J'avais depuis très longtemps l'intention de voir ce film.


Déjà, car c'est l'oeuvre qui a lancé l'éminente de vague des "Midnight Movies", ce qui lui conférait à mes yeux une aura particulière.


Quelle ne fut pas ma surprise et mon enthousiasme lorsque je découvris que le Lux - Scène Nationale de Valence avait décidé de l'inclure dans sa sélection "Western, entre légende et revisitation" diffusée durant tout le mois de décembre 2018 ; je décidai aussitôt de saisir cette opportunité pour visionner ce long-métrage pour lequel j'avais déjà de grandes attentes.


Des attentes, oui, car comme je l'ai indiqué plus tôt, ce film a été le lanceur d'une des plus importantes périodes créatives de l'histoire du cinéma, celle des "midnight movies".
En effet, Jodorowsky, une fois son film réalisé, à eu beaucoup de mal à le faire diffuser dans les salles sombres, le film ne pouvant entrer dans les catégories préétablies de l'époque, ce qui rendait toute publicité hasardeuse, voire suicidaire ; c'est donc finalement en séance de minuit, sans réclame, que la diffusion de ce film fut décidée, et ce dernier a rapidement commencé à rencontrer un succès croissant, jusqu'à attirer un certain nombre de personnalités de la contre-culture, lançant la vague par la même occasion.


En allant voire ce film, je m'attendais à aller voir un film totalement décousu, bardé de symbolique et de mysticisme, se situant à la frontière du surréalisme, tel une version colorée de films comme "Un Chien Andalou" de Luis Buñuel.
Cependant, le visionnage du long-métrage ne m'a donné que partiellement, raison, car si ce film est bien bardé de symbolique et empreint de mysticisme, il est loin d'être aussi abstrait que le film suscité, et l'intrigue, bien que partiellement décousue, reste suffisamment claire pour permettre de dégager non seulement des thèmes, mais aussi une intrigue que je diviserais en trois phases plutôt bien définie :


Tout d'abord, la phase que je qualifierais d'initiation.
Durant cette phase, El Topo apparaît comme une sorte de maître spirituel pour un enfant, crédité d'Hijo del Topo au générique, tout en cherchant à retrouver les auteurs puis venger les victimes d'un massacre sanglant. Deux thèmes primordiaux du film sont introduits et mis en valeur ici, à savoir d'un côté l'aspect de l'Initiation, puisqu'El Topo apparaît ici comme une sorte de maître accompli, que ce soit sur le plan spirituel ou physique, ses capacités de tireur étant présentées comme hors du commun, surnaturelles même ; d'un autre côté, l'autre thématique essentielle du film ici introduite est la bassesse, la cruauté tendant même vers la monstruosité des êtres humains lorsqu'ils ne sont pas éveillés spirituellement, certain parmi eux étant présentés comme dénués d'âme, tandis que certaines victimes deviennent à leur tour des bourreaux sanguinaires, tout en déshumanisant leurs anciens tortionnaires ; pour parler de la fin de cette première partie, je pourrais revenir sur la "punition" infligée par El Topo au Colonel, qui est "puni là où il a péché", ce qui accentue l'aspect christiano-mystique du film, que l'on retrouvera plus tard, ou bien je pourrai insister sur la déchéance d'El Topo, qui va le conduire à la seconde partie du récit, mais je vais plutôt me concentrer sur le Hijo del Topo : ce dernier, en effet, va voir son père et maître spirituel succomber à la tentation, ce malgré ses tentatives de l'en empêcher, et se passage va être pour lui la fin de l'innocence, qui sera représentée à la fois par le changement dans son regard, mais aussi par celui de sa tenue vestimentaire, son innocence étant jusque là signifiée par sa nudité, qui est alors remplacée par une longue tunique de religieux, ces derniers devenant alors ses nouveaux pédagogues.


