Exodus : Gods and Kings est l'illustration parfaite de la vision américaine du monde - et de son réalisateur, en particulier des mythes. Voici les 7 plaies qui gangrènent le récit biblique de Ridley Scott, jusqu'à l'appauvrir considérablement :


1) Le sur-réalisme : le cinéma américain est rarement délirant, en tout cas le cinéma hollywoodien. Toujours campé dans un contexte réel, il n'innove que rarement sur ce point. Ce qui est curieux pour autant, c'est que malgré l'attention portée aux détails sur les 10 plaies d'Egypte, aux détails sur les villes égyptiennes, le film multiplie les anachronismes. En résulte un contexte bancal, avec des villes démesurées, des esclaves par millions, et en même temps des évènements rendus plausibles, comme les 10 plaies d'Egypte alors que ce sont des allégories. On est à la fois dans une démesure épique et en même temps totalement clichée et peu audacieuse. Les méchants sont encore plus méchants. Les gentils sont encore plus gentils. La puissance égyptienne est décuplée comme pour aller dans le sens du récit biblique qui se veut une émancipation du peuple hébreu de l'oppresseur égyptien. Mais c'est tout. Tout se veut réaliste et épique à la fois et c'est foireux.


2) L'épisme outrancier : parlons en de cet épisme, une mer qui s'ouvre en deux comme deux vagues immenses dignes de celles dans Interstellar ou dans ce navet universel de 2012, une armée égyptienne monstrueuse sur des chars en or, des archers qui font pleuvoir une volée de flèche digne d'un remake de 300. Par moment on retrouve l'esprit Gladiator, si cher à Ridley Scott avant de sombrer dans le n'importe quoi.


3) L'individualisme forcené : ce qui est génial avec le cinéma hollywoodien, c'est qu'il calque des modèles de pensée occidentaux et contemporains dans des contextes socio-historiques totalement opposés. Ainsi, finalement ce qui guide Moise, outre ses lubies et ses révélations divines, c'est avant tout la liberté, une liberté qui se veut l'éternel illustration de la libération des États-Unis face au colonisateur anglais. Les 10 commandements de Moise ce sont un peu les amendements de la constitution américaine.


4) God bless America : Et puis évidement, l'amérique, l'éternelle, la mythique, transpire durant tout le récit qu'elle s'approprie. Ce n'est plus une histoire biblique, ou alors si, mais c'est une histoire qui ancre la légitimité américaine et sa bénédiction divine. Pour cela, rien de plus simple : on prends des acteurs bien anglo-saxons, bien blancs, limite roux - ce n'est pas comme si les roux avaient été persécutés chez les égyptiens, et on leur met un peu de mascara et un pagne. Les voilà pharaons. Pire, on prend le visage exotique de Ben Kingsley pour donner une petite touche orientale au récit. Bref, on applique toujours les mêmes recettes.


5) L'ennui et le manque d'inspiration : il en résulte un manque d'inspiration criant. Les décors sont par moments superbes, les scènes d'actions, badass comme on les aime, mais le film ne va pas beaucoup plus loin. L'histoire fascinante du mythe de Moise n'est qu'un prétexte à produire un block-buster à très gros budget, une sorte de plaisir de môme sur le tard, avec des batailles et une guerre fratricide. Ridley Scott s'attarde d'ailleurs sur cette relation entre Moise et Ramsès, résumant l'intrigue à une guerre de famille, une sécession, une scission du pouvoir, une guerre civile. Le reste de l'histoire est éludé, dissoud dans un film pourtant assez long et qui avait le temps de développer son sujet. Mais voilà, Moise n'est peut-être pas au fond si important pour l'histoire.


6) La platitude morale et scénique : cela se traduit par un nombre abérrants de clichés en tout genre : sur l'architecture égyptienne, sur les esclaves, les juifs, et j'en passe. A cela, il faut ajouter un message moral plat, pour ne pas dire, faiblard, sur la famille et le choix (Moise abandonne la sienne par deux fois et il en payera le prix). En fait, Moise c'est un peu le Martin Luther King de la proto-histoire, "I have a dream". Il aurait prononcé cette phrase que j'en aurais pas été surpris. Au lieu d'en faire un illuminé mystique et courageux, on en fait un homme politique, un stratège, un leader né : un américain quoi. A cela, s'ajoutent un grand nombre de dialogues plats, des confrontations entre Moise et Ramsès dont on attend beaucoup et qui sont ennuyeuses. Joel Edgerton et Christian Bale sont mous et plats. Je les ai vu en meilleure forme.


7) La vieillesse : Ridley Scott a fait des bons films autrefois. Je pense à Gladiator dont Exodus est une sorte de petit cousin éloigné trisomique, je pense à Alien bien sûr, film culte s'il en est et à Blade Runner, ce bijou de science-fiction. Depuis quelques années, Ridley Scott tente un grand retour mais chacun de ses nouveaux films est une déception. La vieillesse ?


8-9-10) Les incohérences : pour couronner le tout, trois incohérences majeures :
- L'exode est totalement zappée par une élipse temporelle maladroite, du coup rien des 10 commandements ou presque, un voyage qui semble extraordinairement long vu la distance alors qu'ils ont vaincu leur ennemi. C'est pourtant le titre du livre dont le film tire son histoire !
- La tragédie familiale se résume à une affaire de gros muscles et elle est expédiée en quelques répliques. Dès lors, la confrontation Ramsès/Moise semble tomber comme un cheveu sur la soupe.
- Moise mène sa petite guerilla avant de se repentir continuellement de sa violence. Pire, il met le pays à feu et à sang. Pourquoi n'être pas parti plus tôt ou carrément prendre le pouvoir dans ce cas ?


Ce film n'est pas foncièrement mauvais, il a ses qualités, visuelles notamment et quelques passages intéressants mais il cumule tant et tant de clichés et de platitudes que j'ai peur que notre cher Ridley, un jour, ne s'en remette plus.

Tom_Ab
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le 6 mars 2015

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Tom_Ab

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