Après avoir abordé le thème du deuil, avec Maborosi, Kore-eda décide de prolonger sa réflexion avec After Life en simulant un intérêt pour la mort, afin de mieux parler de la vie, et de poser, par la même occasion, quelques questions existentialistes : qu'est-ce que le bonheur ? Comment sait-on si l'on a réussi sa vie ? Et surtout, qu'en retenir ? Mais au-delà de ces questions dignes d'un sujet de bac philo, Kore-eda s'emploie à sonder la mémoire humaine afin de réduire (ou de résumer) la valeur d'une vie à une image, une sensation ou tout simplement un souvenir. Histoire de toucher du doigt l'essence même de la vie et son évanescence beauté. Il nous invite ainsi à nous questionner sur notre propre existence, et sur ce que l'on retient de celle-ci, en posant cette simple, mais terrible, question : si vous deviez partir pour l'au-delà ; quel souvenir de vous, emporteriez-vous alors dans vos bagages ?

Si la délicate poésie de Maborosi nous permettait de vaincre l'hermétisme du scénario, on ne peut pas dire que ce soit le cas ici : la mise en scène est dépouillée, minimaliste à souhait, le cadre est austère et la narration se contente simplement de suivre les codes issus du documentaire. Formellement, le film étonne autant qu'il rebute et, dès les premières minutes, on se met à craindre l'intellectualisme outrancier ou le pur exercice de style ! Fort heureusement ce ne sera pas le cas. Néanmoins, pour découvrir les trésors cachés de After Life, et pour pouvoir apprécier ses douces vertus, il faudra faire preuve de patience et d'obstination pour surmonter une première partie triste... à mourir ! C'est sans doute l'effet recherché par le cinéaste car, si la vie terrestre n'est pas toujours gaie, celle de l'au-delà semble être d'une telle morosité, qu'on en vient à regretter de ne pas avoir pris la direction des enfers !

Les limbes, selon Kore-eda, ressemblent à une étrange administration à l'écart du temps, à l'écart de la vie : les bâtiments sont décrépits, la grisaille omniprésente. Les morts attendent leur tour pour passer devant un guichet administratif. Ils remplissent ensuite toute une série de formulaires avant de pouvoir, enfin, rencontrer une poignée de fonctionnaire qui va leur faire passer des entretiens façon "interrogatoire de police"...

Cette première partie n'a rien de très passionnante même si l'on comprend assez vite où veut nous mener le jeune cinéaste. En nous détaillant de la sorte un univers aussi désenchanté, en mettant en avant la dimension purement procédurière de cette bureaucratie et en nous présentant des fonctionnaires assimilables à de simples robots, Kore-eda nous prépare à l'émerveillement qui va suivre. Partant du principe qu'un objet scintille d'autant plus s'il est plongé dans l'obscurité, il nous projette violemment dans ce que l’existence à de plus triste et morne, afin que nous soyons capables d’apprécier l'infime beauté des choses. Quel souvenir de vous, voulez-vous emporter dans vos bagages pour l'au-delà ? À cette simple, et cruelle, question, les différents protagonistes ne vont pas y répondre en faisant référence à de grands actes de bravoure ou à une générosité débordante ! Ils vont, bien au contraire, se souvenir que, pour eux, le bonheur avait la forme des choses simples, anodines voire dérisoires. Cela peut être une simple discussion avec un être aimé, une balade en tramway au cœur de l'été ou encore la traversée d'un nuage en avion. Histoire de nous dire que l’extraordinaire peut se cacher dans le banal, ou l'ordinaire, et que c'est à chacun de nous d'être sensible à la poésie de la vie.

Tout cela pourrait être empreint d'une vraie niaiserie si Kore-eda n'avait pas opté pour un style quasi-documentaire. After Life joue ainsi astucieusement sur le décalage entre son sujet "fantastique" et une mise en scène terriblement basique. Ce n'est pas un film de SF, ce n'est pas non plus un faux documentaire, c'est une œuvre à part entière qui regorge d'idées subtiles et audacieuses, et qui nous invites à la réflexion comme à l’émerveillement. Seulement, on peut regretter quelques facilités (le rapprochement entre la mémoire et le cinéma) et une première partie assez laborieuse à suivre. After Life n'est pas un film facile à apprécier car c'est avant tout un beau concept et toute la difficulté réside dans l'art de le porter à l'écran. Si le pari est en partie, seulement, réussi par Kore-eda, After Life se présente également comme le parfait complément à l'excellent Maborosi : deux films, il fallait bien ça pour évoquer la beauté de la vie.

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le 3 août 2023

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Procol Harum

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