Sakamoto Days
6.5
Sakamoto Days

Manga de Yuto Suzuki (2020)

Tout changea pour ne rien changer. « Tout », c’est encore le milieu de l’édition Shônen. On veut y croire à son renouveau, même si celui-ci s’accomplit par une série ininterrompue de fausses-couches successives. L’ère des Shônens bas de gamme et ronflant connaîtrait une fin prochaine pour enfin évoluer ? Eh bien non. Dans la même veine d’un Jujutsu Kaisen, un Chainsaw Man ou de leur progéniture bâtarde, Sakamoto Days s’accomplit et s’épanouit dans ce nouveau courant Shônen qui a furieusement les mêmes airs que son prédécesseur. En réalité, seule la forme a changé – celle du dessin exclusivement. Plus mature graphiquement – et graphiquement seulement – tous ces nouveaux Shônens cherchent à se donner une nouvelle dimension en restant pourtant résolument enterrés dans le sol qui aura fait pousser les pires abominations. Or, de même qu’un mauvais fruit ne peut venir que d’un mauvais arbre, un mauvais arbre ne pourra jamais provenir que d’une mauvaise graine.


Les Shônens à succès de cette ère – que je propose de baptiser « l’Ère de Rien » – sont finalement les shrapnels éditoriaux projetés depuis les cratères béants laissés par Jagaan et Fire Punch, qu’on aurait édulcorés un tantinet cela, avant qu’on ne serve la bouillie à un public plus jeune. À défaut de faire du neuf avec du vieux, en s’inspirant du meilleur d’antan pour assurer un avenir radieux, les nouveaux auteurs de Shônens font du vieux avec un trait plus ou moins neuf, mais uniforme. En somme, ils habillent la misère autrement. Le crayonné est plus plaisant… mais il est peu ou prou le même d’une œuvre à l’autre où la pose a emprise sur le reste. De cette Ère de Rien, Sakamoto Days en est, et ce, bien qu’il ait tortillé du cul dix chapitres de temps avant de l’assumer. À moins que son auteur, faute d’idées propres, ne se soit rapproché du train de ce qui avait du succès pour y accrocher son wagon et le remodeler à la mode du conformisme ambiant. Ce sont des choses qui se font plus fréquemment qu’on le croit. On le saura je pense à force que je m’en lamente : l’édition Shônen actuelle proscrit tacitement – si ce n’est explicitement – toute forme d’originalité pouvant donner lieu à un changement de paradigme sur le plan de la création.


Sans atmosphère, sans charme et sans odeur ; édulcoré à outrance pour n’avoir ni audace ni identité propre, Sakamoto Days est le fruit rance de son époque. Il commence sur une vague idée, celle d’un auteur qui se serait figuré qu’il serait amusant de décrire les aventures d’un tueur en série qui se serait laissé aller pour devenir un père de famille grassouillet. Sakamoto Days est parti de là pour n’aller ensuite nulle part. Un peu à la manière d’un Go Nagai qui, pour déconner, avait soumis le script de Kekko Kamen pour finalement se retrouver publié.


Seulement, Yuto Suzuki n’a pas même le mérite de l’originalité alors qu’il se commet avec la présente œuvres. Pour qui aura des yeux pour voir, Sakamoto Days est un One Punch Man (la sordide version Yusuke Murata) vaguement réadapté à un autre contexte.

Un héros surpuissant, bien qu’apparemment inoffensif, qui règle tout sans écraser une suée, le panel de protagonistes qui l’entoure ; pas de doute, on a mis le pied en plein dedans. Avec en plus des tueurs à gage aux relents supposés humoristiques – car vous ne risquez pas de vous luxer la mâchoire à trop rire – présentés dans des situations du quotidien ; me dirait-on que Reborn n’a pas joué son rôle dans l’inspiration initiale de l’œuvre que je crierais au mensonge.


Au menu, vous aurez droits aux classiques PNJ sortis de City Hunter avec quelques décennies de retard venus exiger d’être recadrés par les héros de service. Et cela, en guise d’amuse-bouche seulement. J’espère que vous avez de l’appétit, car le reste promet d’être gratiné.

Des personnages dépourvus de personnalité ? Depuis le temps que j’y suis habitué, je prends la chose comme une convention incontournable du milieu Shônen. Donner du caractère à ses personnages, les développer, s’assurer qu’ils soient – j’ose le gros mot – originaux… non, tout ça, ça n’est pas décemment acceptable. C’est encore pour cette raison que Yuto Suzuki, consciencieux dans son sabotage créatif, s’assure que son lectorat n’accède à rien de tout cela en nous gerbant des archétypes étriqués garnis de nom en guise de protagoniste. L’Ère de Rien dans toute sa splendeur.


