(Ici, je ne fais pas une critique, je partage une sensation)


Ce film décharge un trop plein de lumière, trop forte pour qu'on n'en parle pas, à moins de se consumer jusqu'aux cendres...


Une banale histoire d'adolescent qui se transforme en tragédie grec. Evan Glodell, qui apparaît presque à chaque ligne du générique, balance avec hargne son estomac sur la table. On le saisit à pleine main, on se le colle au cœur et ça bat. Ça bat fort, le reste s'évanouit, le silence nous enveloppe, ça bat comme le tonnerre sublime au dessus d'un enfant perdu au champ.


Dans Bellflower, les personnages sont bercés par la guitare sèche et suante de Jonathan Keevil. Le soleil embaume l'horizon, déjà saturé de jaune, d'orange et d'aventures lointaines. Le scénario se développe naturellement, siffle comme le vent sablonneux de Californie. On pense à Demande à la poussière, de Fante, quand il décrit cette lumière sur la plage, à la fin du livre.


L'ennui, le besoin d'un ailleurs tenaille les personnages, désespérés d'ivresse. Le besoin de jours simples et beaux, entassés comme une évidence totale, l'évidence de la mort qui les guette et la fantasmatique soif de lui lever le majeur dans la trogne. Pour ça, il faut peut-être la bravoure d'un chevalier, d'un ange noir qui parcourt les routes avec son fusil à canon scié, sa mustang taguée et des flammes qui s'élèvent derrière, comme pour cramer le passé dans un autodafé salvateur.
Un autodafé, oui. Parce qu'on oublie tout en regardant Bellflower. Les repères bringuebalent quand la structure narrative se met à vaciller, à tourner sur elle-même, avec ces phrases répétées et ces images qui reviennent en boucle à la manière du superbe Spring breakers. Celles des souvenirs, aussi. Car la mémoire ne rend pas la chronologie, elle rend la sensation floue mais vraie. Un morceau de diamant dans la terre qui hasarde ses reflets en l'air. Et la course vers l'avant, vers la chute, embrouille le rêve et le réel, tous deux recouverts du même sang. La tornade visuelle et auditive emporte les vieilles certitudes et là, dans l'épicentre, la tragédie surgit toute nue. Il n'y a rien d'autre, dans le monde de Bellflower. Pas de travail, pas de lois, rien de concret, rien de vraiment abstrait, seulement le soleil nu, qui brûle.


Sans comprendre, on se retrouve au milieu d'un road movie mutilé, d'un road trip infini qu'on n'effleure qu'en caressant le mirage dessiné dans les plaines. Finalement, on ne part pas, on reste, on s'évade par la poussière qui scintille. Étrange.
On ne prend pas les personnages en sympathie, ni en amitié. Ils nous tirent seulement vers eux avec une corde dure, la corde sensible de la liberté brimée. Ils sont tous les héros et les anti-héros. Ils sont des supernovas de chair et de sang. Et bientôt le film se termine et on regarde par la fenêtre en rêvant d'une existence plus grande, d'une transcendance encore inconnue mais qui déjà nous fait pleurer.


Bref, Bellflower est d'une cohérence inouïe. Un bloc. Il est une singularité créative lancée brutalement contre un monde sale. Il raconte un amour trop puissant pour ce qu'il devrait être. Ce même amour qu'on porte à ce ce film, cet objet, cet éclat de soleil, projeté dans nos yeux jusque là obstrués.


Vraiment, les gars, voyez ça avant de mourir. Ça fait trembler les muscles.

ChapeauRouge
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le 1 mars 2015

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ChapeauRouge

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