S’il ne compte pas parmi les réalisateurs les plus prolifiques, Sam Mendes s’est toutefois rapidement taillé une place de choix dans le paysage hollywoodien : au sortir d’une carrière théâtrale prestigieuse, son premier passage derrière la caméra accoucha d’American Beauty, auréolé d’une pléiade de récompenses (dont l’Oscar du meilleur film). Un triomphe critique des plus certains donc, de quoi le qualifier « d’immanquable manqué » en ce qui me concerne : déjà conquis par Road to Perdition et Skyfall, rien ne justifiait pareil retard si ce n’est peut-être… un mauvais pressentiment.


Connaissant déjà le destin de Lester Burnham, le long-métrage échouait donc à m’aguicher, chose se corrélant à ma crainte d’en ressortir déçu : un double a priori doublement faussé au bout du compte, American Beauty ne faisant que peu de mystère quant au trépas du susnommé (le procédé rappelle les sombres mots de Seita ouvrant Le Tombeau des Lucioles), tandis que le récit de ses derniers pas sur Terre s’avère en tous points brillant. Honoré en ce sens d’une statuette, le scénario original d’Alan Ball fait montre d’une écriture aux petits oignons, ce focus sur l’envers drôlement dramatique d’une famille américaine proprette se voulant aussi grinçant que captivant.


Pourtant, l’introduction des Burnham ne laissait pas augurer d’un tel crescendo : à ce titre, l’évolution de Lester est symptomatique d’une intrigue bien ficelée, son portrait d’abord miséreux, assujetti au bon vouloir d’un environnement humiliant, empêchait de se prendre d’empathie pour ce dernier. Néanmoins, à mesure que le film va déployer une galerie réduite mais des plus riches, le bougre va imprimer d’une bien belle manière un changement de cap détonnant : faisant alors voler en éclat les contours friables d’un simulacre familial, tout en rejetant avec force le diktat de la bien-pensance commune, l’ordinaire employé d’aujourd’hui va renouer avec l’insouciant jeune homme d’hier, bien décidé à reprendre goût à la vie.


Désireux de ne pas persister dans une voie conformiste avilissante, là était aussi l’occasion de colmater le fossé le séparant de sa fille Jane, figure archétypale de l’adolescente rebelle mais on ne peut plus pertinente dans le cas présent : conjugué au jusqu’au-boutisme matériel d’une Carolyn obnubilée par la réussite et l’apparence, le trio des Burnham dresse ainsi une peinture au vitriol de la famille américaine par excellence. Si le procédé, suspendu à des ressorts pas forcément nuancés, pourrait faire mine de forcer le trait, American Beauty parvient toutefois à maintenir une alchimie foutraque, mais efficace, entre ses différents protagonistes : de surcroît, l’apport des voisins Fitts est en ce sens des plus salvateurs, ces derniers contribuant de manière inattendue aux affres sociétaux que dénonce le long-métrage.


Hautement sympathique, Ricky se veut très prudent et consciencieux afin de ne pas éveiller les soupçons de son paternel, ce que l’on comprend aisément au regard des roustes qu’il lui administre ; il subsiste toutefois un écueil un chouia dérangeant, le quiproquo final pâtissant d’un semblant d’incohérence en lien avec les attributs du dealer en herbe. Le malentendu découlant d’une incompréhension certes amusante, mais invraisemblable à l’échelle de tout ce qui avait été mis précédemment sur pied (grossière erreur de Ricky en somme), la succession logique de situations s’ensuivant va perdre quelque peu en impact.


C’est d’autant plus regrettable que ce dernier acte confirme la profondeur apportée aux Fitts, Frank foulant du pied sans coup férir l’image de l’indéboulonnable colonel, parfait prolongement d’un sous-texte global remettant en question le poids oppressifs des apparences. En complément, la symbolique omniprésente de la rose confère au tout une ambiance unique, les fantasmes oniriques de Lester se couplant avec brio aux thématiques de la passion sous toutes ses formes (rouge, quand tu nous tiens) ou encore de la virginité (le blanc, également très présent, et bien sûr l’indice floral).


Acide mais juste dans son propos, American Beauty s’adjuge donc notre assentiment au fil d’un méli-mélo des plus savoureux, le spectateur en venant presque à occulter le sinistre évènement à venir : non pas que l’idée serait d’en dédramatiser la teneur, mais le film n’embrasse en aucune façon les ficelles du thriller, l’étiquette de comédie dramatique lui étant attribuée tombant sous le sens. Le développement apporté aux personnages, tous mémorables, n’est sans surprise pas en reste, Lester faisant office de figure de proue d’un navire insubmersible : un presque paradoxe compte tenu des travers criblant les Burnham et consorts, de leurs criantes imperfections résultant un enchevêtrement d’interactions aussi jubilatoires que prenantes.


Reste à citer la géniale BO de Thomas Newman, orchestrant avec maestria une atmosphère aux multiples tonalités, ainsi que la qualité intrinsèque d’un casting irréprochable (notamment Wes Bentley) : pourtant neutre à son sujet, Kevin Spacey domine les débats au point de m’avoir réellement impressionné, de quoi éclipser certaines autres de ses prestations références (comme dans Usual Suspect). Bref, il y aurait clairement matière à s’étendre à n’en plus finir quant aux points forts d’American Beauty, mais concluons plutôt en félicitant Mendes et Ball pour pareille performance, le tandem ayant fomenté un chef d’œuvre formel empreint d’un discours mordant.


Et c’est peu dire que l’on en redemande.

NiERONiMO
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le 6 mars 2018

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NiERONiMO

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