Le pouvoir devastateur de l’image

Le polo parfaitement rentré dans le pantalon, le cardigan rouge pétant, la petite mèche soigneusement gominée, le grand sourire plus blanc que blanc, comme la lessive mais pour les dents, la collection complète de petites blagues gentillettes, une petite tempête d'amabilités à lui tout seul, Bob Crane est comme il se décrit lui même, un homme sympathique, "a likable man" comme le disent nos amis anglophone. Un célèbre présentateur radio avec une femme, trois enfants, un loyal agent et l'ambition de devenir le prochain Jack Lemmon dans le merveilleux monde couleur pastel d'un Los Angeles illuminé par un soleil lumineusement brillant. Le parfait rêve du parfait petit américain parfaitement puritain.


Bob Crane devient le Robert Hogan de la série à sucée Papa Schultz et les studios de radio laissent place aux sauteries en bord de piscine avec chute de Martini et vagues de pinups plantureuses en pleine tempête groovy. Une vedette qui tient sa ligne de conduite et donne quelques interviews arrosées de jus de pamplemousses pendant que ce jeune acteur anglais fait visiter ses chambres d'hôtel à de jeunes bimbos tout en lolos.


Jusqu'à cette rencontre tout en faux sourires, fausses révérences et fausse sympathie dans une fausse ruelle de studio avec John Carpenter, prince du Hi-fi, empereur de la photo et futur roi de la vidéo. Avec John, celui qui jouait de la batterie en live à la radio s'installe derrière les grosses caisses de clubs de Strip-tease pendant qu'il admire les grosses fesses de stripteaseuses en pleines actions. Il troque ses jus de Pamplemousses pulpeux contre les pamplemousses cette fois bien en chair de créatures pulpeuses, car voila, Bob Crane adore ça, les nibards. Comme il nous le confie, les nibards, c'est génial. Et ce qu'il aime encore plus que les poitrines, c'est les images de poitrines. Il prend donc en photo tout ses coups d'un soir, puis quand la technologie le permettra, en vidéo


Les saisons passent au même rythme que les nouvelles poitrines, que les femmes qu'il ramène toujours en compagnie de John avec qui il tisse une relation étrange et atypique, intraitable et dévastatrice, effrayante et pathétique. Jusqu'au jour où il vit un véritable cauchemar éveillé en plein tournage, duquel il ne ressortira vraiment jamais.


Le sourire s'est transformé en grimace bouffie, la mèche parfaitement gominé en touffe hirsute, les petites blagues gentillettes en propos odieux. Mon dieu. La famille est partie depuis longtemps, le succès aussi. Les couleurs sont ternes, ombragées, décolorées et la caméra tangue de plus en plus pendant qu'un Crane vieillissant s'enfonce dans un monde dépravé éclairé de lumières mortuaires, dans une vie maladive dirigée par ses obsessions sexuelles pendant qu'il se débat au milieu des débris d'une carrière qui a explosé en plein vol.


Son prêtre l'avait pourtant prévenu, lui avait conseillé d'éviter les occasions de pêcher mais la combinaison diabolique de la célébrité et de l'essor de la technologie de l'image ont transformé sa vie en une géante et perpétuelle occasion de la sorte. Bob a connu le succès par l'image, et c'est par l'image qu'il chutera. Il passe ses journées à regarder et à monter les vidéos de ses exploits sexuels avec l'inévitable Carpy, seul personne avec qui il partage encore quelques véritables moments d'intimités, plus glauques que la définition du mot glauque le permet.


Un Carpy qui, pendant que Crane avait charme, humour et célébrité, n'avait que Crane. Un Carpy qui, maintenant que Crane n'a plus que les ruines de son passé glorieux, n'a plus rien. Un Carpy rabaissé, délaissé, humilié par un Crane qui lui a tout prit pendant qu'il chutait.


Un Carpy révélateur et instrument, ami et amoureux, victime et bourreau d'un homme sympathique devenu méprisable. Un homme qui finira le crane fracassé à coup de pied de caméra, ultime symbole d'un destin tragique.


La montée en puissance de la tragique chute de Bob Crane vous emporte doucement, comme un virus sans antidote qui vous laisse nauséeux à mesure que la légèreté apparente des premières scènes laissent place à un étrange malaise malsein.

Clode
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le 20 oct. 2015

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