J'ai toujours été un peu frustré par Sorogoyen. Parce que si je reconnais toujours beaucoup de qualité à ses films, à chaque fois, il y a un petit quelque chose qui m'empêche de totalement apprécier son travail.

Loin de se reposer dans une quelconque zone de confort, le réalisateur espagnol change de genre à chaque fois : thriller avec "Que Dios Nos Perdone", film politique avec "El Reino", drame intimiste avec "Madre"... Cette fois encore, il change de direction avec As Bestas, qui convoque (au moins dans sa première partie), "Les Chiens de Paille" de Peckinpah dans sa confrontation entre des néo-ruraux idéalistes et des bouseux espingouins nationalistes.

Antoine (Denis Menochet, meilleur révélation française de ces dernières années depuis son rôle de mari abusif dans le court "Avant que de tout perdre") et Olga (Marina Foïs, tout le contraire de son partenaire à l'écran) sont un sympathique petit couple, venu vivre dans un village espagnol pour y retaper des maisons en ruine en vue de repeupler l'endroit (et de vendre leurs légumes qu'ils cultivent). Sauf qu'ils se heurtent à l'hostilité d'un tandem de frères qui voit non seulement d'un très mauvais oeil l'arrivée de ces étrangers venus de la ville mais qui les hait encore plus depuis qu'ils ont voté contre un projet d'éolienne qui aurait pu leur rapporter un petit paquet d'argent. L'animosité entre les deux va grandissante... jusqu'au point de non retour.


La première partie du film repose donc sur une montée en tension éprouvante et des codes précis impliquant un certain manichéisme : d'un côté le couple bien sous tout rapport et qui n'aspire qu'à vivre paisiblement et de l'autre les deux frères, l'un handicapé après un accident et pas très intelligent, l'autre raciste et nationaliste dont l'animosité viscérale ne semble avoir d'égal que les manigances qu'il déploie pour pourrir la vie des expatriés. Tout est prétexte à la haine chez Xan, qui dès le début affiche un caractère irascible, y compris envers les siens et mettra tout en œuvre pour intimider le couple de français, qui tente de se défendre comme il peut, en restant dans le cadre de la légalité. Mais les menaces et les actes malveillants s'intensifient, ce qui commence par de la simple agressivité se transforme ensuite en acte de sabotage lorsque des batteries de voiture sont jetés dans la source servant à irriguer les cultures d'Antoine et Olga, puis vient ensuite les tentatives d'intimidation, les insultes et les agressions aussi, jusqu'à l'inévitable, jusqu'à la tragédie.

On pense alors que le scénario est simple et on pense savoir dans quelle direction on se dirige. Mais Sorogoyen décide de ne pas être aussi prévisible... et c'est bien là autant la réussite que le souci du film.


On s'attend forcément à un dérapage, d'un côté ou de l'autre et il survient mais au moment où on ne s'y attends pas et dans une forme qui évite l'hystérie. La scène fait référence à la séquence d'intro dans lequel on voit deux paysans maîtriser un cheval sauvage à main nues. La séquence qui clôt cette première partie brille dans la maitrise de sa mise en scène mais se révèle confuse dans ses enjeux et ses conséquences immédiates.

Déjà parce que le réalisateur espagnol se décide à nuancer ses personnages dans une scène un peu trop simpliste et trop tardive. Antoine décide de tenter une conciliation de la dernière chance et de discuter avec ses opposants, un échange qui intervertit un peu les rôles.

La xénophobie de Xan s'explique par sa situation. Non seulement il voit Antoine comme un envahisseur (c'était déjà clair dans la scène d'intro où il convoque le passé de conquérant de la France sur l'Espagne) mais surtout, il lui reproche de ne pas avoir voulu signer en faveur des éolienne, ce qui aurait pu lui rapporter un petit paquet d'argent et lui permettre de partir d'ici et de se construire une nouvelle vie, pour lui son frère et sa mère. Si Antoine voit le village comme une opportunité, un futur havre de paix, lui voit ce village comme une prison. Son travail de paysan paie mal, il n'a ni femme ni enfant parce qu'il n'y a personne ici... Et Antoine de lui faire la leçon en lui demandant s'il pense vraiment que l'argent des éolienne serait suffisant pour commencer une nouvelle vie, une position un peu facile du haut de son statut de petit bourgeois qui a eu le temps de se construire une vie confortable en ville.

