Nouvelle phase dans la reconstruction de la civilisation : la guerre

Ce tome fait suite à Walking Dead, Tome 19 : Ézéchiel (épisodes 109 à 114) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 115 à 120, initialement parus en 2013/2014, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Charlie Adlard, avec des nuances de gris appliquées par Cliff Rathburn, et pour la première fois un encrage réalisé par Stefano Gaudiano.


La nuit s'achève, Rick Grimes se réveille aux côtés d'Andrea. Il lui caresse les cheveux, se lève et va faire ses ablutions. Elle le rejoint dans la salle de bain, et il lui confirme que c'est aujourd'hui que commence la guerre contre les Sauveurs, le groupe de Negan. Il dit tout haut qu'il n'y peut pas y avoir de guerre sans victimes, sans pertes humaines. Ils repassent à nouveau en revue la logique de cette décision de déclarer la guerre et arrivent à la même conclusion : il est impossible de vivre sereinement sous le joug de Negan. La responsabilité du choix de partir en guerre fait peser une terrible responsabilité sur les épaules de Rick. Dans une maison voisine dans la communauté d'Alexandria, Ezekiel se réveille et papote avec Michonne. Ils sont interrompus par Richard, le responsable de la sécurité d'Ezekiel.


Dans une usine non loin de là, Eugene effectue, pour Rick Grimes, un point d'avancement de la fabrication de balles d'armes à feu. Enfin, Rick Grimes réunit la communauté d'Alexandria pour leur indiquer ce qui va se passer. Il leur dit que leur mode de vie est en danger et qu'il est temps qu'ils donnent quelque chose en retour pour ce dont ils ont bénéficié dans cette communauté. Il laisse Andrea et Carl dans la zone d'Alexandria pour en assurer la défense. Enfin, Rick Grimes et son armée se présentent au pied du no man's land qui court le long du mur d'enceinte de la base de Negan. Rick Grimes se montre à découvert et interpelle Negan qui lui répond. Ce dernier ne peut pas croire que Rick veut jouer à qui a la plus grosse avec lui. Rick Grimes lui enjoint de se rendre. Negan présente son premier atout : Gregory est son prisonnier et celui-ci enjoint aux membres de la colonie Hilltop de quitter les rangs de l'armée de Rick et de regagner Hilltop.


Le tome 19 avait coupé le souffle du lecteur, incapable d'interrompre sa lecture, du fait des enjeux, de la rapidité de la narration, d'un suspense insoutenable à chaque séquence, tout pouvant basculer d'une case à l'autre, tout en continuant à développer les problématiques de conception et de fondation de toute société. Le lecteur est impatient à l'idée de découvrir la suite qui ne peut être qu'un affrontement de grande envergure, ce que promet d'ailleurs le titre du tome. Pour pouvoir satisfaire l'avidité du lectorat, Robert Kirkman a pris la décision d'augmenter le rythme de parution, passant d'un épisode par mois, à 6 épisodes en 4 mois. Pour pouvoir tenir ce rythme soutenu, l'équipe créatrice s'est agrandie en accueillant un encreur pour les dessins. Forcément le lecteur a petit mouvement de recul parce que ce n'est plus la même chose. Stefano Gaudiano ne trace pas les traits de contours comme Charlie Adlard, les aplats de noir n'ont pas exactement les mêmes formes, et les visages n'ont plus cette apparence taillée à la serpe et finis au burin. La sensibilité narrative s'en trouve légèrement modifiée, mais au bout d'un épisode l'intensité dramatique du récit a repris le dessus et le lecteur ne se souvient plus qu'il y a un encreur, sauf peut-être pour un visage de ci de là. Finalement cette addition à l'équipe créatrice se révèle assez indolore.


Sympa ce scénariste : il donne au lecteur exactement ce qu'il attendait. Rick Grimes et les siens s'en vont en guerre, bien décidés à faire plier Negan, quitte à tuer ses hommes, quitte à y laisser des plumes, les leurs de préférence. Au début, le lecteur a quand même un peu de mal à y croire. Il se rappelle que Robert Kirkman gère parfois des aspects de la situation à l'emporte-pièce et que le réalisme peut en prendre un coup. Il se souvient que le faible niveau de soin devrait augmenter la mortalité et que l'approvisionnement en légumes et fruits frais n'est toujours pas résolu. De voir Rick Grimes et ses combattants se présenter ainsi à découvert devant les murs de la citadelle de Negan le fait tiquer. Voilà des individus qui partent en guerre et qui se mettent sous le feu de l'ennemi dès le premier engagement, sans possibilité de se mettre à couvert rapidement, sans se protéger d'éventuels tireurs embusqués, en révélant également leur nombre. Bref, en termes d'intelligence tactique, on repassera. Il y a une autre scène assez difficile à avaler par la suite quand Holly révèle des informations de première importance à Negan en toute candeur. Le lecteur retrouve là les habitudes narratives de Kirkman qui aime bien faire en sorte que ses personnages puissent exposer et expliquer leurs idées en toute tranquillité.


