Une lumière hivernale et cotonneuse baigne un vieux collège décrépi où résonne encore le carillon de Westminster caractéristique des écoles nippones. Un contexte évocateur d'un quotidien japonais purement banal pour une représentation de la vie après la mort comme vestibule du Paradis. La petite vingtaine de défunts de la semaine est en effet dès leur arrivée prise en charge par une administration bien huilée et entièrement à leur écoute. L'obole attendue par ces Charons est simple : ne choisir qu'un seul et unique souvenir que l'équipe reconstituera et filmera afin qu'ils puissent emporter la K7 avec eux. Le seul souvenir dont le défunt se souviendra.

Ce qui sous-tend le déroulement de cette semaine, ce n'est pas le jugement final mais le regard en arrière que l'on peut avoir sur sa propre vie dans ses derniers instants. Thème éculé s'il en est mais Kore-Eda a pourtant su résister à la tentation de faire de ses personnages un simple catalogue d'archétypes ou des porteurs d'une quelconque morale ; au contraire, rien n'est si évident. C'est ce qui donne vie et consistance à ses protagonistes, en capturant quelques détails, quelques bribes d'une vie, quelques paroles fugaces. Si l'on s'attarde bien entendu sur le groupe et ses souvenirs, l'on n'oublie cependant pas les shinigami qui, loin d'être des metteurs en scènes extérieurs à ce petit théâtre mortuaire, ont leurs propres démons. Si dans Maborosi, Kore-Eda suivait l'histoire d'une jeune femme perdant prématurément son mari puis refaisant sa vie, After Life propose en écho de découvrir un tendre jeune marié mort prématurément à la guerre et qui ne peut avancer.

Finalement, le tournage des souvenirs est d'une touchante poésie et d'une inventivité toute gondryesque. Il montre bien le soin extrême apporté par l'équipe de passeurs pour recréer avant tout l'empreinte sensorielle, sensuelle, de la mémoire. S'il faut mettre sur pellicule son souvenir alors même que l'existence de tous est disponible en K7, c'est bien que ce cheminement, ce processus du choix d'un souvenir particulier et de l'effort pour le décrire, est primordial. La facticité du produit final ne semble pas compter. Pour preuve, les sourires enfantins des protagonistes en face de leur passé recomposé, pourtant de simples décors peints, des ventilateurs, du coton, des acteurs.

Ce film est en quelque sorte ce que la dernière saison de la série Lost a voulu être sans y parvenir et son fameux "move on". Sans pathos appuyé, sans symbolique surannée, sans lourdes métaphores alambiquées mais juste avec une simplicité et une sincérité touchante dans l'écriture et dans la mise en scène, After Life parvient à être pertinent sur un thème éreinté et à atteindre son spectateur par sa teinte mélancolique.

Alors évidemment, tout le long du film, il est difficile de ne pas se demander quel souvenir l'on choisirait soi-même.
Nushku
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le 23 mai 2011

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Nushku

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