Premier contact... (et désolé d'évoquer en écho l'un de l'autre deux films à la fois)

Premier contact


Avant d'aborder le documentaire qui m'a poussé à écrire, je voudrais faire un petit détour et évoquer Premier contact, le nouveau film de l'inégal Denis Villeneuve. C'est un film de science-fiction à l'américaine qui a priori ne devrait pas rencontrer de difficultés pour rencontrer son public. Ce n'est certes pas la première fois dans l'histoire du cinéma que l'on raconte la rencontre plus ou moins difficile entre l'humanité et des extra-terrestres : l'adjectif "premier" du titre est valable pour les personnages, alors que pour les spectateurs de cinéma, il aurait mieux valu intituler le film "Dernières nouvelles du cosmos" (mais le titre était déjà pris).


L'un des films emblématiques de tels premiers contacts, c'est évidemment Rencontres du troisième type. On y pense un peu, car le personnage principal, la linguiste jouée par Amy Adams, a la même curiosité et la même émotion que le personnage interprété par François Truffaut dans le film de Spielberg. Mais la référence s'arrête là : contrairement à Super 8 de J.J. Abrams, qui rendait hommage à la matrice spielbergienne jusque dans l'ambiance lumineuse (les fameux rais horizontaux de lumière bleue...), ici l'aspect visuel est totalement différent, et d'une certaine manière inédit. Par exemple, au lieu de prendre une forme cliché, les créatures extra-terrestres sont des heptapodes qu'on devine plus qu'on ne voit, à travers l'atmosphère translucide qui baigne le vaisseau spatial.


Mais les deux principales innovations du film sont d'un autre ordre :
1) Contrairement à de nombreux films du même genre, l'humanité n'y est pas présentée comme un tout homogène (où l'universalisme serait confondu avec l'uniformité) face à l'altérité absolue des aliens. Dans le merveilleux E.T., Elliott apprenait à E.T. le langage terrien (certains diraient le globish), le paradoxe étant que pour les spectateurs français qui l'ont découvert dans l'enfance en VF, E.T. veut "téléphone-maison", et il serait presque sacrilège de l'entendre "phone-home"... Alors que dans Premier contact, il y a un semblant de géopolitique, lié au fait que les immenses vaisseaux spatiaux ovoïdes noirs (non sans évoquer les mystérieux monolithes de 2001 l'Odyssée de l'espace de Kubrick) se tiennent en suspension en douze points du globe terrestre. Comment les différentes autorités politiques locales, et en particulier les grandes puissances, vont-elles réagir ? Cet aspect est plutôt bien tenu jusqu'à une fin un peu bâclée (pour une fois le film aurait gagné à être un peu plus long).
2) L'autre innovation, et peut-être l'intérêt principal du film, réside dans la réflexion sur le langage. La linguiste américaine va être confrontée à un langage écrit qui n'est pas fait pour être prononcé (aucun alphabet relié à des phonèmes), il y a donc une absence de lien entre les sons émis par les heptapodes et leurs écrits, des jets d'une sorte d'encre qui tracent des logogrammes circulaires à déchiffrer, mais dont on pourrait déduire un rapport particulier au temps... Pour communiquer avec l'autre, il faut prendre le temps de le rencontrer. Cette réflexion, et l'émotion qui va avec, emporte le morceau et est l'aspect le plus passionnant du film.


Si on veut faire le lien avec la politique contemporaine, plusieurs lectures sont possibles. Par exemple si on considère les aliens comme des migrants, alors le film est une sorte de réaction contre la montée de la xénophobie et des nationalismes. Ou si on le lit comme le nécessaire respect des intelligences non humaines, alors il plaide pour que êtres humains et animaux aient un avenir en commun...