Mais le lecteur a bien vite d'oublier ces détails car il se retrouve à nouveau complètement emporté par l'histoire. Le tome précédent lui a rappelé, si besoin était, que rien ne se passera comme prévu, rien. Il a bien fait attention à la déclaration de Rick Grimes sur l'impossibilité d'éviter les pertes humaines, et il sait que seul Rick Grimes est assuré de survivre, et encore pas forcément intact. Il se souvient également des différentes horreurs accumulées pendant tous ces épisodes, et il se demande si les auteurs seront en mesure de se renouveler assez pour l'impliquer. Il constate assez rapidement qu'en fait Rick Grimes ne s'est pas contenté de foncer dans le tas et qu'il a conçu une stratégie et prévu quelques coups à l'avance. Malgré tout le premier de ces coups a quelque chose de bien pratique, un peu trop providentiel dans la manière dont la horde de zombies arrive si rapidement. Les suivants reviennent dans un domaine plus facilement acceptable, plus plausible au vu de la situation.


Effectivement la situation peut dégénérer rapidement, mais pas dans une telle proportion que dans le tome précédent. Dans cette première moitié de guerre ouverte, l'attention du lecteur est plus focalisée sur la découverte du plan de bataille imaginé par Rick Grimes, que dans un suspense immédiat et total. Il sait que certains personnages vont y rester, et que d'autres vont souffrir. Il n'est pas très étonné qu'une femme soit capturée et qu'elle se retrouve entre les mains d'un violeur, rappelant la séquence insoutenable subie par Michonne de nombreux épisodes avant. Effectivement, Robert Kirkman a à cœur de ne pas se répéter et le sort de cette pauvre prisonnière est bien différent et tout aussi immonde. Charlie Adlard (aidé par Stefano Gaudiano) se retrouve avec des scènes très visuelles à réaliser : Rick haranguant les membres de la communauté, l'armée de Rick se tenant devant le mur d'enceinte du repère de Negan, la déferlante d'une horde de zombies, Shiva en mode attaque toutes griffes dehors, des échanges de coup de feu, etc. Comme à son habitude, il préfère une mise en scène avec des angles de vue qui dramatisent la situation, et des plans les plus explicites possibles afin d'assurer un spectacle direct et sans ambiguïté.


Le scénario de Robert Kirkman comprend donc des moments saisissants où Adlard réalise des compositions dramatiques appuyées qui font mouche, même s'il les compose sous l'angle le plus sensationnaliste. Il comprend également des séquences qui nécessitent la mise en œuvre d'une suite de cases avec un plan de prise de vues complexe pour qu'elles puissent être parlantes. Ces séquences s'avèrent être de nature variée. La première semble évidente à la lecture, mais pourtant il n'est pas si simple que ça de donner à voir l'intimité d'un couple, sans tomber dans la titillation gratuite. Le lecteur voit bien la familiarité de 2 individus habitués à vivre ensemble et éprouvant une réelle affection l'un pour l'autre. La scène des pourparlers entre Rick Grimes et Negan commence de manière maladroite avec Rick à découvert, sans même une protection tel que l'équipement anti-émeute. Par la suite, la mise en scène de la narration visuelle devient plus naturaliste, réussissant à faire croire au lecteur qu'effectivement Negan entend sans difficulté ce que le dit Rick et réciproquement. Pour la scène de viol, le dessinateur doit à nouveau montrer la froideur du violeur et son envie ainsi que la position de victime de la femme, sans tomber dans l'odieux racolage. Adlard s'en tire plutôt bien en montrant sans ambages l'état d'esprit abject du violeur, et en se tenant à l'écart de tout plan de nature à susciter l'excitation.


Adlard et Gaudiano n'en ont pas fini avec les scènes requérant des angles de prise de vue clairs, et un jeu d'acteur montrant l'état d'esprit des différents acteurs. Lorsque Gregory revient dans la colonie Hilltop, il se retrouve à justifier ses choix, et son comportement. Il a en face de lui une contradictrice convaincue. Leur langage corporel montre comment l'un passe d'une attitude défensive à celle d'un individu convaincu d'être dans son bon droit, et qui commence à s'indigner, et comment l'autre est tout aussi sûre de son bon droit et commence à le remettre à sa place, entièrement confiante dans sa position. Le lecteur continue d'apprécier à sa juste valeur l'approche naturaliste des dessins quand il voit le groupe d'Ezekiel attaquer un avant-poste de Negan. L'objectif de la séquence est de montrer que tous les combattants ne se comportent pas de la même manière, et que tous les chefs de groupe n'envisagent pas la stratégie et leur forme d'implication de la même manière. À nouveau c'est une belle preuve de la capacité de l'artiste à transcrire l'état d'esprit des personnages.


