Un chef d'oeuvre du noir, classique et atypique

Après le mythique Laura, Preminger retrouve Dana Andrews, son acteur fétiche, dans le rôle peu avantageux d’un baratineur capable des combines les moins glorieuses pour se sortir de la mouise endémique dans laquelle il végète depuis toujours. S’il respecte tous les codes formels du film noir, à commencer par de nombreuses scènes nocturnes magnifiquement photographiées par Joseph La Shelle et des personnages emblématique du genre (le loser minable, la noiraude aguicheuse, la blonde naïve, l’ex-flic brutal) Preminger, avec son scénariste Harry Kleiner, détourne subtilement une intrigue que l’on aurait pu croire totalement balisée, celle d'un aigrefin à la petite semaine victime d’une séductrice forcément fatale qui l’entraîne avec elle dans une chute tout aussi annoncée. Mais c’est tout le contraire que raconte le film en déplaçant le centre de gravité de l’intrigue vers le second personnage féminin apparemment banal qui passe du statut de victime naïve à celui de «révélatrice» capable de changer le cours des choses. Fallen Angel devient ainsi l’histoire d’une prise de conscience, d’une renaissance, celle d’un homme qui découvre brusquement l’étroitesse et la médiocrité de son existence grâce à une femme qui croit au pouvoir inconditionnel de l’amour, malgré le fait qu’elle ait été trompée de sinistre façon. Ainsi «l’ange déchu» qui donne son titre anglais au film n’est pas comme on pouvait le penser la séductrice subtilement incarnée par Linda Darnell, mais bien Stanton auquel Dana Andrews prête admirablement ses traits un peu mous et son regard perdu, qui retrouve sa dignité grâce à une femme qu’il avait commencer par mépriser. De ce point de vue, le titre français est particulièrement stupide, puisqu’il annonce un "crime passionnel" qui ne survient qu’au milieu du film et que le scénario ne laisse pas présager jusque-là. A la fois classique et atypique, l’un des plus beaux films noirs des années 40.

SteinerEric
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le 7 sept. 2020

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Eric Steiner

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