Pour qui a vu et aimé Fish Tank, la quatrième livraison de la réalisatrice Andrea Arnold - qui traverse l'Atlantique pour l'occasion - avait tout d'une belle promesse. Un road-movie pour évoquer l'Amérique, celle qui sort de New York ou Los Angeles pour aller rouler sa bosse sur les grandes routes poussiéreuses du Sud, qui parle de la jeunesse la vraie, la misère la vraie, l'amour le vrai, bref, qui s'affranchit des contraintes classiques du récit pour toucher du doigt le cœur des choses. Mais rien ne sert d'éviter des poncifs si c'est pour se vautrer dans d'autres et c'est bien là tout le souci d'American Honey, qui oublie souvent ses objectifs en cours de route en se perdant dans des postures qui le desservent.


American Honey se veut un mélange de Larry Clark et Jim Jarmusch sans atteindre ni le caractère controversé du premier ni l'humour désenchanté du second. On pourrait citer Malick sur quelques plans, Van Sant sur quelques mimiques, voire même Dolan pour le format 1:1.33 qui évoque celui de Mommy et l'utilisation particulière de tubes pop pour rythmer le métrage. Mais comme il ne suffit pas de coller tous les ingrédients dans le même saladier pour réussir une recette, la maîtrise de ses influences est la condition de leur utilité dans le produit final. Ici, c'est pas jojo. Le format carré, déjà ; Andrea Arnold a sûrement ses raisons de choisir ce format Polaroid pour filmer son road trip (sans doute pour rester au plus près de ses personnages... encore aurait-il fallu les écrire, on y reviendra), n'empêche que se priver d'un format large pour filmer un road-movie c'est déjà se tirer une jolie balle dans le pied. Ce qui en découle immédiatement, c'est une stylisation à outrance d'un film qui fait par ailleurs des pieds et des mains pour décrire une réalité sociale, et là encore la démarche comme le résultat sont discutables. Il y a certes une volonté d'évoquer l'Amérique white trash et le cynisme capitaliste (on s'habille en guenilles pour faire pitié aux riches, on tire sur la corde empathique pour vendre aux pauvres), mais elle est trop diluée dans tout le reste pour atteindre une réelle pertinence.


Trop arty pour se réclamer d'un Ken Loach, American Honey aurait tout de même pu être une belle étude de personnages ; disons-le tout de suite, ce n'est guère plus probant. La caméra colle à Star (remarquable Sasha Lane) tout au long du film sans jamais la quitter, et tant pis si l'on n'en saura jamais plus sur les autres membres de l'équipe, réduits chacun à une caractéristique : untel montre sa bite à qui veut ou non la voir, untel joue de la guitare, unetelle fait une fixette sur Darth Vader, unetelle est décrite comme la meilleure amie qu'on puisse avoir, et tant pis si l'on n'aura jamais le loisir de le vérifier au long des 2h40 de film. Ces compagnons de route restent des étrangers et enchaînent les séquences sans intérêt dans lesquelles ils boivent et fument en beuglant des refrains trap, en réalisant l'exploit d'être aussi inintéressants qu'interchangeables. Il n'y aura que les trois membres d'un triangle amoureux tout flingué qui bénéficieront d'un traitement un minimum correct ; notre Star donc, Jake (un Shia LaBeouf autant en roue libre que le film, ce qui n'a pas grand-chose d'un compliment) et Krystal, la reine terrifiante de tout ce petit monde. Grande gueule dehors, Jake est soumis au moindre désir de Krystal qui ne se prive jamais d'en profiter ; en naît une rivalité asymétrique entre Star et Krystal qui aurait pu avoir un certain intérêt si cette dernière n'était pas aussi unidimensionnelle que ses employés anonymes.


La dimension documentaire à la trappe, les personnages en retrait, bon. Alors une belle intrigue attend sûrement notre Star ? Perdu. On dit souvent que ce qui compte n'est pas la destination mais le voyage ; peut-être bien, n'empêche qu'on n'aurait pas dit non à un semblant de destination. Le périple de Star vers l'indépendance est jalonné de scènes qui se répètent (scènes de chant dans le camion, on boit, on fume, on se rebelle contre Krystal, on baise dans les champs), sans jamais que la prochaine n'apporte quoi que ce soit à la précédente. Difficile alors de justifier une durée absolument délirante pour un film du genre ; j'évoquais la question de la posture en début de texte, qu'est-ce qui est passé par la tête d'Andrea Arnold pour qu'elle livre un machin aussi interminable ? Peut-être une volonté de faire un "grand" film, d'atteindre une forme de légitimité ? On comprend rapidement où Arnold veut en venir et rallonger la durée c'est promettre un tournant inattendu qui ne viendra jamais. Tout au long de la dernière heure, on a l'impression désagréable qu'on aurait pu arrêter le film à n'importe quel moment sans rater grand chose. Qui s'est déjà retrouvé derrière un banc de montage a l'impression d'assister à une première version qui n'attendrait que d'être coupée, élaguée, réduite, pour mettre en valeur les quelques séquences qui fonctionnent (la fillette qui chante I Kill Children des Dead Kennedys, la fête d'anniversaire). Mais non, Arnold préfère empiler les situations médiocres voire grotesques


(le barbecue surréaliste arrosé de mescal avec les cowboys et l'inutile intervention d'une arme à feu, la "scène à Oscars" de Shia LaBeouf qui fait un caca nerveux qui tombe comme un cheveu sur la soupe ou une scène de prostitution très évitable)


pour pallier les manques de son écriture. Trop souvent, American Honey pèse de tout son poids sur les épaules de Sasha Lane, qui ne peut sauver à elle seule une entreprise aussi défaillante. Et si Star, par son parcours familial et sa jeunesse volée dispose d'un droit à l'incohérence et à l'errance, ce n'est pas le cas d'Andrea Arnold qui a déjà prouvé qu'elle était capable de bien mieux.


Bref, le voyage initiatique de notre Star souffle plus souvent le froid que le chaud. On retiendra quelques jolies pistes sur la naissance de l'indépendance (les rapports de la jeune fille avec les animaux qui jalonnent le film sont une belle touche), une volonté salutaire de décrire une Amérique trop absente des écrans bien qu'elle vire trop souvent au catalogue, et une Sasha Lane magnétique. On pourra aussi garder d'American Honey le bon road-movie choral qu'il aurait pu être s'il avait daigné avoir des personnages écrits, et si seulement ses embardées longuettes n'avaient pas aussi souvent des allures de sorties de route.

Boobrito
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le 3 janv. 2017

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