« L’art de la contrefaçon », précise le sous-titre... On aborde ce documentaire à la fois intrigué, curieux de voir ainsi porté en pleine lumière un art qui a pour vocation de rester dans l’ombre, et secrètement bardé de nos aprioris judéo-chrétiens, selon lesquels seule vaut la droiture de l’authenticité.


Un premier trouble se produit dès l’apparition, à l’écran, du grand faussaire qui donne au film son titre : Beltracchi, né Wolfgang Fischer, le 4 février 1951 en Allemagne, et ayant adopté pour son nom d’artiste le patronyme de sa femme, Hélène Beltracchi. Visage ouvert, fine moustache et barbichette, cheveux aux épaules, entre blond et gris, légèrement ondulés... On se croirait devant l’un des autoportraits de Rembrandt, un vrai visage d’artiste, que le réalisateur Arne Birkenstock nous dépeint dans son atelier, à pied d’œuvre...


Fidèle à son sous-titre, le documentaire s’engage dans l’exposé de cet « art » en quoi consiste « la contrefaçon ». On découvre la précision scientifique dans les peintures employées, l’attention aux pigments utilisés selon les époques, aux liants, la recherche patiente, dans des brocantes, de toiles anciennes qui pourront servir de support à de nouveaux tableaux. On découvre l’art, authentique, de Beltracchi, qui fait surgir sous nos yeux aussi bien un Max Ernst inconnu qu’un Rembrandt resté mystérieusement ignoré. On mesure le temps consacré à l’approfondissement des recherches entourant le peintre, mort depuis longtemps, et qui bénéficiera, par l’entremise de son zélé serviteur, du privilège inouï de pouvoir produire une œuvre nouvelle par-delà sa mort. Entrant dans le secret de l’élaboration du tableau, on est placé devant une évidence : Beltracchi ne produit pas des « faux », seul un œil incroyablement borné pourrait juger de la sorte ; il devient l’artiste dont le pinceau va se ranimer grâce à lui et, devant l’œuvre nouvelle, l’artiste caméléon éprouve la fierté d’un nouvel enfantement. Et lorsque de grands experts valident l’une de ses productions comme étant bel et bien un nouveau Bonnard ou un nouveau Degas, il n’éprouve pas la satisfaction de celui qui est parvenu à tromper mais de celui qui est reconnu...


Lorsque le film, abordant la période postérieure aux procès qui ont démasqué l’imposteur, présente quelques tableaux signés Beltracchi, on a sous les yeux une peinture sans âme, incroyablement mouvante, qui semble continuellement chercher son style. On sonde alors le gouffre : un artiste qui ne se trouverait qu’en devenant un autre, un autre auquel il deviendrait alors, par force et pour un temps, passionnément fidèle.


Dès lors, le glaive du jugement tombe des mains du spectateur, qui prend conscience qu’il se trouve là devant une forme de tragédie artistique, affrontée par un peintre au talent immense... Seuls auraient le droit de le juger ceux auxquels il a passagèrement volé leur âme... De le juger, ou bien de le remercier pour un fugace tronçon d’existence supplémentaire, une reviviscence passagère mais inespérée...

AnneSchneider
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le 5 juin 2018

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Anne Schneider

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