Ces putains de citadins ne comprendront jamais… avec leur air hautain, leur ton condescendant, leur nonchalance naturelle, traitant les campagnards de bouseux et de consanguins. Ils pensent qu’ils leur suffit de nous agiter une liasse de billet devant le nez pour se sentir supérieur ou bien de faire une descente en canoë pour se donner bonne conscience et rendre hommage à la nature. Mais les serpents, les courants d’eau et les ours bruns ne sont pas les seuls dangers dans ces contrées reculées où il n’y a pas que des âmes très charitable. La vérité, c’est que vous n’êtes jamais à l’abri de faire une mauvaise rencontre dans la forêt. Si l’introduction et son fameux duel au banjo laisse inaugurer une formidable aventure et quelques instants de franche camaraderie. Il n’en sera rien et ces instants de jovialité s’évanouiront aussi rapidement dans le cours d'eau, parce que ce n’est certainement pas un morceau de guitare qui pourra réconcilier deux mondes complètement opposés. Dès lors, c’est bien l’enfant dégénéré qui prendra de la hauteur sur ces aventuriers endimanché en leur portant une totale indifférence lors de leur équipée sauvage dans les Appalaches. Récit d’une excursion entre amis, qu’ils ne sont certainement pas prête d’oublier.


Rien de tel que de tuer quelqu’un pour resserrer les liens fraternels. Partager le plaisir d’ensevelir un corps et de jurer sur sa tombe de ne jamais rien dévoiler à personne. Ça revient un peu à coucher avec son meilleur ami dans le dos de sa femme. C’est assez embarrassant, et ça ne vous sort jamais de l’esprit, combien-même vous faites comme ci de rien était et que cela ne s’était jamais produit, cela vous hantera toute votre vie. Vous aurez partagé un moment d’intimité qui ne pourra jamais s’effacer.Je ne dis pas cela pour moi, mais c’est arrivé à un cousin ! (sick !). En 1972, on avait encore jamais vu un homme se faire violer par un ignoble porc dans un film d’aventure. Ce n’est pas seulement Bobby qui se fait violer mais bien le pays tout entier, le personnage étant à l’image de l’américain moyen, orgueilleux, joufflu et borné. La séquence a tellement choqué son monde que Ned Beaty l’acteur qui l’a subie durant le tournage s’est fait alpaguer durant toute sa vie par des neuneux qui lui demandait d’imiter le bruit du cochon. Une preuve s’il en est de la bêtise des gens, et que l’homme sera toujours un loup pour l’homme. Le comportement bestial des autochtones locaux se font l’écho d’un environnement sauvage et hostile. Après le traumatisme de cette rencontre fortuite, la virée entre copains va se transformer en long calvaire taiseux. Les organismes s’épuisent, les discordances ne vont pas tarder à se manifester. Les flots deviennent bien plus tempétueux. Ils étaient venu trouver l’Eldorado d’une forêt vierge, mais ils ne songent plus désormais qu’à rentrer chez eux dans leur banlieue pavillonnaire.


Délivrance n’interroge pas seulement le rapport de l’homme à la nature, il met à mal le mythe de la virilité véhiculé par les sempiternelles western du cinéma yankee. Ce n’est pas pour rien si le leader du groupe interprété par Burt Reynolds apparaît dans un premier temps comme le héros charismatique du récit, toujours vaillant face au danger mais également trop téméraire si on en croit ce qu’il dit, puisqu’il se vante de n’avoir jamais souscrit à une police d’assurance. Peut-être aurait-il dût se montrer plus prévoyant. S’il n’est pas celui qui sera violé, il deviendra néanmoins le boulet du groupe suite à une mauvaise chute sur des rochers. Ainsi, l’homme qui croyait dompter la nature s’écrase au fond de son brancard flottant en serrant les dents, espérant que son périple se termine enfin. Et c’est bien son ami Ed Gentry ; le papa d’Angelina Jolie ; dont sa survie va dépendre. Lui à l'inverse est un gentleman plus timoré, angoissé à l’idée de tirer sur un être vivant parce qu’il incarne l’homme dit « civilisé » qui réfute l’idée de résoudre les conflits dans la violence. Il sera obligé de se hisser à hauteur de son ennemi pour lui retirer la vie afin de mettre un terme définitif à ce cauchemar. La séquence a d’ailleurs tout d’un mauvais rêve, l’acteur étant livré à lui-même en position de faiblesse aussi bien physique que psychologique face à un ogre plus monstre que homme. Après quoi, le plus délicat reste à faire, puisqu’ils leur faudra convaincre la police de la disparition « accidentelle » de leur ami. Le film traduit en cela un manque réel de confiance envers les institutions que l’on soupçonne à juste titre d’exécuter une justice expéditive selon la tête du client. Il ne faut pas oublier que le pays était à l’époque traversé par les contestations et mouvements sociaux, pris entre l’étau de la ségrégation et de la Guerre au Vietnam. Nixon venait d'être réélu malgré le scandale des écoutes du Watergate. La sinistrose allait jusqu'à contaminer l'industrie du cinéma désillusionné depuis l'assassinat de Sharon Tate. Quelque part, John Boorman sera parvenu à livrer un survival en adéquation avec ces heures troubles.

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le 22 août 2023

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