Durant la seconde partie, El Topo, désormais accompagné par une femme qu'il veut séduire, va à son injonction tenter d'affronter et de vaincre les quatre maîtres du désert. Cette phase correspond de nouveau à une quête initiatique, cette dernière s'éloignant cependant considérablement dans son déroulement comme dans son dénouement de la forme et du fond traditionnel de ce modèle de récit. En effet, si chaque maître représente en effet une étape à franchir pour progresser à la fois spirituellement et dans l'art de manier le pistolet, El Topo, se considérant lui-même comme inférieur dés le premier maître cédera de nouveau à la tentation, celle de la facilité, utilisant la ruse pour les vaincre. Pour être plus précis, le premier maître représente l'acceptation de la douleur, puisqu'il dit qu'il ne craint plus celle-ci, et le montre en laissant ses serviteurs lui tirer dessus, et insistant sur le fait que son sang ne coule quasiment plus hors de son corps malgré la blessure ; le deuxième maître représente quant à lui la dépossession de sa propre volonté, puisqu'il dit s'être totalement abandonné à son amour, ce qui lui permet de tirer avec une absolue délicatesse, et ce n'est qu'en blessant par la ruse la compagne de ce maître qu'El Topo parviendra à le défaire ; le troisième maître, je n'ai pas su l'interpréter correctement, mais j'insisterai cependant sur le fait que le caractère surnaturel d'El Topo, mais aussi sa déchéance apparaissent de nouveau ici, symbolisés par les lapins du troisième, qui commencent à mourir spontanément lorsqu'il approche de leur enclot, où se trouve le maître, et dont aucun ne survivra au passage d'El Topo, qui survit de nouveau grâce à la ruse ; le quatrième maître représente l'aspect le plus important, puisqu'il est à la fois celui qui a abandonné les armes, troquant son pistolet avec un filet à papillons, mais surtout celui qui représente l'ultime acceptation, celle de la mort, allant jusqu'à, hilare, se donner la mort, non sans avoir vaincu El Topo à l'aide de son simple filet à papillons, montrant par la même occasion l'échec d'El Topo et la poursuite de sa déchéance, ce dernier étant alors abandonné par les femmes qui l'accompagnaient avant de sombrer dans l'inconscience, ce qui marque la fin de la deuxième partie.


La troisième phase est la plus importante, puisqu'elle représente tout d'abord la pénitence et la repentance du sage déchu qu'est El Topo. La pénitence, elle est marquée par le changement physique de celui-ci qui est désormais chauve, imberbe, désarmé et vêtu d'une longue tunique rappelant celle des ermites, par son changement de comportement, puisque celui qui combattait est désormais passif, et survit dans la mendicité ; la repentance, elle est liée à la progression du récit, puisque accueilli dans une grotte par une population qui y est enfermée, que la consanguinité a déformée, et qui lui demande de les libérer, l'informant qu'une ville est située à proximité, à l'extérieur. El Topo, après avoir décidé de se faire raser et tondre, accepte et décide alors d'aller y mendier pour pouvoir acheter le matériel nécessaire pour creuser un tunnel qui les conduirait à l'extérieur. La ville permet de ramener une thématique exposée lors de la première partie, à savoir celle de la monstruosité de l'être humain, symbolisée ici par la débauche régnant dans la ville, où se mêlent esclavagisme, déviance et culte idolâtre ; ce dernier point sera stoppé par l'arrivée du Hijo del Topo. En effet, ce dernier, désormais maître spirituel comme le fut son père, vêtu comme lui, mais dont l'appartenance au christianisme est, pour montrer une différence avec celui qui l'a trahi, plus marquée (présence d'une croix visible) ; il va à son arrivée mettre fin au culte idolâtre, puis, lorsque son père viendra dans l'église pour s'y marier avec celle qui l'accompagne désormais (et qui est issue de la population de la grotte), souhaitera le tuer, mais en sera dissuadé par cette dernière, pour qu'El Topo puisse avant atteindre sa rédemption. Il les aidera alors à mendier, puis renoncera à abattre son père et professeur tandis que la population difforme de la grotte se dirige vers la ville, ce qui amène à l'acte final du récit. En effet, El Topo, après son ultime confrontation avec son ancien disciple, va s'élancer à leur poursuite pour tenter de les dissuader de s'avancer vers la ville ; arrivant trop tard, ceux-ci seront massacrés avant même d'avoir pu y mettre un pied, les monstres physiques qu'ils sont étant fusillés par la population, qui représente la monstruosité morale, réelle de l'humanité. El Topo va alors assimiler les "leçons" des quatre maîtres du désert en affrontant la population de la ville, puisqu'il va tour à tour savoir accepter la douleur, survivant et s'avançant vers eux malgré le fait que son corps est percé de multiples balles, puis celle du deuxième maître, se donnant totalement à l'amour qu'il éprouve pour l'unique survivante du massacre, sa compagne, en éliminant méthodiquement chacun des assassins, puis celle du quatrième maître en acceptant finalement la mort, qu'il cause lui-même en s'immolant par le feu.


Pour conclure, je dirai que je n'ai fait qu'effleurer l'ensemble des symboliques et thématiques abordées par ce chef-d'oeuvre, dont je préciserai par ailleurs qu'il est visuellement très impressionnant, avec une mise en scène souvent originale sans à mon sens réellement verser dans le psychédélisme, et dont la réalisation est à proprement parler saisissante.

Maëlig__le_piranha
8

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Créée

le 19 déc. 2018

Critique lue 247 fois

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