Les bastons ne sont pas savoureuses – quoi que légèrement au-dessus de la mêlée de ce qui se fait depuis plus d’une décennie – et les enjeux ne sont à chaque fois que des prétextes justifiant que les chapitres se poursuivent sans jamais avoir une quelconque raison d’être. Non, y’a pas une idée neuve ni un ersatz d’intérêt qui, en quelque circonstance, puisse rendre l’œuvre un tant soit peu mémorable. Rien de marquant à signaler, l’œuvre s’accepte et se revendique comme insipide et sans audace aucune. On sent que ça a été usiné par le Shônen Weekly Jump actuel, et curieusement, on ne trouve pas matière à s’en réjouir.


Protagonistes qui ne font rien → élément perturbateur en la personne d’antagonistes quelconques → les protagonistes castagnent les antagonistes → répétez le processus.


Je pense que telles devaient être les indications éditoriales de Yuto Suzuki. C’est fou ce qu’il n’y a rien à se mettre sous la dent quand on lit Sakamoto Days, pas même une tentative d’habillage pour densifier une intrigue décidément bien plate. L’œuvre n’essaye rien et trouve malgré tout le moyen d’échouer partout où elle se traîne. Sakamoto Days – au même titre que bon nombre de ses semblables – est un traité éloquent sur le manque d’ambition et d’imagination des mangakas Shônen actuels. J’aimerais vous dire qu’il est instructif ce traité ; mais tout a déjà été dit et répété par mes soins sur le sujet sans que je n’ai une ligne à faire varier. Le milieu est devenu si fainéant que les auteurs n’ont même plus la force de faire pire. Car en vérité je vous le dis, je préfère un 1/10 qui a suscité ma colère qu’un 2/10 qui ne me laissera pas même l’ombre d’un souvenir tant l’œuvre critiquée est transparente d’inanité.


La puissance physique des personnages est démentielle. La chose est actée, mais la cohérence n’a pas pris la peine d’inscrire cet élément dans son univers. Il s’en trouve pour lire dans les esprits et casser les murs à mains nues dans un monde qui nous est contemporain sans que le « pourquoi » ne soit jamais explicité. C’est comme ça, le surnaturel advient parfois parce qu’il advient et parfois pas, parce qu’il n’advient pas.


Il est flagrant que le script – sans parler du reste – ne sait pas où il va et s’écrit à l’improviste d’un chapitre à l’autre. Rien n’est construit, tout est bancal et laissé à l’expectative. À la lecture, on croule sous le poids du manque de passion situé à l’autre bout du crayon. C’est encore un de ces mangas écrits pour que leur auteur se fasse du fric en profitant de l’abêtissement d’un lectorat hydrocéphale dont l’œuvre, comme celle de ses prédécesseurs, contribuera à aggraver les symptômes.


Tous les affrontements se ressemblent. Que l’auteur ne se soit pas renouvelé par rapport à ses pairs, c’était à espérer d’abord pour mieux le déplorer ensuite. Mais ne pas être foutu de se renouveler soi-même, multiplier des chapitres qui se succèdent comme des photocopies trouvant le moyen de s’affadir à mesure qu’elles s’enchaînent, c’est encore là la marque du Shônen précédant l’Ère de Rien, qui n’est finalement que la continuité du pire sous des formes moins grossières. Tentez une expérience : ouvrez le manga à n’importe quelle page trois fois de suite : ce sera toujours la même chose.


Les dessins s’affinent avec les chapitres récents. Ils s’affinent pour ne pas dire qu’ils lorgnent ostensiblement sur le style de Tatsuki Fujimoto. Un effort aura au moins été fourni de ce côté-là. Car il y a ceux qui, pour se changer radicalement et se renouveler, décident de s’adonner à une profonde introspection et à fournir des efforts en continu jusqu’à corriger leurs tares… et puis il y a ceux qui mettent du maquillage. On sait à quelle catégorie appartient Yuto Suzuki et on ne s’en étonne pas. Même qu’on ne s’en formalise pas. Car l’homme-là, il ne faut pas le subir longtemps à la lecture pour comprendre de quel bois il est fait. Un bois dont on fait les meubles Ikea ; ceux qu’on jette au bout de trois ans sans même y réfléchir à deux fois avant de les amener à la benne.


Et dire que cette affaire là, comme toute l’Ère de Rien, va nous empoisonner encore pour au moins cinq ans. Comme quoi, si les lecteurs assidus qui se régalent de Shônens contemporains n’ont pas une once de goût à mettre en avant, ils ont au moins le mérite de la résilience. Oui, de la résilience. On appellera ça comme ça pour ne pas suggérer chez eux un électroencéphalogramme aussi plat que les mangas qu’ils lisent.

Josselin-B
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le 27 oct. 2023

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Josselin Bigaut

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