atmosphère des ministères, ces fourmilières qui bouillonnent de mouvements humains, se prête parfaitement à la philosophie esthétique de l'auteur, en perpétuelle quête de « l'énergie » du personnage, cette ligne qui permet de synthétiser son identité en une gestuelle emblématique.

En ramenant naturellement le fait politique dans le sillon de la bande dessinée classique, Blain et Lanzac dénonce sans faire exprès un académisme qui n'avait pas été questionné depuis des décennies. Ces postmodernes malgré eux rappellent que la politique est une entreprise à hauteur d'homme. Mieux, une fantasque et palpitante aventure de bande dessinée.
stephbeaujean
8
Écrit par

Créée

le 28 févr. 2012

Critique lue 218 fois

1 j'aime

1 commentaire

stephbeaujean

Écrit par

Critique lue 218 fois

1
1

D'autres avis sur Quai d'Orsay : Chroniques diplomatiques, tome 2

Quai d'Orsay : Chroniques diplomatiques, tome 2
beebee
8

Critique de Quai d'Orsay : Chroniques diplomatiques, tome 2 par beebee

- " T'es là pour quoi ? " - " Bin, la schnouff. " - " Mais... c'est quoi ? " (Ils entrent) - " Aaah, c'est le deuxième tome de Chroniques Diplomatiques, par Lanzac & Blain " - " Depuis le temps qu'on...

le 4 déc. 2011

28 j'aime

2

Quai d'Orsay : Chroniques diplomatiques, tome 2
Eric17
10

Critique de Quai d'Orsay : Chroniques diplomatiques, tome 2 par Eric17

« Quai d'Orsay » est une série qui a fait une arrivée assez tonitruante l'année dernière dans les librairies. En effet, cette bande dessinée née de la rencontre de Lanzac et de Blain contait le...

le 28 déc. 2011

9 j'aime

1

Quai d'Orsay : Chroniques diplomatiques, tome 2
Tohad
10

Critique de Quai d'Orsay : Chroniques diplomatiques, tome 2 par Tohad

Le tome 2 de Quai d'Orsay est de loin la meilleur BD que j'ai lu cette année, voir plus. C'est typiquement le genre d'album à contresens de la production actuelle mainstream surfant sur une culture...

le 5 déc. 2011

8 j'aime

Du même critique

Les derniers jours de Stefan Zweig
stephbeaujean
4

Critique de Les derniers jours de Stefan Zweig par stephbeaujean

Quant on s'attaque à la biographie du biographe par excellence, mieux vaut être armé d'une vision ambitieuse. Or ce portrait des derniers jours de Sweig ne s'ourle jamais d'ambiguïté, ni ne parvient...

le 28 févr. 2012

5 j'aime

1

The War Room
stephbeaujean
6

Le revers Américain d'"Une partie de campagne de Depardon"

Les documentaires sur les campagne présidentielles ne sont pas courant. Probablement leur honnêteté contrainte par le régime du secret propre au milieu politique ne dupe personne. Celui là ne déroge...

le 16 mars 2012

3 j'aime

Pique-nique à Hanging Rock
stephbeaujean
8

Peter Weir période Australienne, jeune et déjà ma^tre de son cinéma

Peter Weir, sur sa terre natale, encore loin d'Hollywood, dresse le portrait d'un pensionnat pour jeunes filles de bonne famille du début du siècle dernier. L'éducation rigoriste anglaise est...

le 5 mars 2012

2 j'aime