Robert Kirkman sait qu'il peut s'appuyer sur Charlie Adlard pour apporter de la personnalité à ses protagonistes, pour faire apparaître leur différence de manière visuelle. Comme dans les tomes précédents, il fait tout pour leur donner de l'épaisseur, pour les faire exister en tant qu'individu, et pas simplement en tant que dispositif narratif. Le lecteur peut observer à nouveau la pression qui pèse sur Rick Grimes. Il a conscience du risque qu'il fait courir à ceux qui l'accompagnent, et il sait qu'il y aura des morts dans son camp. Il l'exprime à Andrea, et il repasse en revue les arguments pour aller vers un affrontement ouvert. Le scénariste ne décrit pas la guerre comme une partie de plaisir, ou comme une décision facile à prendre. Il prend également garde à ne pas dépeindre Rick Grimes comme un général prêt à sacrifier ses troupes pour la cause. Alors que lors de sa première apparition l'apparence d'Ezekiel avait fait sourire le lecteur, il continue dans ce tome à gagner en épaisseur psychologique et en complexité. Rick reste la référence à partir de laquelle tous les autres sont jaugés. Kirkman fait en sorte que le lecteur puisse prendre la mesure d'Ezekiel en montrant son comportement et ses réactions à l'épreuve du feu. Malgré un dessin en double page montrant un groupe se précipitant en avant en faisant feu à la volée, le lecteur ne ressent jamais l'impression d'une partie de plaisir pendant ces premières batailles. L'auteur se garde bien de transformer ces engagements en démonstration de virilité romantique. Il ne donne pas vraiment une personnalité aux Sauveurs. Il ne rend pas compte non plus de leur point de vue en attirant sur eux la sympathie du lecteur. Ils restent bien l'ennemi, ceux qui se tiennent sur une position morale condamnable, et condamnée par le bon droit donné à l'autre camp. Mais les combattants du côté de Rick Grimes ne sont pas représentés comme des héros de guerre, comme de vaillants soldats courageux. Ils conservent une dimension humaine, des individus conscients de donner la mort pour échapper à l'asservissement inique de Negan et des Sauveurs.


D'une manière un peu perverse, le lecteur sait aussi qu'il attend avec impatience les scènes dans lesquelles Negan tient la vedette. Les auteurs ont réussi ce personnage en lui donnant un charisme incroyable. Ils effectuent un numéro de funambule en lui conservant son aura, tout en montrant qu'il est vulnérable et qu'il ne peut pas tout prévoir. Ayant clairement établi que le comportement de Negan est imprévisible, Kirkman utilise cette caractéristique, à chaque fois pour un effet choc imprévisible. Le lecteur n'a aucun moyen de prévoir ce que sera sa réaction quand il découvrira le viol, ou quelle tactique il va employer pour répondre à l'assaut des forces de Rick Grimes. Contre toute attente, il ne perd rien de son aura, le lecteur étant certain que sa riposte sera sans pitié, et pleine d'intelligence, Negan établissant sa stratégie en pensant au moins 3 coups d'avance. La tension monte d'autant plus vite que le lecteur est certain que Negan et les Sauveurs ont encore plusieurs atouts dans leur jeu, en termes de moyen de riposte. Par ricochet, il se met à s'interroger sur la stratégie de Rick Grimes. Effectivement il se positionne en première ligne, dans la position la plus dangereuse, parce qu'il n'est pas dans sa nature d'envoyer les autres au casse-pipe à sa place. Dans le même temps, le scénariste a fait le nécessaire pour établir, au travers de plusieurs personnages, que la communauté d'Alexandria ne survivrait pas à la mort de Rick Grimes. Ce dernier ne se montrerait-il finalement pas irresponsable en s'exposant ainsi ? Le doute s'insinue dans l'esprit du lecteur.


Après la tension de toutes les pages du tome précédent, le lecteur sait qu'il ne pourra pas retrouver une telle intensité, d'autant plus qu'il a anticipé qu'il s'agit d'une guerre ouverte, avec forcément des morts, des angoisses attendues (une blessure pour Carl ?), et une domination fluctuante du conflit, alternant entre les 2 camps. Robert Kirkman, Charlie Adlard et Stefano Gaudiano réussissent à le surprendre et à maintenir un niveau élevé de suspense, par les revers imprévisibles des uns et des autres, par la justesse des personnalités des protagonistes, par le magnétisme de Negan, et contre toute attente également par les pertes humaines pourtant assurées dès le départ.

Presence
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le 23 juil. 2019

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