Dernières nouvelles du cosmos


C'est le moment d'aborder mon coup de coeur des dernières semaines : Dernières nouvelles du cosmos, de Julie Bertuccelli. On y fait la connaissance de Hélène Nicolas, une jeune femme de 30 ans, mais pas comme les autres. Physiquement, elle paraît deux fois moins âgée, elle est autiste, mais surtout auteure de textes remarquables, sous le nom de Babouillec. Mais elle ne sait pas tenir un stylo, parce qu'elle n'a pas trouvé un usage entier de son pouce préhenseur. D'après sa mère Véronique Truffert, cela serait corrélé (compte tenu des régions du cerveau impliquées) avec le fait qu'elle n'a pas encore trouvé le chemin de la parole. Alors elle se sert de lettres cartonnées et plastifiées pour écrire des mots, puis des phrases. Lorsque Julie Bertuccelli nous montre pour la première fois ce processus, ça a quelque chose de fascinant, car les premières scènes nous montraient les difficultés motrices d'Hélène, son expression orale limitée à quelques rires, et tout d'un coup Hélène devient Babouillec et donne accès à sa personnalité. Donc, d'une certaine manière, ce film a en commun avec celui de Denis Villeneuve de tourner autour du mystère du langage et de la communication et de faire naître chez le spectateur des questionnements essentiels. De façon un peu paradoxale, ce qui est presque théorique dans le film de SF devient concret et réel dans le documentaire.


Alors jusqu'à maintenant j'ai évoqué comment elle écrit, mais pas ce qu'elle écrit. Là aussi le film est un crescendo. Avant d'être confronté nous-mêmes à ce qu'elle écrit, Julie Bertuccelli nous donne à entendre les commentaires de certains de ses proches, notamment un metteur en scène de théâtre qui cherche à adapter sur les planches un des recueils de Babouillec et qui en discute avec elle. Mais ce n'est que lorsqu'on est confronté à son écriture que l'on comprend vraiment. Hélène-Babouillec cache des capacités intellectuelles insoupçonnées. Alors qu'elle n'a jamais vraiment appris à lire et écrire, elle a un vocabulaire très riche, utilise parfois des mots complexes (loin du langage courant et en ne faisant quasiment pas de fautes d'orthographes) pour un résultat étonnant et souvent détonnant. On découvre une personnalité hors du commun, très imaginative, parfois espiègle ou même corrosive, et fortement éprise de liberté. Et encore on n'a pas tout vu : à la fin du film, elle rencontre un mathématicien, et le dialogue philosophique qu'elle noue avec lui est tout simplement admirable. Bien que concrètement, au niveau logistique, le processus d'écriture soit long (ce qui en fait un rituel fortement cinématographique), on découvre une Babouillec qui répond du tac au tac, et prétend même être un peu télépathe et devancer les questionnements de son interlocuteur... C'est ce formidable échange qui a inspiré à Julie Bertuccelli le titre de son film.


Résumons : ce film n'est pas un documentaire qui traiterait de l'autisme en général. C'est le portrait d'une autiste profonde en particulier. C'est l'histoire d'une relation mère-fille singulière : lorsque Hélène avait 14 ans, sa mère l'a prise à temps plein chez elle, et après des années d'un programme de stimulations sensorielles, et de la relation de confiance établie, la porte que l'on découvre aujourd'hui s'est ouverte. C'est enfin et surtout le portrait d'une artiste extrêmement touchante, dont on admire également la grande générosité : après tout rien ne l'obligeait à partager avec nous la profondeur de son intériorité. Le tout donne un film bouleversant et stimulant : un critique de Télérama semble regretter qu'il n'y ait pas plus de réponses à toutes les questions que l'on se pose. Mais c'est au contraire ce qui fait la richesse et la beauté de ce film : non pas répondre à tout, mais faire naître des questionnements qui touchent à ce qui nous fait humain, non pas le plus petit dénominateur commun, mais plutôt certaines dimensions anthropologiques essentielles.


Cette première rencontre avec Hélène/Babouillec est très belle, et il faut à ce titre aussi remercier Julie Bertuccelli pour la qualité de son regard jamais voyeuriste. Le film aurait d'ailleurs très bien pu s'appeler "Premier contact" (mais le titre était déjà pris).

cinelolo

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