La saga James Bond a péniblement abordé le XXIème siècle avec le fatigué Meurs un autre jour, dernière contribution de Pierce Brosnan. Et comme on l’affirme sentencieusement dans à peu près tous les films d’espionnage, les temps ont changé, y compris dans le cahier des charges du blockbuster. Le premier volet des aventures de Jason Bourne a fait irruption en 2002, avant d’être suivi par le second opus, La Mort dans la peau, dans lequel le réalisateur Paul Greengrass insuffle une énergie nouvelle, la brutalité prenant le pas sur les grands effets, dans un esthétique caméra à l’épaule qui privilégie l’immersion physique et percutante.


Si Casino Royale convoque à nouveau Martin Campbell, déjà aux commandes de GoldenEye en 1995, il n’est pas question de faire appel à un savoir-faire et une tradition. L’arrivée de Daniel Craig coïncide avec un renouvellement assez drastique, d’autant plus manifeste qu’on adapte le premier roman de Fleming, comme pour signifier qu’on repart sur de nouvelles bases, et que tout est à redéfinir.


Bond, à l’image de son interprète, sera massif, buriné (et burné, d’ailleurs, en témoigne une séance particulièrement éprouvante de torture) et sans état d’âme. La très belle séquence d’ouverture, en noir et blanc, se met sous le patronage du film noir et du cynisme qu’y distillent généralement ses protagonistes : les répliques sont cinglantes, la violence frontale et la gâchette facile.


Il ne s’agit évidemment pas de renier l’ADN de la franchise, et le spectateur retrouvera les destinations internationales, l’homme à femmes, l’espionnage international et la grandiloquence des scènes d’action. Mais d’une manière générale, la tendance est au resserrement : le récit entier se focalise sur une partie de poker, habilement interrompue par des interludes d’une brutalité salvatrice, en contrepoint du bluff feutré des élites à la table. La romance elle aussi prendra un nouveau tour, par la rencontre avec Vesper Lynd, un personnage qui marquera durablement l’agent, passant de l’attribution du matricule double zéro à des désirs de retraite en un seul volet.


L’idée du départ, et des traumas laissés par l’expérience amoureuse infuseront durablement les 4 volets à venir, inaugurant une idée nouvelle, celle d’arcs généraux courant d’un épisode à l’autre.
Pour l’heure, les présentations ont été faites. L’impassible agent est incollable sur le boisé d’un cognac, assène des trempes herculéennes, mais laisse aussi parler son cœur ; et, curieusement, la greffe prend, dans la mesure où la souffrance de la perte va pouvoir épaissir la violence qui en découlera, permettant à la franchise de s’enrichir d’une nouvelle couleur inattendue : l’incarnation.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films avec Mads Mikkelsen, Vu en 2020, revu en 2020, Craig's List et Vu en 2023

Créée

le 7 oct. 2021

Critique lue 801 fois

35 j'aime

5 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 801 fois

35
5

D'autres avis sur Casino Royale

Casino Royale
VesperLynd
10

The bitch is dead

L'un des meilleurs de la saga, que l'on doit à Martin Campbell, celui-là même responsable du retour de Bond en 1995 avec "GoldeneEye" (pour moi le meilleur avec Pierce Brosnan). Concernant Daniel...

le 12 déc. 2013

67 j'aime

13

Casino Royale
B_Jérémy
9

Il était un début...

Vous vous dites que ce n'est pas un bon plan, n'est-ce pas? Parce qu'il y a un plan ? J'avais l'impression qu'on allait risquer des millions de dollars et des centaines de vies sur un simple...

le 25 avr. 2021

64 j'aime

71

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53