L'intention est louable mais ne fonctionne pas : la pauvreté n'excuse pas le nationalisme crasse dont fait preuve Xan et surtout pas le meurtre. Et même si la position d'Antoine est discutable et qu'il fait preuve d'un certain mépris pour son interlocuteur, se pensant plus intelligent et ne parvenant jamais à comprendre son point de vue, pensant surtout à son intérêt personnel, impossible de lui tenir rigueur de quoi que ce soit ou de vraiment inverser les rôles, impossible de penser une seule seconde qu'il ait une part de responsabilité dans ce qui lui arrive et impossible d'éprouver de l'empathie pour Xan et son frère : ces derniers sont bels et bien deux bons enculés, quelles que soient les raisons.


Et cette volonté de nuances tombe comme un cheveux sur la soupe. Elle est trop grossière. Peut être que Sorogoyen aurait dû la développer tout le long de la première partie, la distiller de façon progressive. Parce que jusque là, on était clairement dans une structure simple et presque manichéenne (mais c'est le genre dans lequel évolue le film qui veut ça) avec d'un côté un couple qui veut juste être tranquille et de l'autre côté des sociopathes en puissance prêts à tout pour leur pourrir la vie.

La première moitié du film se termine donc par une scène qui faire écho à l'introduction du film où l'on voyait deux hommes maîtriser un cheval à la seule force des bras. Ici, Xan et son frère font de même avec Antoine... Et on ne comprends pas tout de suite les conséquences tragiques de cet acte.

Parce qu'alors commence un film totalement différent. On nous montre Olga, seule chez elle, vaquer à ses tâches quotidiennes, marcher seule dans les bois avec son chien... On imagine qu'elle attend le retour de son mari. Mais lorsqu'elle explique son intention d'explorer certaines parties précises de la forêt aux policiers, on comprend qu'Antoine n'est pas rentré et qu'il est porté disparu... depuis un an.


L'ellipse est déstabilisante parce que ce n'est pas du tout ce à quoi on s'attendait. Débute alors un drame intimiste qui se concentre sur la femme d'Antoine, dont le caractère était l'opposé de celui de son mari : là où Antoine refusait de subir, Olga refuse de faire des vagues, d'accuser qui que ce soit... Là où Antoine se battait bec et ongle, Olga est plus effacé. Elle se contente de chercher inexorablement dans la forêt et de vivre presque comme si rien ne s'était passé. Un comportement forcément difficile à comprendre, y compris pour sa fille qui vient lui rendre visite et qui s'agace de la passivité de sa mère.

C'est un portrait touchant de femme que déploie cette seconde partie... Mais ce n'est plus le même film. Ce n'est pas que cette seconde partie soit ratée mais d'abord, on quitte le toujours très bon Denis Menochet pour se concentrer sur le personnage incarné par Marina Foïs. Et même si j'ai beaucoup de sympathie pour elle, ce n'est pas une très bonne actrice. L'actrice joue toujours de la même façon, quel que soit le rôle. Et elle n'est jamais très crédible dans le registre dramatique (Sophie Pédoncule n'est jamais loin).


Ensuite, on peut saluer la volonté de Sorogoyen de sortir des sentiers battus et de vouloir surprendre en prenant une direction inattendue. Mais comme dans ses précédents films, je trouve que ça manque de substance . Ce n'est pas désagréable mais je n'ai jamais vraiment été ému ou touché par cette seconde partie. Et je me demande à nouveau si Sorogoyen n'essaie pas de faire croire qu'il est plus intelligent qu'il ne l'est vraiment. Comme si le réalisateur refusait de faire un pur film de genre, comme s'il trouvait ça sale. En résulte un film prometteur, avec beaucoup de qualité mais qui me laisse sur ma faim, surtout dans sa seconde partie.


DocteurBenway
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le 8 mars 2024

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